Au cours de la semaine écoulée, des jets israéliens ont survolé le Liban à très basse altitude, rappelant sans cesse la menace d’une guerre.« S’ils veulent nous faire la guerre, qu’ils le fassent. Peut-être que cela pourrait réduire la pression sur Gaza », dit ma mère.
Que prendre et que laisser en cas de guerre ? Dois-je prendre mon passeport ? Même si je voulais partir, je ne pourrais pas ; la seule frontière est avec la Syrie. Je serais arrêtée et grillée par les services de contrôle aux frontières à mon retour au Royaume-Uni.
En tout état de cause, je ne partirai pas ou n’évacuerai pas comme des étrangers, abandonnant le pays et ma famille simplement parce que j’ai le luxe de pouvoir le faire. J’ai laissé mon passeport à Beyrouth et je n’ai emporté que ma carte d’identité libanaise, au cas où j’en aurais besoin.
C’était quelques jours après l’attentat qui a tué Shukr, le dirigeant du Hezbollah. Les tambours de guerre sont omniprésents et la ville est en proie à la panique. Les discussions sur la question de savoir si la Bekaa est plus sûre que Beyrouth vont bon train.
De toute façon, qui peut raisonner Israël ? Nous avons vidé la maison et laissé les portes entrouvertes au cas où il y aurait de grosses explosions, afin de ne pas subir trop de dégâts. Sommes-nous en train de dire adieu à la maison ? Et si elle est touchée ? Nous sommes dans une zone sûre – Israël ne frappera pas Ras Beirut, dit-on ! Mais y a-t-il des zones sûres dans les guerres ? Gaza nous prouve le contraire.
Un passager d’un taxi de service à Beyrouth a demandé : « Y aura-t-il une guerre ? » Le chauffeur a immédiatement répondu : « Que voulez-vous dire par ‘va-t-il y avoir une guerre ?’ Il y a déjà une guerre ! Je ne suis pas allé dans mon village du sud de toute l’année. Plus de trente villages ont été rasés. Des régions entières sont brûlées. N’est-ce pas la guerre, ou ne l’appelons-nous guerre que lorsqu’elle se déroule à Beyrouth ? Le sud ne fait-il pas partie de ce pays ? »
Nous avons quitté Beyrouth en moins de vingt minutes, même s’il était midi, pour une route qui prend habituellement pas moins d’une heure. Les routes étaient vides.
Beyrouth était soudain magnifique, une ville qui a commencé à retrouver un peu de vie après quelques années d’une terrible crise économique. Les bâtiments autrefois détestés sont soudain magnifiques, un sentiment soudain de nostalgie pour une ville qui n’existe plus, une ville qui est soudain charmante.
Les routes de la Bekaa étaient pleines. Peut-être que tout le monde a quitté la ville. Peut-être pensaient-ils aussi comme nous : les guerres sont plus supportables dans les petits villages ; elles sont plus difficiles dans les villes, même si nous savons que nulle part nous ne sommes à l’abri.
Messagers de guerre
Les ambassades, les médias et les citoyens libanais vivant à l’étranger ont semé la panique et la peur dans le pays, menant une guerre psychologique. Il est éprouvant et épuisant de recevoir sans cesse des messages ou de lire dans les journaux que les ambassades demandent à leurs ressortissants de quitter Beyrouth – soit le plus rapidement possible, soit dans les 72 heures, soit par le vol le plus rapide qu’elles puissent trouver.
Les prix des vols sont montés en flèche, avec 1500 dollars pour la Turquie et 1400 dollars pour Paris. Une fois que la plupart des compagnies aériennes ont cessé leurs vols vers Beyrouth, les voyages vers Chypre, qui coûtaient auparavant 150 dollars, coûtent désormais 1000 dollars par bateau !
Il est déprimant de lire que des compagnies aériennes ont annulé des vols ou interrompu tous les voyages à destination de Beyrouth : serons-nous coupés du monde qui nous entoure, et pour combien de temps ? Les alertes des ambassades et les décisions des compagnies aériennes sont devenues le baromètre de la guerre qui menace le pays.
On peut se demander ce qu’il adviendra des panneaux d’affichage qui accueillent les estivants dans tout le pays. C’est la saison estivale, et les Libanais du monde entier viennent nous rendre visite. C’est la saison que le pays attend pour obtenir des dollars frais et l’activité économique dont il a tant besoin.
En une semaine, presque tous ceux qui ont des pays où aller sont partis ! Ils sont remplacés par des journalistes, des reporters et des cameramen de journaux réputés qui viennent à Beyrouth, s’attendant à une guerre à rapporter, comme nous le lisons dans les journaux télévisés. Un autre baromètre de la gare à venir….
Elle sera longue, si l’on en croit les loyers à long terme que les journalistes assurent. Les ambassades et les médias occidentaux sont les baromètres des guerres – d’une manière ou d’une autre, nous croyons qu’ils savent.
Pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un passeport étranger, il y a des décisions à prendre : rester à Beyrouth ou s’installer dans d’autres régions : la Bekaa, le nord, les montagnes, mais bien sûr, pas le sud.
Où Israël va-t-il frapper ? Nous pouvons peut-être consulter les alertes des ministères des affaires étrangères. Les Britanniques disent d’éviter la Bekaa et le sud, tout comme les Américains. Et bien sûr, éviter Beyrouth.
Que reste-t-il donc du pays ? Là encore, ils savent. C’est là que les décisions sont prises, et nous devons les croire.
Il y a quelque chose de surréaliste dans tout cela. Les ambassades ne s’intéressent qu’à leurs propres citoyens, ce qui signifie pour les Libanais que ce n’est pas grave s’ils se font tuer. Ce n’est pas grave si vous n’êtes pas en sécurité, si vous êtes affamés ou bombardés. Vos vies ne comptent pas.
Nous l’avons déjà vu à Gaza ! Les journaux sont des chasseurs de guerre, sautant d’un endroit à l’autre où leurs pays prédisent des guerres. Avons-nous besoin de ces journalistes ? En quoi la connaissance par le monde de ce qui arrive aux Palestiniens de Gaza est-elle importante ? Ils sont toujours victimes d’un génocide en cours.
Les Libanais de l’étranger participent également à la panique. Ils lisent les nouvelles et commencent à pousser les gens à partir. Les Libanais de France insistent sur le fait que l’Iran frappera avant la fin du mois d’août, ou peut-être le 15 !
D’une certaine manière, nous les croyons. Ne vivent-ils pas au centre ? Ils doivent savoir ! Ils sont les experts, ils connaissent leurs gouvernements, qui mettent en garde contre la guerre mais se contentent de la regarder, de la laisser se dérouler tant que leurs citoyens ne sont pas dans le pays,
« Nous ne voulons pas la guerre ! »
La route de la Bekaa est remplie de panneaux d’affichage « Nous ne voulons pas la guerre ! » On y voit des photos de Libanais heureux, occidentalisés à la plage, au restaurant ou lors de différentes visites au Liban.
Sur certains d’entre eux, des gens ont inscrit « La guerre n’est pas un choix, elle nous est imposée ». Cela m’a rappelé la campagne « I Love Life » après la guerre de 2006.
Cette campagne, financée par Saatchi et Saatchi [agence publicitaire], affirmait que certains Libanais n’aimaient pas la vie et avaient une culture de la mort, tandis que d’autres avaient une culture de la vie et aimaient vivre. À l’époque, le Hezbollah a lancé une contre-campagne, inscrivant sous « J’aime la vie » des mots tels que « avec dignité, avec libération ».
Cette fois-ci, cependant, de nombreux partisans de la vie dans la dignité restent sceptiques quant à l’éventualité d’une guerre totale. Cela s’explique en partie par le fait que l’Iran n’est pas digne de confiance après la Syrie et l’Irak, en partie par la déception vis-à-vis du Hezbollah de ne pas avoir soutenu davantage les Palestiniens dans la guerre actuelle contre Gaza, et en partie par le fait que les États-Unis et l’Iran ne veulent pas de la guerre.
Alors qu’en 2006, la distinction entre ceux qui étaient pour la résistance et ceux qui étaient contre, la guerre contre la Syrie et l’engagement du Hezbollah dans de nombreux autres pays arabes lui ont fait perdre le soutien de nombreux membres du camp pro-palestinien. Le slogan « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » ne tient plus. L’ennemi de mon ennemi n’a pas à être mon ami.
Que ferons-nous si Israël frappe la Bekaa ?
Même ceux qui ne croient pas à une guerre totale pensent qu’une guerre pourrait éclater à tout moment. Que dirons-nous alors aux enfants ? Ou que dire aux personnes âgées qui ont peur ? Les excuses ne manquent pas : notre village est sûr. Ou « qu’ils extraient du sable des montagnes », ou encore que les résultats du baccalauréat sont sortis, que tout le monde a réussi et que les parents font la fête avec de nouveaux projets.
C’est la panique générale, que l’on croie ou non à la guerre. Nous sommes obligés de nous inquiéter, et les images de Gaza que nous voyons en permanence sont un bon rappel de ce à quoi la guerre pourrait ressembler et de la façon dont le monde nous laissera de côté.
Pour ma mère, cependant, « nous ne valons pas mieux que les Gazaouis, et s’ils veulent nous faire la guerre, qu’ils la fassent. Peut-être que cela pourrait réduire la pression sur Gaza, et ce sera la seule bonne raison pour la guerre. Ce sera la seule raison pour laquelle nous pourrons accepter une guerre ! »
Une intervention divine
Au cours de la semaine écoulée, des jets israéliens ont survolé le pays à très basse altitude, rappelant constamment la menace de guerre qui se profile. Dans les médias, tout tourne autour de l’Iran et de ses alliés, affirmant qu’en réalité, Israël mène des guerres partout.
Biden se vante d’être le seul président à n’avoir connu aucune guerre durant son mandat. Nous rions. Comment appelle-t-il la guerre contre Gaza ? N’est-ce pas une guerre israélo-américaine entièrement financée par les États-Unis ? Munitions, armes, missiles guidés ? Comment appelez-vous cela ? Ce n’est pas votre guerre ?!
C’est un monde devenu fou. Pour ceux qui sont pro-Palestine et concernés par le génocide, il y a un désenchantement total à l’égard de toute forme de justice. Il n’y a aucun espoir dans un quelconque État de droit ou dans le droit international ; c’est un piège.
Il n’y a d’espoir que dans l’intervention divine. Certains d’entre nous s’imaginent être invisibles et se débarrasser de tous ceux qui participent activement au génocide. D’autres rêvent de superpuissances qui peuvent nous emmener à certaines réunions et les faire exploser, et d’autres encore rêvent de catastrophes naturelles comme des tremblements de terre qui peuvent anéantir ceux qui sont impliqués dans le massacre.
Je pense à Walter Benjamin, qui écrivait pendant l’Holocauste : « Marx dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale. Mais peut-être en va-t-il tout autrement. Peut-être les révolutions sont-elles une tentative des passagers de ce train – à savoir la race humaine – de tirer le frein d’urgence ».
Je ne comprends que maintenant ce qu’il voulait dire. Peut-être devons-nous tous arrêter notre vie de tous les jours et agir maintenant. En période de génocide, tirer les freins est un acte de révolution.
Allons-nous freiner ? C’est peu probable.
Auteur : Mayssoun Sukarieh
* Mayssoun Sukarieh est membre du comité de recherche de l'Institut d'études palestiniennes. Titulaire d'un doctorat de l'université de Berkeley, elle est maître de conférences au département du développement international du King's College de Londres. Une partie de ses recherches est liée à la production de connaissances sur les réfugiés au Liban.
12 août 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine