Aucune force sur Terre ne peut déraciner la Palestine

Photo : réseaux sociaux

Par Salah Hammouri

Salah Hammouri, habitant de Jérusalem en exil, réfléchit à l’incarcération massive de Palestiniens par Israël et à la manière dont son objectif de « dompter » la résistance palestinienne a été contrecarré.

Les forces d’occupation israéliennes m’ont arrêté en mars 2022, et le 4 décembre de la même année, ma détention administrative a pris fin.

Ce jour-là, un agent des services de renseignement israéliens a convoqué mes parents pour qu’ils viennent signer les documents relatifs à ma libération, dont un qui leur interdisait d’organiser une fête en l’honneur de ma liberté, comme il est d’usage lorsque des prisonniers palestiniens de Jérusalem sont libérés.

À la fin de l’appel téléphonique, mes parents étaient certains que je rentrerais bientôt chez moi.

Pourtant, le même jour, j’ai reçu un avis confirmant qu’une décision avait été prise de révoquer ma citoyenneté et de m’expulser de mon pays d’origine.

Ces informations contradictoires – ma famille avait été convoquée pour signer mes papiers de libération et ils avaient l’intention de m’expulser – m’ont plongé dans l’incertitude pendant les jours qui ont suivi. Allais-je retourner chez moi à Jérusalem ou allais-je être expulsé vers la France ?

Le 17 décembre, peu avant minuit, les agents de la prison m’ont annoncé que mon arrêté d’expulsion allait être exécuté le soir même. Tout s’est passé très vite, à tel point que je suis encore aujourd’hui en état de choc.

Je me suis préparé et j’ai fait mes adieux à mon compagnon de cellule, et j’ai insisté pour dire au revoir au reste de mes compagnons de prison, ce que les gardiens m’ont laissé faire – mais par derrière les portes.

Plus tard, quatre membres des services de renseignements israéliens et de la police des frontières sont arrivés en civil. Ils m’ont attaché les poignets et les chevilles, m’ont fait monter dans une jeep de l’armée et nous avons quitté la prison.

Je n’ai pas cédé au désespoir malgré mes sentiments mitigés. Alors que nous roulions de la prison à l’aéroport, je me suis retrouvé soudainement désorienté. Devrais-je regarder par la fenêtre pour immortaliser la scène ? Mais cela limiterait les images de ma patrie bien-aimée à ce que je vois à travers la vitre de la voiture. J’ai donc décidé de fermer les yeux.

J’ai refusé de partir en silence et j’ai voulu faire connaître ma position. La veille de mon expulsion, j’ai fait passer clandestinement un message audio depuis la prison, dans lequel je disais :

« Salutations aux enfants de mon peuple palestinien résistant ; salutations à la patrie palestinienne et salutations préliminaires au premier peuple…
J’envoie ce message alors que je suis déplacé de force et déraciné de ma patrie, car l’ennemi croit qu’en pratiquant une politique de déplacement et de nettoyage ethnique, il nous vaincra.
Mais au cœur de notre identité palestinienne se trouvent l’action, la foi et l’appartenance, la terre et la mémoire, le temps et le lieu ; ainsi, aucun ordre de déportation forcée, ni aucun nettoyage ethnique ne pourrait nous intimider, ni nous dissuader ou nous faire dévier de notre choix de résister.
De la même manière, aucune force sur terre ne peut physiquement déraciner la Palestine, pas plus qu’il n’existe de force capable d’ôter la Palestine de nos esprits et de nos cœurs.
Je te quitte aujourd’hui, ma patrie bien-aimée, par la force. Je vous quitte aujourd’hui – de la prison à l’exil. Cependant, soyez certains que je resterai fidèle à mon engagement, fidèle à vous et dévoué à votre liberté. Je t’emporterai avec moi où que je sois et tu resteras ma seule boussole. Et jusqu’à ce que nous nous rencontrions à nouveau, et que je puisse vous embrasser à Jérusalem, en Galilée et à Haïfa, vous pouvez exiger n’importe quoi de moi, et je vous promets que je resterai votre loyal soldat pour toujours, pour toujours, pour toujours ».

Cela fait maintenant presque deux ans que j’ai été exilé.

Lorsque je regarde les 23 dernières années, l’incarcération des Palestiniens – en tant que principe central du système de contrôle et de domination d’Israël – représente l’un des outils les plus dévastateurs de l’arsenal d’oppression de l’ennemi. En outre, comme par le passé, les prisons sont aujourd’hui un mécanisme utilisé par l’ennemi pour dicter et délimiter chaque détail de la vie des Palestiniens.

Aucun foyer palestinien n’a été épargné par ces efforts : dans d’innombrables conversations, vous entendrez des Palestiniens parler du temps qu’ils ont passé en prison, ou d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’autres membres de leur famille qui ont été détenus.

L’objectif de l’ennemi, en construisant ses prisons tout le long de la Palestine occupée, est de tenter d’empêcher toute résistance, de quelque nature que ce soit.

Mais ce n’est pas tout. L’incarcération massive de Palestiniens dans le vaste réseau de prisons israéliennes répond à un autre objectif : affaiblir l’identité nationale palestinienne.

Cela n’a toutefois pas fonctionné.

Les prisons et leurs prisonniers sont indissociables de la réalité palestinienne. Leur lutte est devenue une question centrale dans le corps politique et la société palestinienne.

En outre, les prisonniers palestiniens ont conservé une forte conscience, malgré les pires tentatives d’Israël pour les affaiblir.

En effet, ils ont brisé la volonté de l’ennemi et contrecarré ses plans visant à créer « le nouveau Palestinien », qui est « apprivoisé » par Israël, puis libéré et renvoyé auprès de sa famille et de ses amis pour les influencer en conséquence.

Au contraire, les prisonniers palestiniens ont pu se réengager dans la vie politique et ont travaillé efficacement pour devenir une partie intégrante du mouvement national palestinien.

Au fil du temps et grâce à l’expérience qu’ils ont accumulée, ils ont pu mettre en place un système moral, culturel, organisationnel et sécuritaire qui a contribué à exporter un grand nombre de personnalités et de combattants nationaux à l’échelle internationale.

Il est certain que la fermeté et le défi ont toujours été le credo des combattants dans les prisons. L’écrivain et prisonnier turc Nazim Hikmet l’a magnifiquement expliqué dans son poème Some Advice to Those Who Will Serve Time in Prison (Quelques conseils à ceux qui vont purger une peine de prison):

« C’est votre devoir solennel
de vivre un jour de plus
pour contrarier l’ennemi.
Une partie de toi peut vivre seule à l’intérieur,
comme une pierre au fond d’un puits.
Mais l’autre partie
doit être tellement prise
dans l’agitation du monde
que tu frissonnes à l’intérieur
quand dehors, à quarante jours de distance, une feuille bouge ».

10 octobre 2024 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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