Par Ola Mousa
Certains de ses enfants vivent aujourd’hui en Europe ou en Amérique du Nord. Mais Khadija, âgée de 72 ans, ne peut pas leur rendre visite. Elle est dans l’impossibilité d’ obtenir une carte d’identité palestinienne, même pour essayer d’aller leur rendre visite. Sans de document, elle n’a aucun papier lui permettant de quitter le territoire.
Elle n’est pas seule dans ce cas. On estime à 5000 le nombre de Palestiniens à Gaza – selon le bureau du ministère des affaires civiles de l’Autorité palestinienne – qui connaissent la même situation. Israël a cessé de distribuer des cartes d’identité destinées aux résidents de la bande côtière après 2007, lorsque le Hamas a retiré le contrôle de Gaza au Fatah après avoir remporté les élections parlementaires l’année qui précédait.
Khadija et son mari, Muhammad Issa al-Najjar, vivent dans le quartier al-Rimal de la ville de Gaza. Muhammad est né en 1945 à Masmiya al-Kabira, un village palestinien de l’ancien district de Gaza (aujourd’hui du côté israélien de la clôture de séparation) qui a été vidé de force de ses habitants et largement détruit lors de la Nakba de 1948.
Il a étudié en Égypte avant la guerre de 1967 et a fait partie de ceux qui ne se sont pas inscrits au recensement israélien de 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Pour cette raison, lui et sa famille n’ont pas pu retourner à Gaza jusqu’en 1999 où, portés par une vague d’optimisme quant au processus de paix et la promesse que Gaza deviendrait une version arabe de Singapour, riche et dynamique, ils sont alors revenus.
“Nous sommes entrés à Gaza avec des permis temporaires, puisque mes parents étaient à Gaza”, a déclaré Muhammad. Mais seule la moitié de la famille a pu obtenir des papiers d’identité permanents. “Nous avons fait une demande de regroupement familial ; [mes enfants] Nasser, Razan et moi avons obtenu des cartes d’identité. Malheureusement, ma femme, Ahmad et Lina n’ont pas obtenu les leurs”.
Khadija éprouve une bouffée de colère chaque fois qu’elle regarde sa carte d’identité temporaire. Elle n’en a pas besoin. Elle n’a pas vu sa fille Lamis, âgée de 41 ans, qui vit au Royaume-Uni, depuis 20 ans. Nasser, âgé de 38 ans, vit au Canada depuis cinq ans. Elle a également des frères à Dubaï qu’elle voudrait visiter.
Cette mère de cinq enfants espère toujours obtenir une carte d’identité, mais bien qu’elle ait passé plusieurs appels aux autorités compétentes de Ramallah, en Cisjordanie occupée, on lui a répété que la décision revenait aux Israéliens.
“J’ai l’impression d’être en prison ; je ne peux pas rendre visite à mes enfants ou petits-enfants ni faire le Hajj ou la Oumra. Lorsque mon fils Nasser était à Gaza, il était sur le point de trouver un emploi dans une banque, mais sa candidature a été rejetée lorsqu’ils ont appris qu’il n’avait pas de papiers d’identité”, a déclaré Khadija à The Electronic Intifada.
Mahmoud est retourné à Gaza avec sa famille en 1998. Ils étaient huit, mais seuls deux d’entre eux ont obtenu une carte d’identité. Lui, ses deux parents octogénaires et trois de ses frères et sœurs font partie des 5000 Palestiniens qui attendent d’obtenir leur carte d’identité.
“Nous sommes victimes des circonstances politiques actuelles. Pour autant que je sache, le dossier des cartes d’identité est clos. Israël, qui ne fait que discriminer les Palestiniens, n’a aucun intérêt à nous aider à Gaza. Malheureusement, l’Autorité Palestinienne (AP), qui est la partie négociatrice, se comporte avec faiblesse devant les Israéliens”, explique-t-il.
Mais Mahmoud tient les dirigeants politiques palestiniens, toutes tendances confondues, responsables de ne pas avoir résolu cette question avec Israël.
“Ce dossier devrait être l’un des sujets majeurs des négociations, au même titre que des questions comme celle des prisonniers”, dit-il à The Electronic Intifada. “A Gaza, le Hamas en porte la responsabilité puisqu’il est l’organisation dominante”.
Il laisse voir sa frustration de ne pas voir plus d’intérêt autour de la question des cartes d’identité.
“Nous sommes dans une prison à ciel ouvert et nous purgeons une peine à vie. Sans pièce d’identité, nous n’avons pas pu quitter Gaza depuis notre arrivée”, dit-il encore.
Le dernier mot
La faute en incombe totalement au côté israélien, a déclaré Saleh al-Ziq, du ministère des affaires civiles de Gaza.
“Des milliers de Palestiniens vivent maintenant à Gaza sans carte d’identité. Le ministère n’a pas reçu l’accord d’Israël pour délivrer leurs cartes d’identité”, a déclaré Saleh al-Ziq à The Electronic Intifada.
Les 5000 personnes en question étaient le dernier groupe dont le statut de carte d’identité était en cours de négociation lorsque le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, fait savoir M. al-Ziq. La plupart d’entre elles étaient revenues avec des permis temporaires avant de demander le regroupement familial. Comme les négociations ont été rompues, le statut de ces personnes n’a jamais été résolu.
Israël a le dernier mot sur les cartes d’identité en vertu des accords conclus entre Israël et l’OLP dans les années 1990. Alors que c’est l’AP qui émet les cartes d’identité, Israël émet des numéros d’identification, sans lesquels les cartes d’identité ne sont pas valables. Les informations contenues sur les cartes sont écrites en arabe et en hébreu.
“Malheureusement, les personnes sans carte d’identité sont privées de leurs droits sociaux et politiques les plus élémentaires. Israël refuse d’accorder des cartes d’identité sous prétexte que le Hamas s’est emparé de la bande de Gaza. Je ne sais pas quel genre de menace les cartes d’identité représentent pour Israël”, ajoute M. al-Ziq, en espérant que la question finisse par être résolue au plus vite.
Iman al-Sir, 30 ans, est originaire de Jaffa. Avec une simple carte d’identité temporaire, elle ne s’est jamais sentie installée en Palestine, dit-elle à The Electronic Intifada
Iman a grandi dans le camp de Yarmouk à Damas, mais elle est retournée à Gaza avec sa mère en 2012 en raison des combats en Syrie. Son grand-père avait été expulsé en Égypte, et il s’est rendu en Syrie après la guerre de 1967 dans laquelle il avait combattu au sein des armées arabes.
“Depuis mon enfance, mon père nous a toujours parlé de la Palestine et de notre terre à Jaffa d’où nous avons été expulsés. La première fois que j’ai vu un soldat israélien, c’était à la télévision en 2000”.
Elle a dit qu’elle avait voulu revenir et vivre en Palestine durant de nombreuses années avant de le faire réellement.
“Cependant, quand je suis arrivée à Gaza, j’ai découvert que c’est l’occupation israélienne qui contrôle mon identité. Quel genre de paix est-ce là ? Comment pouvez-vous promouvoir la paix avec un État qui ne reconnaît pas votre existence ?”
Elle déclare encore à The Electronic Intifada que si elle avait su qu’elle allait se retrouver dans une “prison à ciel ouvert”, elle aurait tenté le périlleux voyage vers l’Europe, entrepris par tant de réfugiés syriens.
“Au moins en Europe, je n’aurais jamais eu à subir l’occupation israélienne qui décide si je suis palestinienne ou non.”
* Ola Mousa est artiste et écrivain. Elle a participé à plusieurs expositions d’art plastique à Gaza. Elle travaille également comme traductrice spécialisée dans les médias de Gaza, principalement sur les récits et rapports traitant des droits humains.
26 juin 2020 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine