Le 27 janvier, le président des États-Unis, Donald Trump, a signé une ordonnance exécutoire pour mettre en oeuvre les interdictions sur lesquelles il s’était engagé à l’encontre des musulmans. L’une des principales dispositions de l’ordonnance est l’interdiction de visas américains pour les ressortissants de sept pays: l’Irak, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen, tous pays à majorité musulmane.
Il y a quelque chose de particulier dans cette liste… Le projet d’ordonnance commence par citer le 11 septembre comme un échec du “processus d’émission de visas”. Il blâme le département d’État d’avoir empêché que “soient examinées correctement les demandes de visa de plusieurs des 19 ressortissants étrangers venus assassiner 3000 Américains”.
L’écrasante majorité de ces individus venaient d’Arabie saoudite, mais l’Arabie saoudite n’est pas sur la liste… En outre, lorsqu’il s’agit du “terrorisme national” où des musulmans ont été accusés, inculpés, condamnés et tués, certains d’entre eux provenaient de ces sept pays figurant sur la liste de Trump et d’autres non. Certains sont des immigrants et certains sont des citoyens américains, une partie d’entre eux ayant été repérés par les organismes fédéraux d’application de la loi. Cela signifie que la liste doit être beaucoup plus longue, ou qu’il y a quelque chose de plus en jeu que des préoccupations de sécurité nationale.
Le musulman doit servir d’épouvantail
Trump a promis une “interdiction des musulmans” dans le cadre de sa stratégie électorale. Il a obtenu un large appui à sa candidature en faisant grossir la vague déjà bouillonnante du racisme anti-musulman aux États-Unis. La façon dont le racisme anti-musulman fonctionne, c’est que l’islam et les musulmans sont un épouvantail, détesté et craint en raison de la façon dont ils sont “différents”, c’est-à-dire dans leur apparence et dans ce qu’ils font. Les musulmans sont présentés comme des croquemitaines, et pas seulement parce que certains musulmans sont coupables d’actes violents contre des Américains.
Comme il a été rapporté peu de temps après que le raciste suprématiste blanc Dylann Roof ait assassiné neuf Noirs américains à Charleston, ce sont des Américains blancs qui causent le plus grand nombre de morts américains par des actes terroristes sur le sol américain. Pourtant, sans surprise, Trump n’a signé aucun décret ciblant spécifiquement les Américains blancs. C’est parce que l’islam et les musulmans ont été “mis à part”… considérés dans l’imagination populaire comme intrinsèquement mauvais.
La violence à l’égard des femmes et les crimes d’honneur en particulier, sont cités à deux reprises dans le projet comme quelque chose contre lequel le gouvernement américain se doit de protéger les citoyens. Cette pratique spécifique de la violence contre les femmes a été définitivement attribuée aux Arabes et aux musulmans dans le discours populaire. Il s’appuie sur un récit plus largement répandu dans lequel les femmes musulmanes sont opprimées par les hommes dans leur vie, leurs familles et la religion qu’elles pratiquent, et qu’elles ont besoin d’être sauvées – par les États-Unis.
Rappelons-nous l’appel de Laura Bush pour soutenir l’invasion de l’Afghanistan pour sauver les femmes musulmanes. En incluant explicitement les “crimes d’honneur”, Trump veut surtout dire à ses partisans: “Je vous ai dit que je ferais quelque chose à propos de ce croquemitaine, et regardez, je le fais. Et ce quelque chose est doublement significatif pour les gens qui croient que nous devons “make America great again”, parce qu’il ne s’agit pas seulement de s’opposer aux maux de “l’extrémisme islamique”, mais aussi de soit-disant défendre la démocratie et la liberté.
Cela nourrit l’idée que la violence contre les femmes est une spécificité musulmane en raison de leur “culture en retard”. Pourtant, aux États-Unis, chaque minute près de 20 personnes, dont une très large majorité des femmes, sont victimes de violence conjugale. Mais Trump ne renforce pas les protections existantes contre les violences faites femmes ici même aux États-Unis.
En fait, alors qu’il se targue d’être un croisé contre les crimes d’honneur à l’étranger, il restreint fortement chez lui les financements pour l'”Office on Violence Against Women” [Bureau sur la Violence Contre les Femmes]. Cela signifie des compressions dans les programmes qui tentent ici d’empêcher la violence familiale et fournissent des services comme le logement de transition et l’aide juridique – services qui seraient certainement également bénéfiques pour les femmes blanches et ouvrières que l’ont trouvent chez les partisans Trump.
Poudre aux yeux et illusions
Trump a également promis des emplois et à cette fin, il a signé un décret afin de faire avancer le Dakota Access Pipeline. Mais de tous les emplois qu’il promet, seulement environ 40 seront permanents, ce qui est à remarquer étant donné que les partisans de Trump recherchent plutôt un travail permanent.
Il a également promis de protéger les Américains contre le dit fléau de l’immigration clandestine en construisant un mur. Il a signé une ordonnance à ce propos cette semaine, et ce qui n’est pas dit dans toute cette fanfare, c’est que ce sont les contribuables américains et non le Mexique, qui supporteront les coûts du projet de loi.
Et bien qu’il n’y ait pas encore de décret, la récente déclaration de Trump selon laquelle il enverrait les “agents fédéraux” à Chicago pour arrêter ce qu’il a appelé le “carnage américain” lors de son investiture, ne fait que dissimuler son véritable objectif : la militarisation sur le front intérieur. Et tandis que seront d’abord ciblés ceux qui vivent dans les “effrayantes” villes intérieures, il finira par compromettre la liberté à laquelle ses partisans semblent tant tenir.
Alors qu’est-ce qui est en jeu ici ? Trump continue ce qu’il a commencé durant sa campagne électorale. Il exploite la peur qui engendre le genre de xénophobie où les gens sont excités par les murs et les interdictions. Mais c’est seulement pour les distraire de toutes les promesses qu’il ne tiendra pas.
En conclusion, toutes ces initiatives sont un écran de fumée et des jeux de miroirs dans lesquels Trump excelle. Cependant, cela ne signifie pas que ces distractions ne sont pas dangereuses. En effet, elles le sont. Elles sont un danger pour les communautés de couleur qu’elles visent. De même, elles sont dangereuses pour les partisans de Trump qui trouveront que même avec des interdictions et des murs, ils seront encore et toujours marginalisés.
* Suad Abdul Khabeer est professeur adjoint d’anthropologie et d’études afro-américaines à l’Université Purdue. Elle est fondatrice et rédactrice en chef de sapelosquare.com et auteur de Muslim Cool: Race, Religion and Hip Hop in the United States.
29 janvier 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah