Par Abdel Bari Atwan
Les affrontements à Ain al-Hilweh semblent s’inscrire dans le cadre d’un projet plus large, soutenu par Israël et visant à semer la discorde.
Je m’attendais à ce que la réunion des chefs de factions palestiniennes, convoquée et présidée par le président Mahmoud Abbas, qui s’est tenue dimanche dans la station balnéaire égyptienne d’Al-Alamein, se solde par un échec.
Mais je ne m’attendais pas à ce que cet échec se traduise aussi rapidement par des affrontements armés inattendus dans le camp d’Ain al-Hilweh au Sud-Liban – qui abrite 54 000 réfugiés palestiniens – entre des éléments du mouvement Fatah et des groupes islamistes radicaux.
Les combats ont éclaté quelques jours seulement après une visite de Majed Faraj, chef des services de renseignement de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie et commandant de facto de ses forces de sécurité qui collaborent avec l’occupation.
Ces affrontements, qui ont fait jusqu’à présent neuf morts, ont coïncidé avec la montée en flèche des tensions entre les forces de la résistance libanaise dirigées par le Hezbollah et l’État d’occupation israélien.
Ce dernier a déclaré l’état d’alerte parmi ses forces sur le front nord, et son premier ministre et son ministre de la défense ont tous deux menacé une nouvelle fois de ramener le Liban à l’âge de pierre.
Je n’entrerai pas dans les détails des affrontements et des factions impliquées, ni dans l’intervention de l’armée libanaise qui a encerclé le camp après que certains de ses soldats qui occupaient un poste à proximité ont été visés par des tirs d’artillerie délibérés mais non attribués.
Mais il est impossible d’écarter les soupçons que plusieurs parties libanaises et palestiniennes nourrissent à l’égard de la visite sans précédent de Faraj au Liban et de son véritable objectif.
J’ai glané quelques informations sur sa visite auprès de plusieurs sources libanaises et palestiniennes fiables.
Tout d’abord, Faraj a demandé à rencontrer le chef du mouvement du Jihad islamique basé au Liban, Ziad al-Nakhaleh, pour discuter du boycott de la réunion d’Al-Alamein par son groupe et du rétablissement du calme dans le camp de réfugiés de Jénine et dans le nord de la Cisjordanie.
Nakhaleh a refusé de le rencontrer – peut-être pour des raisons de sécurité et des raisons politiques – mais il lui a parlé au téléphone et lui a dit qu’il ne négocierait pas avec lui tant que tous les détenus du Jihad islamique et d’autres factions ne seraient pas libérés des prisons de l’Autorité palestinienne.
Deuxièmement, cette visite a suscité une grande colère dans les cercles dirigeants du Hezbollah.
Des messages de protestation énergiques ont été envoyés aux dirigeants du Fatah au Liban et à Ramallah, les avertissant que toute intervention de leur part pourrait attiser les rivalités au sein des camps palestiniens du Sud-Liban, ce qui compromettrait le calme et la stabilité dans la région et aurait un impact négatif sur la résistance et sa mission de lutte contre l’occupation.
Troisièmement, Abbas est déterminé à imposer la partie la plus controversée du discours qu’il a prononcé dans le camp de Jénine après la fuite des forces israéliennes vaincues : personne d’autre que l’AP ne sera autorisé à porter des armes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
La visite de Faraj avait pour but d’appliquer cette même stratégie aux camps du Liban.
Quatrièmement, l’attaque survenue au poste de l’armée libanaise près d’Ain al-Hilweh, où plusieurs de ses soldats ont été blessés. L’armée libanaise a toujours évité autant que possible de se rendre dans le camp. Il s’agissait d’une tentative délibérée de forcer son implication.
Cette attaque visait à reproduire le scénario sanglant du camp de Nahr al-Bared, près de Tripoli, dans le nord du Liban, en 2007, qui s’était soldé par des dizaines de morts, des milliers de personnes déplacées et l’anéantissement total du camp.
Ce qui se passe à Ain al-Hilweh pourrait bien être une tentative parrainée par Israël de provoquer des conflits inter-palestiniens en reproduisant le scénario de l’assaut du camp de Jénine dans les camps du Liban, et en déléguant la tâche à l’Autorité palestinienne.
L’objectif principal est de saper la sécurité et la stabilité au Sud-Liban afin de détourner le Hezbollah, de plus en plus puissant, de la confrontation avec les forces d’occupation israéliennes qu’il défie et harcèle de plus en plus à la frontière.
En tournant l’attention de ses forces de sécurité vers le Liban, l’Autorité palestinienne franchit une ligne rouge pleine de risques, non seulement pour le Liban, mais aussi pour la cause palestinienne.
La résistance libanaise, soutenue par l’armée et les alliés palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur du Liban, ne le permettra pas. Il est pathétique que l’AP, qui a échoué à la conférence d’Al-Alamein et qui refuse de reconnaître qu’elle n’est soutenue que par 5 % du peuple palestinien, cherche à se sortir d’un échec en s’enfonçant dans un autre.
Le peuple palestinien, après avoir subi les calamités des accords d’Oslo, se trouve majoritairement, sinon totalement, dans la tranchée de la résistance, tant dans les territoires occupés qu’au Liban. Il a appris de l’expérience du camp de Yarmouk en Syrie et ne permettra pas qu’une incitation similaire à des conflits sanglants soit transférée aux camps du Liban.
Ces camps et leurs habitants ont énormément souffert au cours des 75 dernières années. Toutes les armes dont ils disposent devraient être dirigées dans une seule direction, vers l’ennemi : l’occupant israélien.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
1er août 2023 – Raï-al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine