Bien que nos universités et nos hôpitaux soient en ruines, ma génération reconstruira Gaza

La façade détruite de l'université Al-Azhar - Photo : Ahmad Atallah Jaber/ IG

Par Hend Salama Abo Helow

J’ai toujours voulu devenir médecin et mon rêve se réalisait à l’université Al-Azhar. Mais Israël a laissé notre campus en ruines et a détruit une génération. Ceux d’entre nous qui ont survécu font le vœu de perpétuer l’héritage des martyrs et de reconstruire Gaza.

Depuis la maternelle, je rêve de devenir médecin. Chaque étape que j’ai franchie – d’innombrables nuits passées à étudier, de nombreuses compétences cultivées, chaque obstacle surmonté – a été guidée par cette ambition.

Mes parents, enseignants retraités de l’UNRWA, et mes instructeurs m’appelaient fièrement « Dr Hend », un nom que je portais avec fierté. Ce n’était pas seulement une attente, c’était une promesse que je m’étais faite à moi-même.

En 2022, j’ai obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires avec une moyenne impressionnante de 98,1 %, une étape qui a marqué le début de mon parcours à l’université Al-Azhar, un bastion de longue date de l’apprentissage, de l’héritage et de la résilience.

L’université n’était pas seulement une institution, c’était ma deuxième maison. J’y ai passé tout mon temps, absorbé par mes études de médecine, nouant des amitiés durables et construisant un avenir auquel je croyais.

L’un des souvenirs les plus marquants est le projet « You Can Save a Life » (Vous pouvez sauver une vie), qui s’est tenu à deux reprises en janvier 2023 et en septembre 2022, sous la direction du Fonds de secours aux enfants de Palestine (PCRF) et du Dr Mads Gilbert.

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Le cours ne visait pas seulement à améliorer les compétences pratiques des étudiants en médecine en matière de réanimation cardio-pulmonaire et de premiers secours pour les cas critiques ; il s’agissait également de permettre aux étudiants en médecine de former de nombreuses générations issues de différents milieux – lycéens, enseignants, ouvriers, marchands de légumes, et même des enfants – à la manière de traiter les cas médicaux graves.

L’objectif était de créer une vaste communauté de personnes capables de fournir des soins médicaux immédiats lors de telles atrocités et de sauver des vies.

Nous étions loin de nous douter à quel point ces connaissances allaient devenir essentielles après le 7 octobre.

Le génocide a commencé. J’étais au milieu de mon semestre d’immunologie et je préparais une présentation pour mon professeur. Je me souviens avoir pensé que cette guerre, comme d’autres avant elle, passerait.

Mais cette fois, ce ne fut pas le cas. Comme ce n’était pas la première escalade que je vivais, j’ai poursuivi avec ardeur mes études.

Je n’ai que 20 ans, mais je préfère compter mon âge par le nombre de guerres dont j’ai été témoin – six guerres et un génocide en cours.

Mon université, autrefois animée par les espoirs et les rêves d’étudiants comme moi, a rapidement été réduite à l’état de ruines. En avril, une photo a commencé à circuler : le campus réduit à l’état de ruines, des chars occupant l’espace où nos rêves s’épanouissaient.

La dévastation est allée au-delà de la destruction physique. Les professeurs qui nous ont guidés tout au long de notre parcours avec un dévouement inébranlable ont disparu.

Parmi eux, le Dr Hussam Hamada, pionnier de la pathologie et pilier éminent du complexe al-Shifa, qui servait inlassablement la communauté médicale et nous inspirait tous.

Il a été tué alors qu’il tentait de mettre sa famille à l’abri après des jours de siège dans le nord de Gaza.

« Il ne voudrait pas être ailleurs qu’à Gaza, même dans les moments les plus sombres », m’a dit sa nièce, Aseel Hamada, étudiante en troisième année de médecine. « S’il était encore en vie, il choisirait toujours Gaza, encore et encore. »

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Les pertes ne se sont pas arrêtées là. Au moins 23 étudiants en médecine de l’université Al-Azhar ont été tués, leurs rêves anéantis. Parmi eux se trouvaient mes collègues, chacun avec sa propre histoire et ses propres sacrifices :

Buthaina Al-Maqosi, ma meilleure amie, a survécu à la guerre de mai 2023 mais a été tuée en mars 2024 avec sa famille lors d’une frappe aérienne odieuse lorsque la maison de leur voisin a été ciblée dans le camp de réfugiés d’Al-Nuseirat.

Je me souviens très bien de nos conversations avant un examen de psychologie pendant la guerre de mai 2023.

« Je suis mortifiée, comment pouvons-nous étudier et nous concentrer sur notre examen, alors que notre peuple est tué ailleurs ? Mais je n’ai pas d’autre choix que de continuer », a-t-elle déclaré.

Anas Al-Zerd a été retrouvé mutilé et décomposé après avoir disparu pendant 70 jours. Sa famille pensait qu’il avait été détenu, mais lui et son frère ont été tués.

Dina Al-Masri a été retirée sans vie des décombres de sa maison en novembre 2023.

Said Awad a été massacré, ainsi que sa famille, alors qu’il priait à l’aube dans une école de Rafah, au moment des derniers examens en ligne du premier semestre.

Bader Al-Zahinin a été déplacé à plusieurs reprises, avant d’être tué lorsqu’une frappe aérienne a touché sa maison dans le camp de réfugiés d’Al-Maghazi.

Mohammed Abu Jaden, un collègue respecté et serviable, a été tué dans le camp de réfugiés de Jabalia.

Saher Al-Neurab a poursuivi ses études en ligne malgré la guerre, mais sa vie a été interrompue lorsqu’une bombe a récemment frappé sa maison, emportant toute sa famille.

Chacun d’entre eux rêvait d’endosser une blouse blanche, d’enfiler un stéthoscope et de servir notre communauté. Ils n’étaient pas seulement des chiffres ou des statistiques, ils représentaient l’avenir prometteur de Gaza.

Moi aussi, j’ai perdu quelqu’un de précieux : ma grand-mère, le cœur de notre famille. Elle avait rêvé d’assister à ma remise de diplôme, me comblant toujours d’amour et d’encouragements.

Son absence me fait souffrir chaque jour, mais elle m’inspire en même temps : je veux devenir ce qu’elle rêvait que je sois : une neurochirurgienne.

Ceux d’entre nous qui ont survécu sont confrontés à des défis insurmontables. Nombre de mes collègues vivent aujourd’hui sous des tentes, déplacés et privés des produits de première nécessité.

Samir Eid, étudiant en deuxième année de médecine, a perdu son frère, sa sœur et sept membres de sa famille. Il vit désormais dans une tente qui ne lui offre aucune protection contre les rigueurs de l’hiver ou le soleil brûlant.

« Bien que j’aie été bombardé, déplacé et que j’aie perdu ma famille, j’ai réussi à exceller dans mes examens », a déclaré Samir. Ses paroles reflètent l’esprit inébranlable des étudiants de Gaza.

Certains de mes collègues ont été évacués en Égypte, où quelques-uns se sont inscrits dans des universités égyptiennes pour poursuivre leurs études. D’autres, qui en étaient au stade clinique de leur formation, ont reçu de généreuses bourses du Pakistan, de la Norvège et de l’Afrique du Sud.

Le reste d’entre nous est resté, persévérant grâce à l’apprentissage en ligne, alors que tout s’écroulait autour de nous.

L’apprentissage en ligne est devenu notre bouée de sauvetage, mais il a été semé d’embûches. L’internet fiable est un luxe à Gaza. Nombre d’entre nous ont risqué leur vie juste pour trouver un signal afin de télécharger des cours ou de passer des examens.

Je me souviens d’un ami qui a parcouru des kilomètres pour passer un examen en ligne, avant de s’évanouir dans un abri bondé après un massacre commis à proximité.

Le bilan mental des études au milieu des bombardements, des déplacements, de la famine et des pertes est effroyable – les troubles de stress post-traumatique, l’anxiété, la dépression, les troubles du sommeil et le froid nous affectent tous.

Pourtant, nous persistons.

Vers la fin du mois de décembre, 84 étudiants en médecine de sixième année ont obtenu leur diplôme, défiant tous les pronostics. Ils ont revêtu leur blouse blanche, prêts à servir en première ligne.

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« Je suis fier de la résistance et de la détermination de mes étudiants », a déclaré le Dr Mohammed Zughbur, doyen de notre faculté de médecine. « Leur force est inégalée. Ils sont l’avenir de Gaza. »

Mais pour l’instant, l’avenir semble fragile et incertain. Même si l’infrastructure universitaire de Gaza est démolie, que le système de santé est au bord de l’effondrement et que les atrocités de la guerre nous guettent, nous n’abandonnerons pas Gaza.

Ce qui nous pousse, moi et les autres étudiants en médecine, à continuer, c’est que Gaza a plus que jamais besoin de nous, surtout après la destruction systémique du système de santé et l’assassinat de ses professionnels.

Notre détermination à reconstruire chaque brique de chaque hôpital et de chaque université, main dans la main, est extraordinaire. Nous nous engageons à restaurer les rêves volés de ceux qui n’ont pas survécu et à perpétuer leur héritage. Nous nous engageons à inspirer les générations futures à ne pas abandonner l’éducation à tout prix comme un moyen de libération.

« J’attends avec impatience le moment où le poste frontière sera ouvert, pour revenir à Gaza, embrasser son sable et remplir mon devoir envers ma patrie », m’a dit l’un de mes amis qui a poursuivi des études de médecine en dehors de Gaza.

Gaza n’est pas seulement un lieu, c’est un esprit de résilience, un phénix qui renaît de ses cendres.

Ce n’est pas seulement mon histoire. C’est l’histoire de tous les étudiants de Gaza qui osent rêver, qui s’accrochent à l’espoir même lorsque le monde semble déterminé à l’éteindre.

Nous ne sommes pas seulement des survivants. Nous sommes les bâtisseurs d’un avenir qu’aucune guerre ne peut effacer.

Gaza prospérera à nouveau. Et moi aussi.

20 janvier 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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