Par Abdel Bari Atwan
Massacrer des civils sans défense est une chose… Envahir Rafah et y rester en est une autre. Depuis plus de deux mois, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu brandit presque quotidiennement la menace d’envahir la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
Dimanche, il a juré qu’aucune pression internationale ne l’empêcherait de mener à bien l’offensive terrestre qu’il a planifiée pour atteindre ses objectifs de guerre : éradiquer le Hamas, libérer tous les otages et s’assurer que Gaza ne représente plus jamais une menace pour Israël.
Si Netanyahu était capable de mener une telle opération, il n’aurait pas tergiversé un seul jour. Mais il est parfaitement conscient que, pour un certain nombre de raisons, cela pourrait sceller sa fin et le début de la fin de l’État d’occupation israélien.
L’armée israélienne est épuisée, démoralisée et à bout de souffle au bout de six mois d’une guerre qui ne lui a pas permis d’atteindre un seul de ses objectifs. Elle a subi des pertes de plus en plus grandes dans ses rangs et des centaines de ses soldats ont refusé de servir à Gaza pour éviter d’être ramenés à leurs familles dans des sacs mortuaires.
Les Brigades Al-Qassam, l’aile militaire du mouvement de résistance Hamas, ont diffusé tôt lundi une vidéo montrant des combattants tirant sur un soldat israélien au sud du quartier de Tal Al-Hawa, dans la ville de Gaza..
L’invasion de Rafah serait nécessaire pour atteindre le principal objectif de la guerre : l’expulsion d’un million et demi de Palestiniens dans le désert du Sinaï. Mais cet objectif est devenu irréalisable, car la grande majorité des Palestiniens préféreraient mourir plutôt que d’être expulsés de leurs maisons et de leur patrie, et la plupart des pays du monde s’opposent presque unanimement à un tel déplacement.
La guerre d’Israël pour anéantir et réduire à la famine la population de Gaza n’a pas réussi à pousser les Palestiniens à la révolte contre le Hamas et ses partenaires de la Résistance. C’est le contraire qui s’est produit.
Le solide soutien populaire dont jouit la Résistance a déjoué le projet israélo-étasunien de trouver une alternative pour remplacer le Hamas une fois la guerre terminée. En témoigne le rejet brutal de leur proposition d’installer, après-guerre, une administration fantoche dirigée par des clans et des chefs locaux.
La résistance palestinienne donne au monde une leçon de courage et de persévérance
S’il est relativement facile pour l’armée israélienne et ses chars d’envahir les villes et les villages de la bande de Gaza, il lui est impossible de les y maintenir en raison des pièges tendus à ses troupes et à ses chars par les combattants de la Résistance dans le cadre d’une guérilla bien préparée et brillamment exécutée.
Israël a déjà perdu 1 270 véhicules blindés et des milliers de soldats sont morts ou blessés.
Si Netanyahu devait entrer dans Rafah, lui et son armée ne se heurteraient pas seulement à la résistance palestinienne, mais aussi à l’opposition du monde entier. La plupart des gouvernements et des organisations internationales et humanitaires l’ont mis en garde contre une telle opération.
Israël a perdu quasiment tout le soutien que la guerre contre Gaza a reçu au début sous le prétexte du droit d’Israël à se défendre.
Ce prétexte s’est effondré en quelques jours lorsque les véritables objectifs d’Israël ont été dévoilés : anéantir le peuple palestinien, annexer la bande de Gaza et s’emparer de ses immenses ressources gazières offshore.
Nous n’avions pas besoin que le général israélien à la retraite Itzhak Brik nous dise qu’Israël a perdu la guerre et que son front intérieur n’est pas prêt pour une guerre régionale au Liban, au Yémen et en Irak, qui serait mille fois plus dure que la guerre de Gaza. Nous n’avions pas non plus besoin que le célèbre historien israélien Yuval Noah Harari reconnaisse que le Hamas a gagné et atteint la plupart de ses objectifs dans cette guerre.
Le vainqueur, a-t-il expliqué, n’est pas nécessairement celui qui tue le plus de personnes, fait le plus de prisonniers, détruit le plus de maisons ou occupe le plus de terres.Le vainqueur est celui qui atteint ses objectifs politiques et, à cet égard, le raid du 7 octobre a été un succès : il a empêché la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite et toute perspective prévisible de « paix » israélo-arabe.
La bande de Gaza sera-t-elle un piège mortel pour l’occupant ?
Lorsque Netanyahu envoie son chef des renseignements à Doha pour discuter des conditions de trêve du Hamas, il est difficile de croire qu’il s’apprête à envahir Rafah – à moins qu’il n’ait l’intention de saboter les négociations, de défier le monde entier, y compris les États-Unis et leur éternelle complaisance, et de tuer toujours plus de ces captifs qu’il prétend vouloir libérer.
Qu’une trêve soit conclue ou que Netanyahu la rejette pour poursuivre l’agression, il sortira de cette guerre vaincu et il sera destitué. Le Hamas et les autres groupes de la Résistance en sortiront victorieux sur le long terme, comme tous les mouvements de libération nationale qui ont mené une guérilla efficace contre leurs oppresseurs.
Gaza ne sera pas une exception. Demandez aux États-Unis ce qui s’est passé en Afghanistan, en Irak et au Viêt Nam, et rappelez-vous comment la domination française a pris fin en Algérie tout comme l’apartheid en Afrique du Sud. La liste est longue et l’histoire de l’humanité regorge d’exemples de ces luttes fières, courageuses et finalement victorieuses, pour la liberté.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
18 mars 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine