Par Mariam Barghouti
Les récentes attaques contre des centres culturels palestiniens visaient ceux qui cherchent à réimaginer et à redéfinir l’identité palestinienne. Les médias israéliens ont été plus qu’heureux d’exploiter ce conflit.
Au milieu de l’attaque israélienne systémique contre la résistance armée palestinienne en Cisjordanie, les Palestiniens ont également été confrontés à une attaque venue de l’intérieur – contre l’imagination, la liberté d’expression et la réflexion sur les questions d’identité dans les espaces culturels palestiniens.
Le 2 août, l’un des centres culturels de Ramallah dirigé par des jeunes, al-Mustawda3 [1], a publié une lettre ouverte sur son compte de médias sociaux.
Cette lettre avait été précédée d’une déclaration, le 27 juin, annonçant que le lieu culturel serait fermé pour une durée indéterminée à la suite des événements survenus dans la soirée du 17 juin, lorsqu’un spectacle musical public de l’artiste palestinien Bashar Murad, né à Jérusalem, a été brusquement annulé à al-Mustawda3.
« Le verre brisé au sol et les voitures vandalisées n’étaient que le début », peut-on lire dans le communiqué.
Ce fut le premier d’une série d’événements culturels qui ont été interrompus de la même manière, souvent précédés ou suivis par la violence d’agresseurs palestiniens en groupes.
Dans les semaines qui ont suivi, les suites du conflit social palestinien ont été pleinement exposées dans les médias israéliens, qui se sont empressés de couvrir la vague d’attaques dans un esprit typiquement colonial. Pourquoi ces attaques ont-elles lieu ?
À en croire le récit des médias sionistes, les événements qui ont été interrompus étaient des « fêtes gay » devenues la cible de groupes « jihadistes » anonymes.
On peut bien sûr s’attendre à cet exercice évident de pinkwashing . Mais les attaques elles-mêmes sont encore plus préoccupantes lorsqu’elles sont débarrassées du sensationnalisme orienté de la presse israélienne.
La réalité de cette vague de répression – ses motivations, les identités des groupes sociaux impliqués et leurs alignements politiques – est plus complexe que ne le suggère le récit des médias israéliens (ou, en fait, le récit des attaquants tel qu’il a été répercuté sur les médias sociaux).
Cet épisode du conflit social est préoccupant non seulement en raison du déni du droit à la sécurité des personnes, mais aussi en raison de la restriction de leur liberté d’imaginer, de confronter et de contester les problèmes de la société palestinienne.
Le danger ici est que toute tentative de réimaginer et de redéfinir l’identité palestinienne dans ses différentes facettes soit l’objet d’actions violentes et exploitée contre les Palestiniens qui choisissent de s’engager dans ces formes d’expression.
Les événements du 17 juin
« Honnêtement, je ne sais pas comment tout s’est passé si vite », a déclaré Bashar Murad à Mondoweiss lors d’une interview Zoom depuis son domicile le 19 juin, deux jours seulement après l’agression.
Dans un quartier de la zone industrielle de Ramallah, plus de 40 hommes ont encerclé le centre culturel et ont exigé de manière agressive l’arrêt de l’événement. Cela s’est produit un peu avant le début du concert de Murad, alors que les participants avaient déjà acheté leurs billets et s’étaient rassemblés sur le lieu du concert.
Alors que les organisateurs et la direction s’enquéraient de ce qui se passait, les menaces de violence les ont poussés à annuler immédiatement le spectacle, en proposant de rembourser les participants, lesquels ont refusé en signe de soutien collectif et de solidarité.
Mais avant que les participants puissent sortir, les hommes qui s’étaient rassemblés à l’extérieur ont commencé à attaquer le centre et les personnes qui s’y trouvaient.
« Ma préoccupation était les participants. Je ne voulais pas que quelqu’un soit blessé », a affirmé Murad.
Les inquiétudes de Murad sont rapidement devenues réalité lorsque les assaillants ont commencé à briser les vitres des voitures garées à l’extérieur, d’après le récit de Murad et des témoins.
Bien que les organisations ont cédé aux exigences et annulé rapidement la représentation (après les intimidations), le groupe d’assaillants a commencé à jeter des pierres et à briser des vitres directement sur le lieu de la représentation, alors même que les participants allaient quitter les lieux.
Il est courant que des événements culturels soient annulés et fermés les jours où des Palestiniens sont tués par les forces israéliennes d’occupation. Et en effet, plus tôt ce jour-là, trois Palestiniens ont été abattus froidement par Israël à Jénine.
Si l’on exclut cette considération, la prétendue justification de la « préservation des normes socioculturelles » semble plutôt être une déformation de la réalité visant à présenter les assaillants comme des avant-gardes de l’esprit collectif national, dans le but d’influencer l’opinion publique.
En effet, certains médias locaux ont tenté de présenter l’attaque dans le contexte de l’assassinat par Israël de combattants de la résistance.
Cependant, un examen plus approfondi dans les incidents montre un réseau plus enchevêtré de relations sociales, d’identification collective, de politique et d’intérêts économiques.
« Même lorsque les gens ont commencé à partir, [les assaillants] se sont mis à les insulter », a expliqué Murad à Mondoweiss.
Parallèlement aux attaques physiques, des témoins ont rapporté que les assaillants ont crié des insultes homophobes aux participants. Dans le même temps, la police de l’Autorité palestinienne (AP) vue sur les lieux, est restée les bras croisés au lieu d’intervenir pour mettre fin à la violence.
De plus, une vidéo des hommes menaçant les organisateurs et la direction du lieu montre l’un des assaillants, Yamin Jarrar – fils du cheikh palestinien Bassam Jarrar, largement critiqué pour avoir diffusé des analyses sociopolitiques fausses et non fondées – déclarant que « nous représentons ici tous les jeunes honorables de Ramallah ».
Non seulement les vitres d’al-Mustawda3 ont été détruites, mais les participants ont également été blessés malgré les appels au calme. Plusieurs personnes ont été blessées, dont deux ont été hospitalisées le soir même, mais seulement après avoir été retenues pour un interrogatoire au poste de police après l’agression.
Aucune protection dans un contexte de fractures sociales
Ce qui est à la fois peu surprenant et frappant dans cet incident, c’est qu’alors que les assaillants s’acharnaient à endommager les biens et à blesser les participants, il a fallu près de 40 minutes à la police de l’AP pour intervenir.
Selon des témoins qui ont parlé à Mondoweiss sous couvert d’anonymat, certains des assaillants ont été vus sur place en train de converser avec des officiers, avant d’agresser physiquement les participants et de vandaliser le centre.
Des témoins directs ont également déclaré à Mondoweiss que les assaillants ont accusé le spectacle prévu d’être une « fête gay », pensant ainsi justifier la violence qui allait suivre (une affirmation que les médias israéliens se sont empressés de reprendre et de répéter comme un fait acquis).
Au lieu de demander des comptes aux assaillants, la police a placé plusieurs des participants en garde à vue, avec les organisateurs et Murad en fin de liste. Des témoins ont informé Mondoweiss que si le prétexte pour les conduire au poste de police était de protéger les participants et de recueillir des déclarations sous serment, aucune des personnes détenues ne s’est sentie suffisamment en sécurité ou protégée pour faire part de son témoignage.
Une enquête plus approfondie de Mondoweiss nous a appris que non seulement la police n’a pas demandé de comptes aux agresseurs, mais qu’elle a en plus maltraité le groupe détenu, lui refusant les soins ou le soutien appropriés, ce qui a conduit le groupe à refuser de livrer ses témoignages.
« La police n’était pas de notre côté, elle ne semblait pas se soucier beaucoup de notre bien-être et nous n’avions pas l’impression que c’était sûr pour nous de fournir nos témoignages », a déclaré, encore sous le choc, S., 33 ans, à Mondoweiss le soir qui a suivi l’agression.
En décembre 2019, la police palestinienne serait également restée les bras croisés pendant que trois Palestiniens étaient attaqués pour leur orientation sexuelle.
Cela pose inévitablement la question de la sécurité des lieux culturels palestiniens lorsque la diversité sexuelle est si facilement traitée comme une menace et une justification pour une répression violente. Cela soulève également des questions plus larges sur ce que cela signifie pour le paysage politique en Palestine.
Note :
[1] Al-Mustawda3 signifie “l’entrepôt” en arabe ; le “3” final symbolise la lettre arabe “ع [‘ayn]”, il est souvent utilisé pour désigner la prononciation correcte de certains mots arabes lorsqu’on les écrit en anglais (ou en français)
Auteur : Mariam Barghouti
* Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l'International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Mariam Barghouti est également correspondante en Palestine du site d'informations et d'analyses Mondoweiss. Son compte Twitter.
7 octobre 2022 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine