Par Shahd Safi
« J’étais chez mon père quand j’ai entendu les bombes. Quelqu’un m’a appelé pour me dire qu’Israël bombardait mon quartier », a déclaré Ashraf Al Qaisi, un vendeur de 46 ans originaire de Gaza.
Ashraf a couru chez lui. Lorsqu’il est arrivé, tout le quartier était dévasté. On emmenait les blessés dans des ambulances, les gens criaient et couraient. La scène, l’odeur, le bruit étaient effrayants. C’était horrible de voir toutes ces destructions et ces souffrances et de se sentir impuissant.
Ashraf s’est précipité chez lui pour prendre des nouvelles de sa famille. Sa femme était blessée. Son fils était déjà dans l’ambulance. On lui a assuré que son fils était vivant, alors il est retourné voir sa femme.
Elle tenait leur plus jeune fils dans ses bras lorsque des fragments de bombe ont touché sa main.
Les blessures de sa femme étant beaucoup moins graves que celles des autres habitants du quartier, il l’a emmenée avec ses autres enfants chez un voisin, pour laisser la place à des cas plus sérieux dans l’ambulance. Quant au fils d’Ashraf, il est toujours à l’hôpital, où l’on essaie de retirer les fragments d’obus de sa main.
Le camp d’Al-Shout a été bombardé par Israël à 21h30 le 6 août, dans le cadre de l’agression contre la bande de Gaza. Le raid a tué huit personnes, dont un enfant de 14 ans et trois femmes, a fait 50 blessés et a rasé six maisons, sous lesquelles plusieurs corps ont été piégés.
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Lors de l’attaque intense du camp d’Al Shout, dans le sud de la bande de Gaza, la défense civile lui a demandé l’autorisation de démolir ce qu’il restait de la maison d’Ashraf pour pouvoir sauver les personnes sous les décombres. Il n’a pas hésité une seule seconde.
Ils ont dû faire venir de Gaza un bulldozer qui a mis deux heures à arriver. Quatre heures plus tard, les agents de la défense civile ont réussi à sortir les deux premiers corps. Après huit heures, ils en avaient sorti onze au total.
Il ne restait de la maison que quatre murs endommagés et une seule pièce. Lorsque la défense civile a eu besoin de passer par cette pièce pour atteindre d’autres personnes sous les décombres, Ashraf n’a pas pu refuser. Dans tout le quartier, les gens avaient désespérément besoin d’aide.
Le voisin d’Ashraf Al Qaisi, Omar Farhat, 60 ans, qui a vu tout ce qui s’est passé ce jour-là, a déclaré que les roquettes avaient commencé à tomber sur les bâtiments autour de lui alors qu’il se reposait sur un tapis près de sa maison.
Il n’y a eu aucun avertissement. Il a mis les mains sur sa tête et a couru à l’intérieur de sa maison, où se trouvaient ses filles et sa femme. Environ 15 personnes étaient à l’intérieur. Il les a toutes aidées à sortir.
Puis Omar a vu son voisin, Iyad Hassouna. Son visage était couvert de sang. Il était incapable de courir, alors Omar l’a porté sur ses épaules jusqu’à une ambulance. Le voisin criait : « Sauvez mes enfants ! » Omar savait qu’ils étaient déjà morts. Il avait vu la femme et la fille de Hassounas, entièrement couvertes de sang. Cela l’avait horrifié.
Les gens étaient terrifiés. Il y avait de la poussière partout. On pouvait à peine se voir. Il y avait des morceaux de chair dans les décombres. Omar Farhat entendait les gens appeler leurs proches et leurs enfants. C’était horrible.
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Hier, le fils d’Omar s’est encore réveillé en criant : « Il y a une roquette, papa, il y a une roquette ! » Lui et tous les autres sont profondément traumatisés. Omar a remercié Dieu de n’avoir été couvert que de poussière et non de sang.
Le porte-parole de la défense civile, le major Mahmmoud Bassal, a déclaré : « Israël n’a prévenu personne dans le quartier, les gens sont donc restés coincés sous les décombres et on ne pouvait pas entrer dans les maisons bombardées, car toutes les maisons sont très proches les unes des autres. »
Pour permettre au bulldozer d’atteindre les décombres, quatre voisins ont autorisé la défense civile à démolir leurs maisons complètement ou partiellement.
Le porte-parole a expliqué que la défense civile à Gaza souffre d’un manque d’équipement à cause du siège israélien.
« La défense civile ne dispose pas de ses propres équipements lourds à Gaza. Elle emprunte les bulldozers du ministère des travaux publics. Ils utilisent ces véhicules depuis 1994, alors que normalement ils devraient être remplacés tous les cinq ans », a-t-il déclaré.
« Nous aurions pu sauver beaucoup plus de personnes, si nous avions eu des équipements en plus grand nombre et en meilleurs état. »
Jusqu’à présent, Ashraf n’a reçu aucune compensation. Certaines organisations, des voisins et des amis lui ont donné un peu d’argent, mais pas assez pour couvrir ses pertes financières, construire une nouvelle maison et vivre une vie décente.
Cependant, Ashraf n’a jamais regretté son choix, car sauver des vies était bien plus important pour lui que sa maison. « Dans ces moments-là, on ne pense qu’à aider d’autres personnes à survivre », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il espérait que Dieu le dédommagerait pour son sacrifice.
Auteur : Shahd Safi
« Étant originaire de Gaza, je crois qu'il est de mon devoir de partager mes luttes personnelles avec les lecteurs, même si je déteste la façon dont cela exprime ma véritable identité de réfugiée palestinienne. J'essaie de renforcer notre récit palestinien en écrivant des récits historiques et politiques, racontées ou vécues par ceux qui sont témoins de ce qui se passe sur le terrain. Je suis un exemple de l'adage qui dit que 'là où la vie vous plante avec un chagrin sincère, fleurissez avec grâce'. » Comptes twitter et facebook.
27 septembre 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet