Par Tareq S. Hajjaj
Pendant les mois les plus froids de l’hiver, à Gaza, le manque d’électricité pousse les familles qui cherchent désespérément à se réchauffer à utiliser des sources de combustible dangereuses pour chauffer leur maison. Les résultats peuvent souvent être mortels.
Il est 23 heures par une soirée froide et sèche à l’est de la ville de Gaza. L’intérieur de la maison de Hani Saleh a une odeur de suie – les restes d’une nuit entière passée à brûler du bois et du charbon dans la même pièce pour se réchauffer. La maison est encore froide.
L’humidité qui en résulte laisse de grandes taches sur la peinture blanche des murs. En séchant, la peinture s’écaille. La famille de huit personnes s’entasse dans une seule pièce, se voyant à peine les uns les autres dans les faibles lumières qui tremblotent. Ce n’est pas l’heure de se coucher, mais la batterie de 20A qui alimente leur maison en électricité est pratiquement vidée après avoir fonctionné pendant 10 heures sans interruption.
Soudain, le courant revient, et tous les membres de la famille se lèvent d’un bond, chacun d’entre eux s’efforçant de s’acquitter des tâches qui leur incombent pendant le court laps de temps qui leur a été accordé.
Shahd, encore au lycée, se précipite vers son bureau dans la pièce voisine, luttant contre sa fatigue.
« C’est trop tard pour se concentrer, surtout quand il fait si froid. Je devrais déjà être en train de dormir », dit Shahd. C’est une année critique pour elle, car ses notes d’examen détermineront la matière principale qu’elle pourra choisir à l’université.
Aujourd’hui, la fourniture d’électricité devait être rétablie dans le secteur à 22 heures. Cependant, comme on pouvait s’y attendre, l’électricité arrive souvent plus tard, pour être à nouveau coupée à 6 heures du matin.
Lorsque la famille a du courant, elle recharge les batteries de ses différents appareils pour les utiliser tout au long de la journée. Peut-être arrivera-t-on à recharger les appareils pendant cette brève période avant que l’électricité ne soit à nouveau coupée, à nouveau jusqu’à 22 heures, et ainsi de suite.
Jour après jour, les habitants de Gaza ont été contraints de s’adapter à cet horaire de fourniture en électricité au cours des 15 dernières années, chaque année voyant la fenêtre de disponibilité se rétrécir.
Shahd passe la moitié de ses heures d’éveil dans l’obscurité. Dire que cela a eu un impact négatif sur son avenir est un euphémisme. Pour Shahd, il est tout simplement impossible d’étudier toute une journée de rang.
Le pire, c’est que l’on s’attend à ce que cette situation soit considérée comme normale, comme une chose à laquelle il faut s’accoutumer.
Mais la lumière n’est pas la seule chose dont la famille doit s’inquiéter pendant une coupure de courant. Les tâches ménagères sont considérablement réduites, car vous êtes contraint de vous limiter à untemps très limité pour utiliser le four électrique, faire la lessive, repasser le linge ou même regarder la télévision.
Cette restriction frappe le plus durement la mère de famille.
Lorsque le courant revient, tout le monde se précipite vers les prises de courant pour recharger son téléphone – une batterie de téléphone pleine n’est pas une question à prendre à la légère.
« Nous vivons déjà dans les pires conditions sur terre, et nous essayons de croire que demain sera meilleur », disent les membres de la famille de Shahd.
Pour Shahd, le jour n’est guère plus propice à son travail que les nuits. Lorsqu’elle rentre de cours, elle a à peine le temps de dîner avant que l’électricité ne soit coupée, et elle a encore moins le temps d’étudier. « À 17 heures, l’électricité est déjà coupée, et nous devons parfois attendre jusqu’à minuit pour qu’elle revienne. C’est épuisant. La journée est derrière nous à ce moment-là ».
L’aggravation de la crise de l’électricité à Gaza
La bande de Gaza ne reçoit que 200 mégawatts par jour, ce qui est loin des 600 mégawatts nécessaires pour satisfaire les besoins en électricité de la population de 2 375 259 habitants [au dernier recensement].
Mais même cette quantité insuffisante est rationnée. L’approvisionnement quotidien en électricité est actuellement suffisant pour alimenter la moitié de Gaza, d’où la nécessité de rationner la distribution d’électricité dans différentes zones.
Cette quantité quotidienne continue de diminuer, au point que l’unique centrale électrique de Gaza a déclaré un état de « pénurie permanente ».
« Le meilleur scénario est d’avoir 200 mégawatts, ce qui peut éclairer presque la moitié de Gaza, mais je dois le programmer pour qu’il soit possible d’atteindre la maison de chacun », a déclaré Mohammed Thabet, le représentant de la centrale électrique de Gaza, à Mondoweiss.
« Les gens ont [des successions de] 8 heures d’électricité et 8 heures d’extinction dans la journée. Parfois, par temps extrêmement froid ou chaud, nous ne pouvons alimenter les gens que 4 à 6 heures, en raison de l’utilisation accrue des appareils de chauffage. »
La crise de l’électricité à Gaza a commencé en 2006, lorsque des avions de guerre israéliens ont bombardé les transformateurs situés à côté de la centrale électrique. Six turbines ont été détruites, laissant Gaza avec seulement quatre opérationnels. Aujourd’hui, seuls trois fonctionnent, chacun d’entre euc fournissant 20 à 30 mégawatts.
Des lignes électriques israéliennes fournissent également 120 mégawatts à Gaza, mais Israël coupe régulièrement le courant sur ces lignes, notamment à titre de mesure punitive collective lors d’une de ses guerres contre le territoire assiégé.
Ce sont les deux seules sources d’énergie de Gaza. L’Égypte avait coutume d’alimenter Gaza avec 150 mégawatts, mais cela a été interrompu en 2018.
D’un point de vue technique, Thabet ne trouverait aucun problème empêchant d’établir et développer un réseau électrique, et il ne doute pas que son financement soit gérable. Cependant, il pense qu’il y a un veto politique qui prive la population de Gaza d’électricité 24 heures sur 24.
« La situation politique a un impact sur le secteur de l’électricité », a-t-il déclaré. « La persistance des attaques israéliennes contre les infrastructures, y compris les réseaux et les fournitures d’électricité, ainsi que le refus israélien de l’entrée d’équipements de maintenance comme les cartes électriques et électroniques et les matériaux en cuivre, sont tous dus au siège israélien », explique-t-il.
Israël empêche l’entrée de ces matériaux, ce qui signifie que la société n’a pas pu remettre en état de fonctionner les centrales électriques détruites.
Comme les circonstances économiques continuent de se détériorer, les gens ne peuvent pas payer leurs factures d’électricité, surtout dans les camps de réfugiés. Le non-paiement est devenu si répandu que la compagnie d’électricité accorde une « certification d’honneur » aux personnes qui continuent à payer leurs factures dans les délais.
« Les dettes de la population envers la compagnie ont atteint un milliard de dollars », a expliqué Thabet à Mondoweiss.
Quand les coupures de courant deviennent mortelles
Pendant les froids mois d’hiver, les coupures de courant dans la bande de Gaza poussent les gens à trouver des solutions créatives pour répondre à leurs besoins en électricité.
Certaines options d’alimentation alternative sont simples. Les générateurs au diesel ou à l’essence, qui appartiennent généralement à des entreprises, peuvent souvent alimenter plusieurs familles en raccordant directement leurs domicile.
Mais comme 53 % de la population de Gaza vit sous le seuil de pauvreté, la plupart des gens ne peuvent pas se permettre ce service privé. À la place, ils utilisent des batteries de voitures, de camions et de motos, qu’ils relient par des électrodes à des lampes à LED.
Khitam Nasser, 34 ans, est mère de trois enfants. Elle est infirmière dans une clinique médicale privée. Comme elle et son mari travaillent, ils ont ce que l’on considère comme un revenu économique de classe moyenne, suffisant pour leur fournir l’option du générateur.
La famille reçoit un câble du générateur général le plus proche dans le quartier d’Al-Zayton, qui fonctionne en synchronisation avec le calendrier des coupures de courant. « Même avec cette solution, nous ne pouvons pas avoir de l’électricité toute la journée », a dit Khitam à Mondoweiss.
Bien que ces générateurs soient utiles, ils ne fournissent pas assez d’électricité pour alimenter les appareils électriques – c’est seulement suffisant pour les faibles charges électriques, comme l’éclairage, l’utilisation d’un ventilateur ou le fonctionnement de la télévision.
Il est hors de question d’utiliser un chauffage ou d’alimenter un réfrigérateur.
« J’ai toujours peur de transmettre une infection à ma famille, car je travaille dans un environnement infectieux », explique Khitam. « Quand je rentre chez moi, tout ce dont j’ai besoin, c’est d’une bonne toilette à l’eau chaude, mais la réalité est que même cette petite chose n’est pas disponible. Tout dépend si nous avons de l’électricité ou pas. »
L’utilisation de ces charges électriques plus élevées est donc réservée à la courte fenêtre d’alimentation fournie par l’unique centrale électrique de Gaza. Les gens finissent par planifier leur temps en fonction de ces créneaux horaires, retardant d’innombrables tâches simples jusqu’à ce qu’ils puissent les réaliser juste à temps.
Mais la tentative constante de trouver des sources de carburant alternatives peut souvent s’avérer mortelle. L’absence de sources sûres de chauffage pousse les familles qui cherchent désespérément à se réchauffer à utiliser des sources de combustible alternatives et dangereuses pour générer de la chaleur.
Cela a souvent entraîné des accidents mortels. Au cours des 16 dernières années du blocus israélien, la crise de l’électricité a causé la mort de plus de 30 enfants qui ont péri dans des incendies déclenchés par l’utilisation de sources d’énergie de secours, telles que les bougies et l’essence.
Cette situation a été illustrée de manière dévastatrice en novembre de l’année dernière lors de la tragédie de la famille Abu Rayya. Une famille élargie de 21 personnes, presque tous les membres de la famille Abu Rayya, sont morts dans un horrible incendie causé par l’essence utilisée pour le générateur de la famille.
Ils sont tous morts lors d’une célébration du retour de l’un des membres de la famille de l’étranger après avoir terminé son doctorat. Au lendemain de la tragédie, Mondoweiss a interrogé des survivants de l’incendie, ainsi que des représentants du gouvernement local.
Tous ont rejeté la responsabilité finale sur le blocus israélien, qui dure depuis 15 ans.
Khitam arrive à la même conclusion lorsqu’il réfléchit à la cause profonde de la crise de l’électricité. « Ce n’est pas parce que tout le monde à Gaza doit endurer cette situation que nous devons accepter de continuer à vivre ainsi », a-t-elle déclaré à Mondoweiss. « Nous devons tenir bon dans le cadre de notre lutte contre notre occupant ».
« Parce que l’occupation est la principale cause de tous nos désastres en tant que Palestiniens », a-t-elle ajouté.
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
9 février 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine