
A quand un nouveau « Printemps arabe » ? Protestations dans la ville tunisienne de Siliana, où les citoyens ont exigé la fin des violences policières, la démission du gouverneur et un soutien financier à l'économie locale - Novembre 2012 - Photo : Archives
Par Ramzy Baroud
Une analyse classique – telle que la désunion, la faiblesse et le fait de ne pas donner la priorité à la Palestine – ne permet pas d’expliquer l’incapacité des gouvernements arabe à défier Israël, car elle ne donne pas une vue d’ensemble de la situation.
L’idée qu’Israël brutalise les Palestiniens simplement parce que les Arabes sont trop faibles pour défier le gouvernement de Benjamin Netanyahu – ou tout autre gouvernement – laisse sous-entendre qu’en théorie, les régimes arabes pourraient s’unir autour de la Palestine. Il s’agit là d’une vision extrêmement simpliste de la question.
De nombreux commentateurs pro-palestiniens bien intentionnés exhortent depuis longtemps les nations arabes à s’unir, à faire pression sur Washington pour qu’il réévalue son soutien indéfectible à Israël et à prendre des mesures décisives pour lever le siège de Gaza, entre autres questions cruciales.
Si ces mesures peuvent avoir un certain intérêt, il est peu probable que ces vœux pieux modifient le comportement des gouvernements arabes, car la réalité est bien plus complexe. Ce qui préoccupe ces régimes c’est davantage le maintien ou le retour à une forme de statu quo, que la libération de la Palestine.
Depuis le début du génocide israélien à Gaza, le 7 octobre 2023, la position arabe à l’égard d’Israël a été au mieux déficiente, au pire déloyale.
Certains gouvernements arabes sont même allés jusqu’à condamner la résistance palestinienne dans les débats de l’ONU.
Alors que des pays comme la Chine et la Russie ont au moins tenté de contextualiser l’assaut du Hamas du 7 octobre contre les forces d’occupation israéliennes qui imposent un siège brutal à Gaza, des pays comme le Bahreïn ont carrément rejeté la faute sur les Palestiniens.
À quelques exceptions près, il a fallu des semaines, voire des mois, aux gouvernements arabes pour adopter une position relativement ferme condamnant l’offensive israélienne en des termes significatifs.
Bien que la rhétorique ait commencé à changer lentement, les actions n’ont pas suivi. Alors que le mouvement Ansar Allah au Yémen (les « Houthis »), ainsi que d’autres acteurs arabes non étatiques, tentaient de faire pression sur Israël par le biais d’un blocus, les régimes arabes se sont plutôt efforcés d’aider Israël à surmonter les conséquences potentielles de son isolement.
Dans son livre « Guerre », Bob Woodward révèle que certains gouvernements arabes ont dit au secrétaire d’État américain de l’époque, Antony Blinken, qu’ils n’avaient aucune objection aux efforts israéliens pour écraser la résistance palestinienne.
Ce qui les préoccupait, c’était les images médiatiques de civils palestiniens mutilés, qui risquaient de provoquer des troubles publics dans leur propre pays.
Leur inquiétude ne s’est jamais matérialisée et, avec le temps, le génocide, la famine et les appels à l’aide à Gaza ont été normalisés et sont désormais traités comme une actualité régionale tragique de plus, à l’instar des guerres civiles au Soudan et en Syrie.
Pendant 15 mois d’un génocide israélien impitoyable qui a fait plus de 162 000 morts et blessés parmi les Palestiniens de Gaza, les institutions politiques arabes officielles sont restées largement étrangères aux efforts déployés pour mettre fin à la guerre. L’administration américaine de Biden a été enhardie par cette inaction arabe et a continué à faire pression pour une plus grande normalisation entre les pays arabes et Israël, même si plus de 15 000 enfants ont été tués à Gaza de la manière la plus brutale que l’on puisse imaginer.
Alors que les échecs moraux de l’Occident, les déficiences du droit international et les actes criminels de Biden et de son administration ont été largement critiqués pour avoir servi de bouclier aux crimes de guerre d’Israël, la complicité des gouvernements arabes dans la facilitation de ces atrocités est souvent ignorée.
Les Arabes ont en fait joué un rôle plus important dans les atrocités israéliennes à Gaza que nous ne le reconnaissons souvent, certains par leur silence, d’autres par leur collaboration directe avec Israël.
Tout au long de la guerre, des rapports ont fait surface indiquant que certains pays arabes seraient intervenus à Washington en faveur d’Israël et contre une proposition égyptienne et de la Ligue arabe visant à reconstruire Gaza pour la population de Gaza, alors que l’administration Trump et Israël voulaient procéder au nettoyage ethnique de cette même population.
La proposition égyptienne, qui a été acceptée à l’unanimité par les pays arabes lors de leur sommet du 4 mars, représentait la position la plus forte et la plus unifiée adoptée par le monde arabe pendant la guerre.
La proposition a été rejetée par Israël et écartée par les États-Unis, mais elle a influencé le discours américain sur le sujet du nettoyage ethnique. Trump, a été contraint de dire que « Personne n’expulse personne de Gaza », le 12 mars, lors d’une rencontre avec le Premier ministre irlandais Micheál Martin.
Le fait que certains États arabes s’opposent activement à la seule position arabe relativement forte montre que l’échec des pays arabes à arrêter le génocide en Palestine n’est pas uniquement dû aux divisions ou à l’incompétence ; Il reflète une réalité beaucoup plus âpre et cynique.
Certains régimes arabes alignent leurs intérêts sur ceux d’Israël, de sorte qu’une Palestine libre n’est pas seulement hors de question, mais constitue une menace.
Il en va de même pour l’Autorité palestinienne à Ramallah, qui continue à travailler main dans la main avec les autorités israéliennes pour réprimer toute forme de résistance en Cisjordanie. Sa préoccupation à Gaza n’est pas de mettre fin au génocide, mais de marginaliser ses rivaux politiques palestiniens, en particulier le Hamas.
Ainsi, blâmer l’AP pour une simple « faiblesse », pour « ne pas en faire assez » ou pour ne pas avoir réussi à unifier les rangs palestiniens est une interprétation erronée de la situation. Les priorités de Mahmoud Abbas et de ses alliés de l’AP sont très différentes : ils veulent assurer leur contrôle sur les Palestiniens, qui ne peut être maintenu que par la domination militaire d’Israël.
Il s’agit là de vérités difficiles, mais essentielles, car elles nous permettent de recadrer le débat, en nous éloignant de l’hypothèse erronée selon laquelle l’unité arabe résoudrait tout. Le défaut de la théorie de l’unité est qu’elle suppose – naïvement – que les régimes arabes rejettent intrinsèquement l’occupation israélienne et soutiennent la Palestine.
Si certains gouvernements arabes sont véritablement indignés par le comportement criminel d’Israël et de plus en plus frustrés par les politiques irrationnelles des États-Unis dans la région, d’autres sont mus par leurs propres intérêts, notamment leur animosité à l’égard de l’Iran et la crainte de l’influence croissante d’acteurs arabes non étatiques.
Ils sont également préoccupés par l’instabilité de la région, qui menace leur pouvoir dans un ordre mondial en pleine mutation.
Alors que la solidarité avec la Palestine s’est étendue des pays du Sud à la majorité mondiale, les chefs des régimes arabes restent largement inactifs, craignant qu’un changement politique significatif dans la région ne remette directement en cause leur situation.
Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que c’est probablement leur silence, ou leur soutien actif à Israël, qui entraînera leur perte.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
24 mars 2025 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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