Par Abdel Bari Atwan
Les régimes despotiques arabes ne peuvent absolument pas prétendre qu’ils ont rempli leur devoir en distribuant des sandwiches et des boîtes de conserve.
Deux événements ont retenu l’attention du public cette semaine :
- l’auto-immolation d’un jeune militaire américain à l’entrée de l’ambassade d’Israël à Washington pour protester contre la collusion de son pays avec la guerre génocidaire contre Gaza,
- l’envoi théâtral de six avions-cargos militaires C-130 de fabrication américaine – trois de Jordanie et un des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de la France – pour larguer des fournitures dans la bande de Gaza.
Le premier évènement, le martyre d’Aaron Bushnell, est devenu viral sur les médias sociaux, attirant des centaines de millions de téléspectateurs et suscitant chagrin et sympathie dans le monde entier, en particulier aux États-Unis.
Il s’agissait d’une mise en cause morale dévastatrice des États-Unis et d’Israël, dont la guerre de près de cinq mois contre Gaza a fait plus de 30 000 morts, 100 000 blessés, deux millions de personnes déplacées et 86 % des habitations détruites.
Le deuxième événement, la livraison d’une « aide aérienne » à Gaza, a été saluée par certains, mais critiquée et tournée en dérision par beaucoup d’autres.
Ce « pont aérien » a largué environ 46 tonnes de fournitures et de repas prêts à consommer – à peine de quoi nourrir quelques centaines de personnes pendant une journée – alors que 2300 camions, transportant des milliers de tonnes d’aide humanitaire et médicale, sont restés bloqués au point de passage de Rafah, qui est toujours fermé.
Certains de ces camions attendent depuis si longtemps que les dates limites de consommation de leurs cargaisons ont expiré.
Les autorités israéliennes d’occupation ont permis aux six avions d’accéder à l’espace aérien de Gaza. L’objectif n’était pas de soulager la famine à laquelle sont confrontés les 1,5 million d’habitants de la bande de Gaza qui vivent sous des tentes dans des conditions misérables, mais de donner aux parties concernées un verni « humanitaire » et de réduire la pression internationale qui pèse sur elles.
Les trois États arabes participant aux largages – l’Égypte, la Jordanie et les Émirats arabes unis – ont normalisé leurs relations avec Israël.
Ils ont tous présenté cela comme un moyen d’aider le peuple palestinien et de l’assister dans son objectif d’autodétermination. Tout ce qu’ils ont réussi à faire après quatre mois de massacre, c’est de laisser tomber ces 46 tonnes de nourriture.
Aucun d’entre eux n’a même rompu ses relations ou fermé l’ambassade d’Israël dans sa capitale pour protester contre le génocide, contrairement à une longue liste de pays non arabes et non musulmans, de l’Afrique du Sud au Chili.
L’Égypte, l’ancien leader du monde arabe qui porte la responsabilité historique et morale de la bande de Gaza, n’a expédié que 10 tonnes d’aide, tout en se pliant docilement à la fermeture par Israël du point de passage de Rafah.
Il est impossible de ne pas ressentir un choc, de la tristesse et de la honte en regardant les images de personnes affamées – qui n’ont rien eu à manger pendant des jours et qui ont même été privées d’eau potable – se bousculant pour s’emparer d’une partie de ces fournitures larguées par avion.
Rien de tel ne s’est produit dans l’histoire de la région, voire du monde entier.
Il est plus que répugnant de voir ces trois États arabes – tous proches alliés des États-Unis, disposant de fonds importants et d’armées suréquipées – se vanter et se féliciter de ce petit pas, et prétendre être entièrement satisfaits d’avoir fait tout ce qu’ils pouvaient faire pour aider leurs compatriotes arabes qui subissent des tragédies indicibles sous leurs propres yeux.
C’est du pur théâtre, conçu pour compenser la colère et l’indignation de l’opinion publique face à l’impuissance simulée de ces régimes arabes despotiques.
Les habitants de la bande de Gaza ont besoin d’un soutien politique et militaire arabe sérieux – et non de sandwichs et de conserves largués par avion – s’ils veulent éviter d’être exterminés et de subir un nettoyage ethnique.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
1er mars 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine