Assad est tombé exactement comme le Pentagone l’avait prévu il y a 23 ans

Une enfant et sa famille dans le camp de réfugiés d'Al-Hol, en Syrie - Photo : UNICEF / Delil Soleiman

Lorsque qu’un gouvernement « ennemi » s’effondre ou qu’une guerre civile éclate, on fait croire au public occidental qu’il s’agit d’un événement géopolitique naturel. Rien n’est plus faux.

Les longs efforts des États-Unis, de la Turquie et d’Israël pour renverser le gouvernement syrien, principalement par l’intermédiaire de leurs alliés d’Al-Qaïda, viennent, en un éclair, d’être couronnés de succès.

Damas est tombée quelques jours après que les forces de Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) dirigées par Abu Mohammad al-Jolani sont sorties, par surprise, de leur petite enclave du nord-ouest de la Syrie et se sont emparées de la deuxième ville du pays, Alep.

Il s’est avéré que le gouvernement de Bachar el-Assad et son armée étaient des tigres de papier. Ou plutôt, ils le sont devenus quand leurs principaux alliés – la Russie, l’Iran et le Hezbollah au Liban – ont été obligés de se désengager. Préoccupés par des problèmes plus proches de chez eux, ils ne pouvaient plus offrir le soutien militaire dont Assad dépendait.

Le déchaînement d’Israël au Liban et son intimidation militaire de l’Iran, ainsi que les efforts croissants de l’OTAN pour fixer la Russie en Ukraine, ont ranimé le conflit gelé depuis plusieurs années en Syrie, qui opposait l’armée d’Assad, la succursale d’Al-Qaïda en Syrie et les forces kurdes dans le nord-est du pays.

Soutenues par la Turquie, membre de l’OTAN, et plus secrètement par la CIA et le MI6, HTS et la soi-disant Armée nationale syrienne (ANS) ont pu avancer vers le sud sans entrave.

HTS est proscrit en tant que groupe terroriste par les États-Unis et la Grande-Bretagne. La CIA a placé une prime de 10 millions de dollars sur la tête de Jolani.

Étrangement, dans l’excitation du moment, la BBC et le reste des médias occidentaux ont oublié de mentionner que HTS était une organisation interdite – comme ils le font à chaque fois qu’il est fait référence au groupe de résistance palestinien Hamas.

Il est intéressant de noter que les politiciens et les médias occidentaux qui célèbrent aujourd’hui la « libération » de la Syrie par HTS sont les mêmes qui affirment qu’il faut absolument éradiquer les « terroristes » du Hamas, à Gaza, en bombardant et en réduisant à la famine toute la population palestinienne de l’enclave, c’est à dire plus de deux millions d’habitants.

Tout observateur rationnel devrait se poser quelques questions en ce moment même.

Comment croire que les mêmes groupes idéologiques qui sont des terroristes coupeurs de têtes, violeurs de femmes et oppresseurs de minorités lorsqu’ils opèrent dans l’Irak occupé par les États-Unis, sont maintenant des « rebelles modérés », respectueux de la diversité, lorsqu’ils opèrent à côté, en Syrie ?

Comment ceux qui dénoncent la complicité occidentale dans le génocide « plausible » d’Israël à Gaza, selon les mots de la Cour de justice internationale, sont-ils censés réagir au fait que l’Occident contribue à briser « l’axe de la résistance », qui a été le seul à réellement essayer d’arrêter ce génocide ?

HTS poursuit-il un programme nationaliste visant réellement à libérer les Syriens de l’impérialisme occidental, ou bien l’impérialisme occidental – tenant d’une main le chien d’attaque israélien comme bâton et de l’autre les chiens de luxe du Golfe comme carotte – est-il une fois de plus aux commandes en Syrie ?

Quel est l’avenir de « l’Axe de la résistance » après la chute d’Assad ?

Qu’est-ce qui correspond à la réalité dans ce que nous voyons et qu’est-ce qui n’est que propagande ?

L’Iran dans le collimateur

De nombreux indices peuvent nous aider à répondre à ces questions.

Wesley Clark, ancien général de l’armée américaine, s’est souvenu d’une visite qu’il a faite au Pentagone quelques semaines après les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles.

On lui a montré un document classifié qui expliquait comment les États-Unis allaient « éliminer sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et en terminant par l’Iran ».

Aucun de ces pays n’avait de lien évident avec les événements du 11 septembre. Celui qui en avait un – l’Arabie saoudite – ne figurait pas sur la liste et est resté l’un des États clients préféré des États-Unis.

L’ordre des cibles prioritaires établi par Washington a été modifié – et le calendrier n’a pas été tenu – mais la réalisation du plan de 2001 est plus proche que jamais.

L’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis et le Royaume-Uni, sous de faux prétextes, a conduit à la destitution du dictateur Saddam Hussein et à l’effondrement de l’État irakien.

Le pays a été plongé dans une guerre sectaire dévastatrice dont il peine encore à se remettre.

L’ingérence de l’OTAN en Libye, toujours sous de faux prétextes, a conduit à la destitution du dictateur Mouammar Kadhafi et à l’effondrement de l’État libyen en 2011. Depuis, c’est un État failli dirigé par des seigneurs de la guerre.

Le Soudan et la Somalie – cette dernière ayant fait l’objet d’une invasion éthiopienne soutenue par les États-Unis en 2007 – sont tous deux des cas désespérés, déchirés par d’horribles guerres civiles que les États-Unis ont contribué à attiser plutôt qu’à résoudre.

La destruction de ces différents États a créé un espace propice à l’épanouissement de nouveaux groupes islamistes ultra-violents et intolérants tels qu’Al-Qaïda et le groupe État islamique (EI).

Le soutien ouvert de la Turquie aux rebelles en Syrie – ainsi que le soutien plus secret de la CIA et du MI6 – ont conduit à la destitution du dictateur syrien Assad ce week-end et à l’effondrement de ce qui restait de l’État syrien. Il est difficile d’imaginer qu’une autorité unifiée puisse émerger dans le pays.

Entre-temps, les conditions de reddition imposées à Beyrouth pour mettre fin aux bombardements sauvages d’Israël sur le Liban ne semblent pas conçues pour tenir. Les arrangements sectaires déjà fragiles qui tiennent à peine l’État libanais en un seul morceau sont presque certains de s’effondrer dans les mois à venir.

L’Iran, dernière cible sur la liste du Pentagone, est désormais dans le collimateur. Privé de ses alliés en Syrie et désormais largement coupé de ses alliés du Hezbollah au Liban, Téhéran est plus vulnérable qu’il ne l’a jamais été.

Vue d’ensemble

Rien de tout cela n’est accidentel.

Si les opinions publiques occidentales n’étaient pas si profondément influencées par des années de désinformation de la part de leurs politiciens et de leurs médias, elles pourraient commencer à voir une image plus large se dessiner progressivement.

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Un tableau où ce qui est en jeu, c’est le destin de la Syrie, du Liban, de la Palestine et de l’Iran. Un tableau dans lequel les puissances occidentales, sous la houlette de Washington, s’ingèrent une fois de plus, en violation du droit international, pour détruire l’intégrité territoriale de chacun de ces pays. Une situation dans laquelle les intérêts géostratégiques d’Israël et de l’Occident s’exercent aux dépens de la liberté et du bien-être des habitants de la région.

C’est mal d’être un dictateur. C’est mal d’assassiner des civils. Mais l’utilisation sélective que nos médias aux ordres font de ces truismes, obscurcit le tableau d’ensemble.

Lorsque qu’un gouvernement « ennemi » s’effondre ou qu’une guerre civile éclate, on fait croire au public occidental qu’il s’agit d’un événement géopolitique naturel. Rien n’est plus faux.

A la base, il y a la croyance, jamais remise en question, que le monde se dirige, avec des hauts et des bas, vers un ordre démocratique libéral. C’est pourquoi HTS se présente désormais, avec l’aide des médias occidentaux, comme pragmatique et modéré.

« Modéré », sans doute, dans le sens où l’Arabie saoudite est considérée comme “modérée” dans la couverture médiatique occidentale.

Lorsque l’Occident intervient, selon ce récit, c’est uniquement pour aider les retardataires à se rapprocher plus vite de cet ordre libéral de rêve : quelque chose qui ressemble aux États-Unis, mais sans Donald Trump, sans victimes d’armes à feu, sans drogués, sans malades mentaux, et sans que près de la moitié des adultes en âge de travailler soient privés de soins de santé appropriés.

On fait croire aux Occidentaux que ces changements de pouvoir vont toujours dans le bon sens, en renversant des dictateurs illégitimes ou en apportant la lumière à des systèmes politiques rétrogrades.

Malheureusement, les événements mondiaux – en particulier lorsqu’il n’y a qu’une seule superpuissance militaire, les États-Unis, avec quelque 750 bases dans le monde – suivent rarement un chemin aussi direct.

L’accès au pétrole

Le mémo du Pentagone de 2001 montré à Clark était en fait un remaniement d’un plan militaire pour le Moyen-Orient qui circulait à Washington depuis plus longtemps encore – et qui n’avait rien à voir avec la réponse au 11 septembre ou au terrorisme.

Il s’agissait de protéger la base avancée des intérêts américains dans cette région riche en pétrole qu’est Israël.

Les champions de cette idée étaient un groupe de plus en plus influent appelé les néoconservateurs – ou néocons en abrégé.

En 1996, ils avaient formalisé leur plan de « refonte » du Moyen-Orient dans un document intitulé A Clean Break (Une rupture nette). Ce document proposait qu’Israël renonce aux accords d’Oslo et à toute initiative de paix avec les Palestiniens – la « rupture nette » du titre – et passe à l’offensive contre ses ennemis régionaux, avec le soutien des États-Unis.

Qu’est-ce que cela signifie ? Il fallait, pour les auteurs, aider Israël à « affaiblir, contenir et même faire reculer la Syrie », puis à « chasser Saddam Hussein du pouvoir en Irak ». L’étape suivante consisterait à « éloigner les chiites du Sud-Liban du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie ».

Quatre ans avant A Clean Break, les néoconservateurs expliquaient que l’objectif premier de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient était de « préserver l’accès des États-Unis et de l’Occident au pétrole de la région ». L’autre objectif, pas très éloigné du premier, était d’aider Israël à se débarrasser de ce qu’on appelle le « problème palestinien ».

Plus tard, dans un document publié en 2000 et intitulé Rebuilding America’s Defenses (Reconstruire les défenses de l’Amérique), ils ont précisé que les États-Unis devaient veiller à conserver des « forces avancées » au Moyen-Orient, pour y maintenir une domination militaire « compte tenu des intérêts américains de longue date dans la région ». Ces intérêts sont avant tout, bien sûr, le pétrole.

L’objectif ultime, explique le document, est d’empêcher la Chine de développer des liens plus étroits avec des États pétroliers clés tels que l’Iran.

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Les auteurs de ces documents allaient bientôt occuper des postes clés dans l’administration de George W. Bush, qui a pris ses fonctions en janvier 2001.

Bien installés au Pentagone et au Département d’État, ils n’étaient que trop prêts à exploiter le 11 septembre comme prétexte pour accélérer leur agenda préexistant, comme Clark l’a compris dans le mémo du Pentagone.

Un bon coup sur le nez

La Syrie était considérée par les néoconservateurs et Israël comme la cheville ouvrière, la ligne d’approvisionnement entre l’Iran et le Hezbollah, l’allié militaire de Téhéran au Liban, d’une importance capitale. La rupture de ce lien était une priorité.

Ce sont principalement les positions bien fortifiées et dissimulées du Hezbollah au Sud-Liban, ainsi que son important stock de roquettes livrées par l’Iran, qui ont permis de maintenir Israël à distance au plan militaire.

Israël a reçu un coup sur le nez inattendu lorsqu’il a tenté de réoccuper le Sud-Liban en 2006. Il a été contraint de battre en retraite précipitamment en quelques semaines. Israël a également dû renoncer à étendre cette même guerre à la Syrie, un échec qui a exaspéré les néoconservateurs de Washington à l’époque.

L’arsenal de roquettes du Hezbollah a également freiné les ambitions d’Israël de nettoyer ethniquement – ou pire – les Palestiniens de leurs terres à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, comme l’ont montré les événements actuels.

En fin de compte, Israël a réalisé qu’il était impossible d’achever son génocide de Gaza sans neutraliser le Hezbollah et la Syrie, et sans contenir l’Iran.

Dans quelle mesure Washington s’est-il impliqué concrètement dans la chute d’Assad ?

Les indices ne manquent pas.

Après l’échec d’Israël en 2006, les Etats-Unis ont cherché un nouvel itinéraire pour atteindre la même destination. L’opération Timber Sycamore est née en secret peu après l’éclatement du Printemps arabe en 2011.

Cette opération militaire secrète a été conçue pour fonctionner en conjonction avec un régime de sanctions de plus en plus draconiennes visant à étrangler l’économie syrienne.

La CIA, soutenue par le MI6 britannique, a commencé à travailler en secret pour renverser Assad. L’Arabie saoudite était également très impliquée, probablement en raison de ses liens étroits avec les groupes djihadistes extrêmes de la région, notamment Al-Qaïda et l’État islamique, qui allaient bientôt jouer un rôle central dans l’opération de changement de régime.

Jake Sullivan, aujourd’hui conseiller de Joe Biden en matière de sécurité nationale, a clairement indiqué qui allait l’aider. Dans un courriel envoyé fin 2012, alors que Timber Sycamore était en cours d’élaboration, il a écrit à la secrétaire d’État de l’époque, Hillary Clinton, pour éviter toute confusion sur les alliés de Washington : « AQ [Al-Qaïda] est de notre côté en Syrie ».

Un courriel envoyé à Mme Clinton plus tôt, au printemps 2012, avait exposé la pensée émergente au sein du département d’État.

« Les diplomates américains et le Pentagone peuvent commencer à renforcer l’opposition. Cela prendra du temps », affirmait le courriel. « Le résultat sera substantiel ».

« L’Iran serait stratégiquement isolé, incapable d’exercer son influence au Moyen-Orient. Le Hezbollah au Liban serait coupé de ses sponsors iraniens puisque la Syrie ne serait plus un point de transit pour l’entraînement, l’assistance et les missiles iraniens ».

Le principal bénéficiaire est également clair : « L’Amérique peut et doit les aider [les rebelles syriens] et, ce faisant, aider Israël ».

Construire les forces rebelles

Selon des responsables américains, la CIA avait formé et équipé près de 10 000 combattants à l’été 2015, pour un coût annuel de 100 000 dollars par rebelle.

Riyad a fourni encore plus d’argent et d’armes, attirant des combattants islamistes et des mercenaires de toute la région. La Jordanie a accueilli les bases d’entraînement. La CIA et les Saoudiens ont fourni conjointement aux rebelles les renseignements nécessaires pour guider leurs opérations en Syrie.

Israël, qui faisait depuis longtemps pression sur Washington pour qu’un tel programme secret soit mis en place contre le gouvernement syrien, a également joué un rôle de premier plan. Il a fourni des armes et largué des milliers de bombes sur les infrastructures syriennes pour maintenir Assad sous pression.

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Il a fourni ses propres renseignements aux rebelles et offert des installations médicales pour soigner les combattants blessés.

En 2012, Ehud Barak, alors ministre israélien de la défense, a expliqué le raisonnement d’Israël à CNN : « Le renversement d’Assad portera un coup majeur à l’axe radical, un coup majeur à l’Iran… et il affaiblira considérablement à la fois le Hezbollah au Liban et le Hamas et le Djihad islamique à Gaza. »

Après que l’opération de la CIA a finalement été révélée en 2016, Washington y a officiellement mis fin.

Mais l’efficacité de l’opération Timber Sycamore avait déjà été sérieusement mise à mal par l’entrée de l’armée russe en Syrie à la fin de l’année 2015, à l’invitation d’Assad.

Les fronts de bataille ont fini par se durcir pour aboutir à une impasse.

« Nous aimons Israël »

Aujourd’hui, des années plus tard, les lignes de combat se sont soudainement décomposées. Comme Washington l’avait envisagé il y a 23 ans, Assad est le dernier dictateur du Moyen-Orient, qui dérangeait Israël, à avoir été renversé.

HTS tient à rassurer Washington sur le fait qu’il ne constitue pas une menace pour Israël, ni pour le génocide qui se poursuit à Gaza.

Des interviews à la télévision israélienne ont montré des commandants rebelles faisant l’éloge des frappes aériennes israéliennes sur la Syrie, les citant comme l’un des facteurs ayant contribué à la progression rapide de HTS.

Channel 12 a interviewé un commandant anonyme qui a également noté que le cessez-le-feu d’Israël avec le Hezbollah avait été déterminant pour le timing de l’attaque de HTS sur Alep.

« Nous avons examiné l’accord [de cessez-le-feu] avec le Hezbollah et nous avons compris que c’était le moment de libérer nos terres », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nous ne laisserons pas le Hezbollah combattre dans nos régions et nous ne laisserons pas les Iraniens s’y implanter ».

Dans une autre interview accordée à la chaîne israélienne Kan TV, un combattant a déclaré : « Nous aimons Israël et nous n’avons jamais été ses ennemis. »

Les États-Unis et la Grande-Bretagne, surpris par la rapidité du succès des rebelles, s’empressent de retirer la prime de 10 millions de dollars de la CIA sur la tête de Jolani et de rayer le HTS de leurs listes de terroristes.

Israël n’a pas perdu de temps pour envahir – et annexer de fait – des pans entiers du territoire syrien, qui viennent s’ajouter aux zones du Golan dont il s’est emparé en 1967, en violation du droit international. Comparez la réaction discrète de l’Occident à cette invasion israélienne de la Syrie avec l’indignation qu’il a manifestée lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

Dans le même temps, Israël a lancé des centaines de frappes aériennes sur la Syrie, bombardant l’infrastructure militaire du pays pour s’assurer que le prochain gouvernement – si un tel gouvernement émerge un jour – n’aura pas les moyens de se défendre. Israël veut une Syrie aussi impuissante et vulnérable que la Palestine, où il commet un génocide.

Selon le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Israël est en train de « changer la face du Moyen-Orient ».

L’échiquier géant

Les analystes des affaires internationales sérieux ne voient pas, de manière simpliste, le monde comme un champ bataille entre le bien et le mal – où les méchants deviennent soudainement des gentils, quand la BBC le décide.

Ils considèrent que les affaires mondiales se déroulent sur un échiquier géostratégique mondial, sur lequel les grandes puissances du moment tentent de mettre leurs rivaux en échec ou d’éviter de l’être.

Les surprises surviennent, comme aux échecs, lorsqu’un joueur ne prévoit pas ou ne peut pas éviter le prochain mouvement de son adversaire.

La Syrie, de toute évidence, n’est pas une grande puissance. C’est un pion. Mais un pion très utile, néanmoins. Aussi utile que l’Ukraine. Les champs de bataille peuvent sembler distincts, mais ils se trouvent, bien sûr, sur le même échiquier.

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Et les joueurs – les États-Unis, la Russie et la Chine, et dans une moindre mesure l’Iran, Israël et la Turquie – doivent chacun utiliser ces pions à bon escient pour faire avancer leurs objectifs stratégiques.

Les citoyens ordinaires ont un certain pouvoir. Mais les grandes puissances s’efforcent de limiter, d’apprivoiser et de mobiliser ce pouvoir populaire pour promouvoir leurs propres intérêts et nuire à ceux de leurs rivaux.

Israël est le grand gagnant de ce round. La Syrie sort brisée de ses longues années de guerre civile par procuration et des sanctions occidentales. Soit elle s’effondrera dans de nouvelles discordes sectaires, consommant toutes ses énergies – Israël peut facilement intervenir pour attiser ces tensions -, soit son nouveau gouvernement cherchera à se réhabiliter auprès de l’Occident. Un accord de paix avec Israël serait sans doute la condition d’entrée.

La Syrie ayant été éliminée de l’« axe de la résistance », le Hezbollah au Liban a été coupé de l’Iran, ce qui isole et affaiblit les deux principaux ennemis régionaux d’Israël qui ont survécu. Et Israël va pouvoir achever son génocide du peuple palestinien sans être dérangé.

Les intérêts de la Turquie en Syrie ne sont pas en conflit avec ceux d’Israël ou de Washington. Elle souhaite renvoyer en Syrie les millions de réfugiés qu’elle accueille actuellement et éliminer toute base permettant aux factions kurdes de Syrie de s’allier à ses propres groupes de résistance kurdes pour les aider.

Éviter l’échec et mat

Le camp perdant va maintenant devoir repenser sa stratégie.

Privée de son allié syrien, la Russie est désormais plus exposée sur l’échiquier mondial. Si elle ne parvient pas à convaincre le nouveau gouvernement de Damas, elle risque de perdre son port naval de Tartous, sur la côte syrienne, qui revêt une importance stratégique pour la Méditerranée.

Washington tordra le bras de celui qui dirigera la Syrie pour qu’il force la Russie à partir. C’est la crainte de perdre son autre port naval en eaux chaudes, sur la mer Noire, à Sébastopol en Crimée – après l’ingérence de Washington pour renverser le gouvernement ukrainien favorable à Moscou en 2014 – qui l’a conduite à annexer la péninsule.

C’est la rupture par Washington des traités sur les missiles et la menace d’une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN afin de placer l’arsenal nucléaire de l’Occident aux portes de Moscou qui ont conduit à l’invasion de la Russie en 2022.

Les événements de ces derniers jours en Syrie soulignent à quel point le récit occidental selon lequel les actions de la Russie sont entièrement « non provoquées » est biaisé et n’explique rien.

L’OTAN travaille en coulisses pour déplacer ses pions. Il en va de même pour la Russie afin d’éviter un échec et mat.

Dans ce « jeu », il n’y a pas de bons. Il n’y a que des jeux de pouvoir. Et les États-Unis ont beaucoup plus de pièces sur le plateau : 750 bases militaires encerclant le globe pour imposer par la force une politique de « domination à spectre complet ».

Les nouveaux systèmes de missiles avancés de la Russie, la force de dissuasion que son arsenal nucléaire lui confère, ses alliances avec d’autres pays menacés par l’empire américain – principalement la Chine et l’Iran – sont les forces qui lui restent.

L’Iran, désormais isolé de ses alliés en Syrie et du Hezbollah au Liban, devra réfléchir aux ressources qu’il peut apporter dans le jeu. Les voix qui l’appellent à renoncer à ses scrupules religieux et à développer une arme nucléaire, afin de neutraliser l’arsenal existant d’Israël, se feront de plus en plus fortes.

Enfin, la Chine n’est que trop consciente du fait que, en cherchant à affaiblir et à isoler la Russie et l’Iran, les États-Unis s’attaquent en fin de compte à la Chine. Il ne peut y avoir de « domination mondiale à spectre complet » tant que la Chine n’est pas acculée, tant que Washington ne peut pas la mettre « échec et mat ».

11 décembre 2024 – Jonathan-Cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

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