Par Rami G Khouri
Les plus importantes institutions américaines de la société civile débattent désormais systématiquement des politiques oppressives israéliennes envers la Palestine.
Parfois, une mince défaite est en même temps une étape sur le chemin de la victoire. Cela peut être le cas avec la défaite extrêmement juste la semaine dernière, d’une demande à l’Association Américaine d’Anthroplogie (AAA) de sanctionner et boycotter les institutions universitaires israéliennes qui asservissent ou exploitent les Palestiniens.
Alors que la décision de boycott des institutions israéliennes complices a été repoussée par un vote de 2423 contre 2384 – dans ce qui est probablement la plus grande initiative pour la défense des droits des Palestiniens – celle-ci marque très probablement un tournant, si je me fie aux discussions que j’ai pu avoir aux États-Unis cette semaine avec quelques membres de l’AAA.
Le vote de l’AAA est l’aboutissement d’un processus qui a duré 3 ans et dont la préparation a inclus une étude détaillée par un groupe de travail, dont les membres avaient été désignés et avaient conclu : « Nous constatons que les politiques et les pratiques du gouvernement israélien imposent d’importantes limitations à la liberté académique, et ont conduit à de substantielles privations pour la santé et le bien-être des Palestiniens en Cisjordanie, dans Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, ainsi qu’à l’intérieur d’Israël même. »
Le groupe de travail recommandait une série de mesures possibles, y compris des sanctions, ce qui reflète l’évolution historique et ininterrompue des réponses à grande échelle aux politiques d’occupation d’Israël.
Le changement le plus notable, c’est que les plus importantes institutions de la société civile américaine débattent à présent régulièrement et publiquement des politiques oppressives israéliennes envers la Palestine, et discutent aussi des motions visant à sanctionner Israël pour ces politiques tout en cherchant à promouvoir la justice pour les Palestiniens et les Israéliens.
Au centre des initiatives d’aujourd’hui se trouve l’initiative de la société civile palestinienne, vieille de dix ans et nommée mouvement pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions contre Israël, qui cherche à placer le droit international en conformité avec les droits des Palestiniens.
Israël craint à juste titre que ces mouvements ne fassent de plus en plus écho au mouvement anti-apartheid des années 1980 qui a contesté la suprématie blanche en Afrique du Sud.
Plus inquiétant pour Israël sont les données démographiques et politiques qui ont émergé dans ce vote de l’AAA, comme dans d’autres organisations parmi les églises traditionnelles des États-Unis, les syndicats et les associations universitaires : les membres les plus jeunes, d’une plus grande diversité ethnique et plus actifs et progressistes, soutiennent dans leur large majorité les sanctions contre Israël pour son assujettissement des Palestiniens, tandis que le soutien pro-israélien se limite de plus en plus et largement aux personnes les plus âgées, principalement les Américains blancs qui ont tendance à suivre l’exemple d’Israël sur ces questions.
Le temps est à la justice pour les Palestiniens et à l’égalité des droits pour les deux peuples. Une majorité d’Américains – les sondages le confirment – partagent ce désir que leur gouvernement soit impartial dans le conflit israélo-palestinien.
Une douzaine des principales églises et associations universitaires, des principaux syndicats des États-Unis ont voté au cours des quatre dernières pour le boycott et les sanctions des institutions israéliennes qui asservissent les Palestiniens. Dans le demi-siècle qui précède, le simple fait de discuter de la question des droits de la Palestine en public était pratiquement impossible.
« Le modèle est clair » m’a dit un professeur d’université qui est actif dans les initiatives BDS. « Au début, les membres d’une organisation refusaient même de discuter des politiques israéliennes et de leur impact sur les Palestiniens. Ensuite, la question a été discutée, mais avec un vote négatif. Et après deux ou trois ans de plus d’un débat public par toutes les parties, le vote finit par passer. Nous nous attendons que la même chose se produise avec l’AAA et d’autres associations universitaires qui soulèvent cette question. »
Débat public
Sept associations universitaires américains ont soutenu les actions de la campagne BDS, et d’autres sont en train de débattre de la question. La leçon à tirer, disent les militants, est qu’Israël finit toujours par perdre quand le public discute les faits au sujet de la Palestine et d’Israël.
Ce débat public se produit maintenant régulièrement, surtout parce que durant les 68 dernières années, le monde a constaté ce que faisait l’État colonisateur israélien, la privation des droits des Palestiniens, leur exil et l’occupation.
Les jours où Israël pouvait escompter un soutien automatique et de masse aux États-Unis semblent toucher à leur fin. Les politiques israéliennes sont aujourd’hui ouvertement débattues, de très larges organisations soutiennent la campagne BDS et même un candidat présidentiel aussi crédible que Bernie Sanders a revendiqué une politique américaine plus équitable concernant Israël et la Palestine.
L’AAA et d’autres associations utilisent l’arme des boycotts pour exprimer leur opposition à un comportement contraire à l’éthique ou illégales, par des sociétés (Coca Cola) ou même des États (l’Arizona, l’Illinois, la Géorgie).
Le gouvernement des États-Unis et les États de la fédération sanctionnent et boycottent d’autres pays (la Russie, l’Iran, Cuba, le Soudan) en prétextant leur comportement politique. Les gens se demandent alors de plus en plus pourquoi Israël devrait être exempté d’une discussion publique sur son comportement envers les Palestiniens.
Ironiquement, même certains politiciens qui soutiennent sans réserve Israël peuvent voir leurs décisions se retourner contre eux, et entraîner un très large débat sur les politiques israéliennes, comme dans le cas du gouverneur Andrew Cuomo de l’État de New York qui a émis un ordre exécutif la semaine dernière disant que l’État boycotterait toute institution qui décidait de boycotter Israël.
Liberté d’expression
Sept États ont déjà voté des lois interdisant un boycott d’Israël et d’autres envisagent de faire de même. La décision de Cuomo a suscité un débat médiatique généralisé – quant à savoir si elle violait la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression – jusque dans un éditorial du New York Times, écrit par un juif américain, qui qualifie l’initiative de Cuomo d’hypocrite, de constitutionnellement suspecte et d’inappropriée.
L’Église Unie du Christ a aussi rapidement critiqué la décision de Cuomo comme une violation de la garantie de la liberté d’expression par le Premier amendement de la Constitution, en notant qu’elle-même comme d’autres églises ont souvent et « activement soutenu des campagnes de défense des droits humains, parfois par le boycott des consommateurs et même le désinvestissement des entreprises qui ont profité de l’injustice … »
L’été dernier, l’Église Unie du Christ a appelé au désinvestissement et au boycott des entreprises qui profitent de l’occupation par Israël des territoires palestiniens.
Comme le mouvement anti-apartheid dans les années 1980, la lutte pour contrer l’oppression israélienne des Palestiniens par des campagnes de boycotts et de sanctions, gagne régulièrement en puissance et s’est transformée de quelque chose de marginal en un courant majeur de la politique publique américaine. Si j’étais à la place d’Israël, je me ferais un sang d’encre…
* Rami G Khouri est analyste des politiques publiques pour le compte de l’Institut Issam Fares à l’Université américaine de Beyrouth
15 juin 2016 – Al Jazeera – Traduction : Lotfallah