Par Yvonne Ridley
Nous ne semblons jamais tirer les leçons de l’histoire, même des événements les plus récents de notre vie. Aujourd’hui même, par exemple, j’ai eu une impression de déjà vu en découvrant, dans mon courrier électronique, un communiqué de presse de l’organisation caritative de lutte contre la pauvreté War on Want.
L’organisation lance une campagne pour pousser les gens à contraindre la Barclays Bank de mettre fin à son soutien à l’apartheid. J’ai cessé de traiter avec Barclays au début des années 1980 en raison de son soutien à l’Afrique du Sud de l’apartheid, et voilà qu’on m’annonce que Barclays s’est à nouveau lancée dans un joyeux carrousel d’opérations bancaires en faveur de l’apartheid.
La banque mondiale fournit apparemment des milliards de livres sterling d’investissements et de prêts à des sociétés d’armement qui vendent des armes et des technologies militaires à l’État d’apartheid d’Israël. Elle « arme, soutient et tire activement profit de la violence d’Israël contre le peuple palestinien », a déclaré War on Want.
Barclays a agi de la même manière en Afrique du Sud pendant le règne de la minorité blanche, à l’époque où le gouvernement d’apartheid a persécutait et réprimait la population « non blanche ».
Je n’avais pas rouvert de compte chez Barclays après l’effondrement de l’État d’apartheid et l’élection de Nelson Mandela comme président de la nouvelle Afrique du Sud, véritablement démocratique. Et je n’en rouvrirai certainement pas de sitôt puisque la même chose semble se reproduire avec l’Israël de l’apartheid.
Cela me désespère et je ne comprends pourquoi Barclays s’est encore une fois positionnée du mauvais côté de l’histoire. Et j’espère que beaucoup de ses clients suivront mon exemple et fermeront leurs comptes, car cette manière de protester fonctionne bien.
La campagne anti-apartheid visant à forcer la Barclays Bank à se retirer d’Afrique du Sud a commencé en 1970 et, en 1986, elle avait quitté le pays, même si elle a, en fait, seulement été remplacée par la First National Bank, dont le logo était suspicieusement proche de celui de la Barclays.
Lorsque le gouvernement de l’apartheid à Pretoria a déclaré « zone blanche « le centre de Johannesburg en vertu de la loi sur les zones collectives, les résidents « non blancs » en ont été expulsés sans aucune compensation.
Barclays/FNB et d’autres entreprises ont bénéficié de ce nettoyage ethnique, qui se poursuit aujourd’hui dans l’État d’apartheid d’Israël, sous couvert d’euphémismes tels que « expulsion » et «déplacement », dans des endroits comme le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem occupée.
Les Israéliens détestent qu’on fasse des parallèles entre leur État sioniste voyou et l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ils balaient même avec mépris le qualificatif d’État d’apartheid.
L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a mis du temps à s’en rendre compte, mais elle a fini par utiliser ce terme dans un message ouvert aux « manifestants anti-apartheid de Londres » en 1985. L’organisation y exprimait son soutien aux « masses en lutte en Afrique du Sud », et soulignait que « nos lanceurs de pierres et nos combattants ont la même soif inextinguible de liberté et de justice ».
La conclusion était factuelle et sans appel : « Le sionisme est un apartheid – les deux systèmes sont fondés sur des notions de suprématie raciale. »
L’ancien président américain Jimmy Carter s’est positionné sur une ligne très anti-apartheid en intitulant son livre de 2006, Palestine : la Paix pas l’Apartheid. Plus récemment, de grandes organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty, Human Rights Watch et B’Tselem lui ont emboîté le pas.
Malheureusement, l’actuel titulaire de la Maison Blanche, Joe Biden, est trop timoré pour s’opposer fermement à Israël. Il n’a certainement pas le franc-parler et le courage de l’influent « squad », qui regroupe Rashida Tlaib, Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar, des représentants du Congrès qui ont exhorté le président américain à faire preuve de fermeté en traitant avec Israël.
Malheureusement, ici en Grande-Bretagne, le chef du parti travailliste Sir Keir Starmer est également dans le déni quand il s’agit de l’État voyou qui squatte un état du Moyen-Orient.
Il continue de refuser de voir que la violence brutale est au cœur du régime d’apartheid et d’occupation d’Israël, et que les Palestiniens vivent sous la menace quotidienne de la violence meurtrière des forces de sécurité israéliennes et des centaines de milliers de colons juifs illégaux qui vivent sur des terres volées aux Palestiniens.
Comme la plupart des sionistes, Starmer refuse aussi de voir les arrestations et les détentions arbitraires de Palestiniens, y compris d’enfants, les punitions collectives illégales par le biais de démolitions de maisons et de transferts forcés de population – en un mot le nettoyage ethnique – ainsi que la surveillance et le contrôle intrusifs de tous les aspects de la vie des Palestiniens.
Selon War on Want : « Cette répression militarisée n’est possible que grâce à la complicité internationale : des pays, comme le Royaume-Uni, font du commerce d’armes avec Israël, tandis que des entreprises, comme Barclays, investissent dans ces armes et autres technologies répressives. Barclays possède des actions d’une valeur de plus de 1,3 milliard de livres sterling dans des entreprises qui fournissent à Israël des armes et des technologies militaires utilisées dans les violences contre les Palestiniens. Barclays fournit à ces entreprises des prêts et autres services financiers d’une valeur de 4 milliards de livres sterling supplémentaires. »
Parmi les entreprises visées figure Elbit Systems, la plus grande entreprise privée d’armement d’Israël, qui est déjà la cible des militants pro-palestiniens, comme je l’ai signalé récemment dans MEMO. Elle fournit 85 % des véhicules aériens sans pilote (UAV) – des drones militaires – utilisés par l’armée israélienne.
Les armes d’Elbit Systems ont été largement utilisées dans les bombardements meurtriers d’Israël sur la bande de Gaza assiégée, où vivent deux millions de Palestiniens. En outre, Elbit Systems a été associée à la production de bombes et de munitions à fragmentation, interdites par le droit international.
Une autre société, Raytheon, produit des bombes de type bunker buster, utilisées par Israël pour cibler les maisons palestiniennes lors des fréquents bombardements de la bande de Gaza par l’État sioniste.
Caterpillar, quant à elle, fournit à l’armée israélienne des bulldozers D9, utilisés pour démolir les maisons, les écoles, les villages et les infrastructures civiles palestiniens, notamment les canalisations d’eau et d’égouts. Les bulldozers D9 sont également utilisés pour la construction de colonies israéliennes illégales sur des terres palestiniennes occupées.
Tout comme les groupes et les militants des droits de l’homme ont appelé les gens du monde entier à boycotter les produits sud-africains pendant l’apartheid, les Palestiniens appellent les personnes qui ont une conscience à soutenir leur lutte pour la justice et les droits de l’homme en faisant campagne pour mettre fin à la complicité des entreprises et des financiers dans le régime d’apartheid d’Israël.
C’est pourquoi War on Want s’associe à la Campagne de Solidarité avec la Palestine et à la Campagne contre le Commerce des Armes et participera, le 9 août, au webinaire de lancement de la campagne.
« Barclays profite du régime d’apartheid qu’Israël impose au peuple palestinien, par le biais d’investissements de plusieurs millions de livres dans des entreprises d’armement – qui fournissent à Israël des armes utilisées pour réprimer les Palestiniens », a expliqué Asad Rehman de War on Want. « Barclays doit se désinvestir des sociétés qui concourent aux crimes d’Israël contre les Palestiniens ».
Rehman interviendra lors du webinaire aux côtés de Ben Jamal de la Campagne de solidarité avec la Palestine, de l’écrivain et chercheur palestinien Budour Hassan et de Fiona Ben Chekroun, coordinatrice Europe du Comité national palestinien de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
La plus grande partie de la vieille garde de Barclays doit être à la retraite ou avoir rendu l’âme à l’heure actuelle, ce qui est dommage car s’ils étaient encore là, ils pourraient ramener leurs successeurs à la sagesse en leur recommandant de se désinvestir de l’apartheid israélien tout de suite, au lieu de s’exposer à une nouvelle campagne de boycott préjudiciable.
La campagne pour convaincre Barclays de se retirer d’Afrique du Sud a duré seize ans. Des manifestants ont perturbé les assemblées générales annuelles de la banque, les syndicats étudiants ont contraint à la fermeture de succursales sur les campus et des milliers de clients institutionnels et individuels ont fermé leurs comptes.
Barclays veut-elle vraiment revivre tout cela à cause de l’apartheid israélien ? Je ne miserais certainement pas là-dessus.
Auteur : Yvonne Ridley
* Yvonne Ridley, journaliste et auteure britannique, procure des analyses politiques sur des questions relatives au Moyen-Orient, à l’Asie et à la guerre mondiale au terrorisme. Ses écrits ont été publiés dans de nombreuses publications dans le monde entier d’Est en Ouest dans des titres aussi divers que The Washington Post, le Tehran Times et le Tripoli Post, ce qui lui a valu reconnaissance et récompenses aux États-Unis et au Royaume Uni. Après avoir travaillé dix ans pour des grands titre de Fleet Street elle a élargi sa contribution aux médias audiovisuels et électroniques en produisant un certain nombre de films documentaires sur les questions palestiniennes et internationales allant de Guantanamo à la Libye et aux Printemps arabes.
28 juillet 2022 – The Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet