La barrière de la peur est tombée malgré les centaines d’arrestations à Jérusalem

15 mai 2021 - "Ici c'est Haïfa ! Ici c'est la Palestine" - Des Palestiniens descendent dans les rues de Haïfa dans le territoire de 1948 dans le cadre de la récente vague de résistance populaire contre la colonisation et l'occupation israéliennes à travers le pays, et pour protester contre les frappes aériennes massives d'Israël sur Gaza. La nuit, les manifestants se sont rassemblés devant le tribunal israélien de Haïfa pour soutenir ceux qui assistaient à leurs audiences après avoir été arrêtés lors de leur participation aux manifestations - Photo : Activestills.

Par Lina Alsaafin

Les forces israéliennes tentent de reprendre le contrôle des Palestiniens de Jérusalem-Est occupée, en procédant à des arrestations massives.

Des centaines de Palestiniens ont été arrêtés au cours du dernier mois et demi à Jérusalem-Est occupée, dans ce que les avocats considèrent comme une réponse directe à la perte d’autorité de la police israélienne.

L’escalade a commencé après que les forces de sécurité israéliennes ont interdit aux Palestiniens d’accéder au quartier de la porte de Damas, puis s’est intensifiée progressivement avec la répression violente de sit-in dans le quartier de Sheikh Jarrah, une marche “Mort aux Arabes” organisée par des colons israéliens, plusieurs incursions massives dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, une offensive israélienne meurtrière de 11 jours sur la bande de Gaza, des attaques collectives contre des citoyens palestiniens d’Israël et une campagne d’arrestations généralisées qui a visé au moins 2000 Palestiniens à Jérusalem et dans les territoires occupés.

La plupart des Palestiniens arrêtés à Jérusalem-Est occupée, le sont à cause de ce qu’ils ont publié sur les médias sociaux, notamment des vidéos où ils ridiculisent les forces israéliennes. Selon l’avocat Nasser Odeh, ces arrestations n’ont rien de nouveau.

“Ils ont fait la même chose en 2015-2016 lors de l’embrasement d’Abu Khdeir”, a déclaré Odeh à Al Jazeera, en référence à la flambée de protestations et d’escalades dont la ville a été le théâtre après que Mohammed Abu Khdeir, un adolescent palestinien, a été brulé vif par des colons israéliens, en 2015.

“Depuis que le gouvernement israélien a élargi sa loi antiterroriste en 2016, les forces israéliennes ont plus de pouvoir pour arrêter les Palestiniens sur la base de leurs publications sur les médias sociaux, en alléguant une ‘incitation à la violence’ ou même une ‘association avec un groupe terroriste’.”

Actuellement, la pratique s’intensifie et Odeh – ui a défendu les Palestiniens arrêtés en 2015-2016, parfois pendant plusieurs années – craint que les arrestations ne fassent que se multiplier.

“Je vous garantis que dans les six à huit prochains mois, le nombre d’arrestations va doubler, voire tripler”, a-t-il déclaré.

Le nombre des arrestations

Il est fait état de quelques 550 arrestations – dont environ 25 % de mineurs – mais Odeh soutient que les chiffres sont beaucoup plus élevés.

“Si je me base sur le nombre de Palestiniens que j’ai vus dans les tribunaux jour après jour – à moment donné, il y avait entre 70 et 120 arrestations par jour – pour moi, depuis le début du Ramadan [mi-avril] jusqu’à aujourd’hui, il y a eu au moins un millier d’arrestations”, a-t-il déclaré.

De plus, selon Grassroots Jerusalem, une organisation et une plateforme pour la mobilisation de la communauté palestinienne et la défense des droits des Palestiniens, de nombreux détenus sont libérés la nuit même de leur arrestation ou dans les 24 heures sans être présentés au tribunal.

Leur libération est subordonnée au paiement d’amendes allant de 500 à 5 000 shekels (154 à 1 540 dollars), à l’assignation à résidence et à l’interdiction pendant quelques semaines ou quelques mois de se rendre dans certains lieux tels que la porte de Damas, l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, la vieille ville en général et Sheikh Jarrah.

“Le nombre élevé d’arrestations a entraîné une surpopulation du centre de détention du Russian Compound et le transfert de certains détenus jérusalémites vers des centres de détention éloignés comme Megiddo, dans le nord de la Palestine”, indique un rapport récent de Grassroots Jerusalem. “Cela rend les visites des familles et des avocats encore plus difficiles”.

Il y a également eu au moins quatre cas de détention administrative, une forme de détention qui permet de détenir indéfiniment des Palestiniens sans charges, ni procès.

“Les services de renseignement israéliens pensent que ces détenus particuliers ont mené des soulèvements contre les forces israéliennes, mais ils n’ont aucune preuve pour les condamner”, a expliqué Mohammed Mahmoud, un autre avocat de Jérusalem.

“Jusqu’à présent, 10 ordres de détention administrative ont été émis contre des Palestiniens de Jérusalem pour une période de quatre mois chacun”, a-t-il ajouté.

Le passage à tabac

Selon Mahmoud, les arrestations ont été particulièrement violentes.

“Les forces israéliennes ont violemment tabassé les Palestiniens arrêtés, surtout sur la tête et le visage”, a-t-il déclaré à Al Jazeera. “J’ai rarement vu une telle sauvagerie, certains détenus avaient des os cassés”.

Les forces israéliennes répriment une manifestation palestinienne contre les expulsions à Sheikh Jarrah – Photo: ActiveStills.org

Yasin Sbeih, un Palestinien qui a été arrêté le 18 mai et a passé une semaine en détention avant d’être libéré, a dit avoir souffert de blessures aux côtes, d’un tympan éclaté et d’ecchymoses aux deux yeux.

“C’était un passage à tabac complètement fou”, a-t-il déclaré. “Ils m’ont donné des coups de pied et des coups de poing sur le visage, les oreilles et la tête principalement. Ils m’ont fait une prise d’étranglement si serrée que j’ai cru mourir “.

Sbeih et son ami ont été arrêtés pour avoir essayé de protéger une jeune Palestinienne de 15 ans qui était agressée physiquement par la police israélienne à la porte de Damas.

“La jeune fille était assise sur les marches sans rien faire, et ils l’ont attaquée”, a-t-il expliqué. “Nous avons tous les trois été arrêtés et le commandant a dit à son unité de ne pas nous battre devant les caméras de sécurité.

“Il est clair qu’ils ont reçu l’ordre d’agir avec encore plus de brutalité que d’habitude, pour réaffirmer leur pouvoir et reprendre un certain contrôle”, a-t-il ajouté.

Sbeih n’a pas été inculpé et a été libéré une semaine plus tard.

“Ils ont essayé de nous accuser d’être à l’origine de l’altercation, mais les caméras de sécurité montraient clairement les forces israéliennes en train de nous attaquer”, a-t-il déclaré.

Selon Grassroots Jerusalem, l’emprisonnement des autres détenus n’a presque jamais de base légale, mais cela n’empêche pas les procureurs israéliens de déposer des actes d’accusation.

“Les accusations varient et comprennent l’émeute, l’outrage aux policiers, et même l’affiliation à une organisation “terroriste”, a déclaré l’ONG.

Un moyen de dissuasion

Le matin de l’annonce du cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, un Palestinien de la vieille ville de Jérusalem a pris une vidéo dans laquelle on le voit faire un geste obscène en direction de la police israélienne au milieu d’une foule enthousiaste.

La vidéo a été largement diffusée et le jeune homme a été rapidement arrêté. Il a été violemment tabassé, puis relâché deux jours plus tard.

“Dernièrement, ils ont arrêté des Palestiniens pour avoir posté des vidéos TikTok, où on voit, par exemple, un Palestinien dire quelque chose à un groupe de soldats israéliens et les autres Palestiniens se mettre à rire, ou encore un jeune insulter une soldate”, a déclaré Odeh.

Israël emploie ces arrestations comme moyen de dissuasion pour palier à ce qu’il analyse comme une perte d’autorité de ses forces, a-t-il expliqué, ajoutant que la vague d’arrestations produit exactement l’effet inverse.

“Le comportement d’Israël et sa réponse à ces vidéos sont caractéristiques”, a déclaré Odeh. “Ils ont augmenté leurs moyens et leurs effectifs pour procéder à cette vague d’arrestations tout à fait disproportionnée par rapport aux délits présumés.”

“Ils ne peuvent pas supporter l’idée qu’un Palestinien de 16 ans fasse un doigt d’honneur aux forces israéliennes, et ils veulent faire des exemples de ces jeunes pour restaurer la barrière de la peur.”

Mais selon Mohammed Mahmoud, les Palestiniens n’ont plus peur des forces israéliennes, ni des conséquences qu’entraîne le “passage à l’acte” contre l’occupation.

“La barrière de la peur est tombée”, a déclaré Mahmoud à Al Jazeera. “Les forces israéliennes ont en face d’elles un peuple qui n’a plus rien à perdre.

“Les jeunes gens de Jérusalem savent qu’ils n’ont pas d’avenir, du fait de la situation socio-économique engendrée ou exacerbée par le système d’occupation. Ils défendent courageusement leur droit à l’existence, leurs maisons et leur patrie, et, sans leur résistance, les colons juifs auraient pris le contrôle de beaucoup plus d’endroits encore à Jérusalem.”

1e juin 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet