Par Yara Hawari
Un nouveau rapport informe dans le détail comment Israël a délibérément pris pour des sites archéologiques à Gaza dans le but d’effacer le patrimoine culturel de la Palestine, détruisant les preuves du lien historique des Palestiniens avec leur terre, et niant leur identité autochtone.
Dispersés le long des plages de Gaza, enterrés sous les décombres résultant des bombardements israéliens, se trouvent plusieurs sites archéologiques tout à fait remarquables datant de l’âge du fer.
A présent, une nouvelle enquête du groupe de recherche Forensic Architecture détaille comment Israël a délibérément ciblé des sites archéologiques dans la bande de Gaza assiégée dans une attaque flagrante contre le patrimoine culturel palestinien.
Au fil des bombardements successifs, ces sites situés le long du littoral de Gaza, qui comprennent une fontaine de l’époque romaine et un rempart de l’âge du fer, sont désormais confrontés à une « menace existentielle ».
Travaillant avec des journalistes, des archéologues et des bénévoles de Gaza et d’ailleurs, Forensic Architecture a rassemblé un large éventail de preuves pour cartographier et reconstruire ces sites. On appelle cela une forme pionnière d’« archéologie open source » qui devrait s’avérer être un outil important dans la lutte contre l’effacement culturel.
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En effet, le régime israélien a longtemps tenté d’effacer et de s’approprier le patrimoine culturel palestinien dans le cadre du projet colonial sioniste. Afin d’imposer un lien historique supposé avec la terre palestinienne, et de soutenir son discours propagandiste sur une propriété exclusive de l’histoire de la terre, qui est au cœur de l’idéologie fondamentale d’Israël, l’effacement de l’héritage non juif devient stratégique.
Pour ce faire, Israël a eu recours soit à la destruction de l’héritage existant des Palestiniens, soit à la création d’un récit entièrement différent et autocentré.
Comme Al-Haq, une ONG palestinienne de défense des droits de l’homme, l’a expliqué dans le contexte du rapport de Forensic Architecture, « Cibler le patrimoine culturel n’est pas un geste gratuit. La culture constitue une expression visible de l’identité humaine. Priver un peuple de sa culture revient à le vider de la substance même qui constitue l’épine dorsale de son droit à l’autodétermination, en particulier dans un contexte de violations cumulatives des droits de l’homme, interconnectées et systémiques. »
Pour toutes les communautés et tous les groupes nationaux, le patrimoine culturel est un lien tangible et physique avec le passé. Dans leur volonté d’effacer un passé palestinien, les régimes israéliens passés et présents ont activement cherché à déconnecter les Palestiniens de leur héritage.
Le père fondateur sioniste, David Ben Gourion, est célèbre pour avoir dit : « les vieux (Palestiniens) mourront et les jeunes oublieront ». Pourtant, cela n’a pas été le cas et les Palestiniens ont rigoureusement cherché à préserver leur histoire malgré les tentatives furieuses de la nier.
Dans cette guerre contre le patrimoine culturel palestinien, l’archéologie a joué un rôle clé. Des sites palestiniens ont été fouillés illégalement par des archéologues israéliens, et de nombreux objets ont été pillés et cachés dans des institutions israéliennes.
En 1948, lorsque le projet sioniste a installé de force l’État d’Israël, les archéologues se sont immédiatement mis au travail pour trouver des « preuves » historiques d’une présence juive dans le pays.
Ce faisant, ils détruisaient souvent des couches de ruines archéologiques pour trouver des ruines de l’ère juive. Le Dr Mahmoud Hawari, archéologue palestinien et ancien directeur du Musée de la Palestine, a expliqué que la militarisation de l’archéologie par Israël pour créer un récit biaisé « biblique » inventé et centré sur les « revendications historiques juives » contribue à tenter de justifier son projet de colonisation.
Cependant, cela contredit non seulement l’éthique de la pratique archéologique, qui met l’accent sur la préservation de l’histoire, mais ignore également activement l’histoire diversifiée de la Palestine et la présence historique du peuple palestinien autochtone.
En fin de compte, cette réécriture de l’histoire sert le projet d’Israël de procéder à un nettoyage ethnique progressif des Palestiniens, ainsi que de s’approprier leur histoire et leur patrimoine culturel, a expliqué le Dr Hawari.
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En 1967, quand Israël a occupé la Cisjordanie et Gaza, la pratique de la manipulation de l’archéologie pour réécrire le passé s’est étendue à ces territoires palestiniens occupés. Israël a commencé en particulier à fouiller agressivement la vieille ville de Jérusalem.
Plus récemment, Israël a mené des fouilles dans la zone située sous l’enceinte du Dôme du Rocher, qui abrite également la mosquée Al Aqsa, une partie intégrante du site du patrimoine de l’UNESCO de la vieille ville de Jérusalem.
Ces fouilles ont été fortement condamnées par l’organisme culturel de l’ONU et ont abouti à une résolution de l’UNESCO critiquant Israël pour sa politique générale envers le complexe.
Beaucoup de ces « projets archéologiques » sont parrainés par des organisations de colons israéliens fanatiques d’extrême-droite comme El Ad, qui a longtemps eu le monopole des sites archéologiques de Jérusalem, en particulier dans le quartier palestinien de Silwan.
Par l’appropriation de terres palestiniennes, la destruction de maisons palestiniennes et l’effacement de l’archéologie palestinienne, El Ad s’est efforcé d’établir de manière irréfutable la présence juive historique afin de soutenir le récit de la propriété juive millénaire sur Jérusalem tout en effaçant simultanément l’existence palestinienne à la fois dans le passé et dans le présent.
De plus, à travers l’exploitation de récits bibliques, l’affirmation est faite que cette propriété exclusive est divinement mandatée, un récit qui est soutenu avec empressement par les sionistes chrétiens – un groupe qui constitue le fondement du soutien américain au régime israélien.
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Pendant ce temps, à Gaza, où avant le siège le régime israélien fouillait et s’appropriait illégalement ce qu’il voulait, il a maintenant simplement une politique de destruction. Forensic Architecture a expliqué à The New Arab que « l’archéologie est une autre victime de la violence coloniale israélienne envers les Palestiniens. À Gaza, les attaques israéliennes continuent d’avoir un impact sur la vie quotidienne, l’identité et les pratiques des Palestiniens et de les priver de leur droit à leur patrimoine culturel. »
C’est pourquoi l’archéologie « open source » pionnière de Forensic Architecture est si importante. Elle permet de poursuivre les recherches archéologiques dans le contexte d’un blocus, où l’accès est restreint et où les sites sont constamment exposés au risque de destruction par les bombardements israéliens.
Cette étude a également été importante pour appuyer les voies juridiques contre le traitement négationniste par Israël de l’archéologie et du patrimoine culturel palestinien. Dans un rapport, Al Haq explique qu’il s’agit d’un aspect fondamental du régime d’apartheid israélien et que ces attaques constituent des crimes de guerre.
Forensic Architecture et Al Haq ont conjointement appelé le procureur de la CPI à « considérer cette destruction comme équivalant à des crimes de guerre et à évaluer leur contribution potentielle à l’apartheid en tant que crime contre l’humanité en vertu du Statut de Rome ».
Dans le contexte de Gaza, où la population est soumise à de fréquents bombardements et à des conditions de vie désastreuses, la discussion sur les sites du patrimoine peut sembler frivole… Pourtant, il est crucial de reconnaître la guerre d’Israël contre le patrimoine culturel palestinien comme faisant partie intégrante du système global d’oppression.
Le projet colonial de peuplement d’Israël ne consiste pas simplement à retirer les Palestiniens du présent en les forçant à quitter leurs maisons et en créant des conditions de vie insupportables. Il s’agit également de les effacer de l’histoire de la terre de la Palestine historique dans le but de leur refuser toute prétention à la souveraineté et à la reconnaissance de leur statut de peuple autochtone.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
18 mars 2022 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine