Par Ian S. Lustick
Les vociférations des dirigeants israéliens à propos des prétendues ambitions nucléaires iraniennes ne font que révéler la profondeur de leur chutzpah (*) et de leurs mensonges sur leur propre arsenal atomique, écrit Ian S. Lustick.
Pour les dirigeants israéliens, cela fait quinze ans que le ciel a commencé à leur tomber sur la tête. “Nous sommes en 1938”, a déclaré Benjamin Netanyahu en 2006, “et l’Iran est l’Allemagne nazie”. L’Iran avec une bombe nucléaire, a-t-il insisté, signifierait un second Holocauste.
Il exigeait alors que le monde renverse la République islamique, ou au minilum assiste Israël dans une frappe israélienne pour empêcher Téhéran de rejoindre le club des États disposant d’armes nucléaires.
Selon le nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et son ministre de la Défense, Benny Gantz, le ciel continue de tomber. Comme Netanyahu avant eux, ils font tout leur possible pour délégitimer et détruire les efforts diplomatiques visant à limiter l’accès de l’Iran aux armes nucléaires.
En Israël, l’oy-veyisme [invocation du malheur] concernant les armes atomiques aux mains des Iraniens est normal. Pour Israël, les problèmes ne sont pas simplement des problèmes… ce sont des “menaces existentielles”. En effet, les responsables d’aucun autre pays ne présentent la survie de leur État comme menacée aussi régulièrement et sous autant d’angles différents.
L’Iran, au seuil du nucléaire, est la menace existentielle du jour – la menace conjurée qui suscite actuellement plus d’hystérie que toute autre dans le système politique israélien.
Comme l’a récemment écrit le célèbre chroniqueur et auteur israélien Arie Shavit, le “loup” iranien n’est pas seulement “à la porte”, il “polit ses dents et aiguise ses griffes”. “Il se hâte de passer au nucléaire”, a-t-il écrit. Le temps de la “rencontre avec le loup” est venu.
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En raison des liens intimes d’Israël avec les États-Unis, de sa prépondérance militaire au Moyen-Orient et de la puissance du lobby israélien dans la politique intérieure américaine, l’hystérie en Israël diffuse inévitablement dans la politique internationale.
Combinée au nihilisme de la politique étrangère de Trump, elle a effectivement détruit le JCPOA. Si les efforts pour ressusciter ou remplacer cet accord échouent, et que les dirigeants israéliens font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher le succès, les chances d’une guerre catastrophique avec et en Iran zooment vers le haut.
C’est pourquoi il est crucial d’aller au-delà de l’analyse des craintes israéliennes. Le public américain, les décideurs politiques américains et leurs collègues européens, russes et chinois qui cherchent une voie diplomatique, doivent également comprendre les trois mensonges qui constituent la base de la campagne de marketing anti-iranienne d’Israël.
Craintes simulées et réelles
Le premier mensonges est l’idée que le gouvernement israélien craint réellement une attaque nucléaire iranienne. Indépendamment de ce que de nombreux Israéliens ordinaires ont été encouragés à penser que leur pays est un État sous la menace atomique, ni les élites politiques ni les services de sécurité israéliens n’ont jamais imaginé que si l’Iran avait la bombe, il la lâcherait sur Israël.
L’arsenal nucléaire israélien comprend au moins 90 ogives, suffisamment de plutonium pour en fabriquer 100 autres et de multiples systèmes de lancement avancés.
Des sommes véritablement colossales ont été dépensées pour cette “dissuasion ultime”. Il s’agit d’un investissement gigantesque entièrement consacré à garantir la capacité d’Israël à dissuader tout adversaire potentiel d’utiliser des armes de destruction massive contre lui.
Affirmer qu’Israël ne peut pas se sentir en sécurité face à une arme nucléaire iranienne constituerait une répudiation dévastatrice de ce que l’ensemble de l’establishment politique et militaire israélien a prétendu depuis des décennies : que les dépenses massives consacrées à son ” projet Dimona ” sont justifiées.
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Alors, qu’est-ce qui perturbe vraiment Gantz, Bennet, Netanyahu et tant d’autres Israéliens qui parlent de l’Iran en termes aussi apocalyptiques et frénétiques ? Dit de façon simple, ils craignent la perte de l’hégémonie israélienne.
Un État iranien capable d’utiliser éventuellement une arme nucléaire mettrait fin au statut d’Israël en tant que puissance militaire prépondérante et pleine d’assurance dans la région, en ajoutant de l’incertitude et des risques à toute action militaire.
Le fait que les dirigeants israéliens décrient aujourd’hui l’Iran pour son ambition de devenir l’État dominant de la région ne fait qu’ajouter à la profondeur de la chutzpah dont ils font preuve en dénonçant les soit-disant supercherie et mensonges iraniens sur ses ambitions nucléaires.
Après tout, Israël est l’État du Moyen-Orient qui, grâce à des décennies de dissimulation, a déployé un arsenal nucléaire de cniveau mondiale tout en niant avoir “introduit” des armes atomiques dans la région.
Le véritable problème, en d’autres termes, n’est pas que l’Iran, en tant qu’État au seuil du nucléaire, puisse conduire à un Israël réduit en cendres. Le problème est qu’il conduirait à un Israël partiellement dissuadé…
En effet, la capacité de riposte massive du Hezbollah au Liban donne déjà aux planificateurs israéliens le sentiment amer d’être dissuadés de leur pratique passée consistant à utiliser le sabotage et la force militaire de manière relativement peu coûteuse à Gaza, au Liban, en Syrie, en Irak et, bien sûr, en Iran.
Le déclenchement d’une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient ?
Le second mensonge est l’affirmation que si l’Iran obtient la bombe, cela déclenchera une course aux armements nucléaires dans la région. Cette affirmation est fausse car la course aux armements a déjà commencé.
Le programme nucléaire iranien, intensif, onéreux et difficile à nier, est précisément une réaction aux armes nucléaires d’Israël, à sa position hégémonique et à son animosité impitoyable envers la République islamique.
Comme l’a dit mon mentor, Kenneth Waltz, l’un des théoriciens des relations internationales les plus remarquables de notre époque, en 2012, “le pouvoir demande à être équilibré.”
Ce qui rend le Moyen-Orient instable, affirmait-il, ce ne sont pas les ambitions nucléaires de l’Iran, c’est le monopole nucléaire d’Israël.
Quel pays, face à des menaces qu’il jugerait existentielles, et qui aurait les moyens technologiques et matériels de se doter d’une assurance nucléaire contre une attaque, ne chercherait pas à le faire ?
C’est pourquoi, selon Waltz, “l’Iran devrait avoir la bombe”. Je soutiendrai qu’il existe un autre moyen, mais l’argument de Waltz est solidement ancré dans tout ce que nous savons et avons vécu sur l’équilibre du pouvoir et la terreur à l’ère nucléaire.
Israël “prendra les choses en main ?”
Le troisième mensonge est la prétention – activement diffusée par les dirigeants politiques et de sécurité israéliens – que si le monde ne règle pas le “problème” iranien, Israël est assez “cinglé” pour essayer de le faire unilatéralement.
Le mois dernier, le chef d’état-major d’Israël, Aviv Kohavi, a donné l’ordre de “mettre en marche les afterburners [systèmes post-combustion des avions supersoniques] dans les préparatifs d’une action en Iran”. Nous pouvons bientôt nous attendre à la répétition d’un exercice de 2012 simulant une attaque sur des installations iraniennes en envoyant 100 avions de guerre israéliens à Gibraltar et retour.
Il s’agit d’une comédie. Israël ne s’entraîne pas réellement à une guerre qu’aucun de ses experts militaires sérieux ne pense pouvoir gagner.
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Tous les planificateurs israéliens savent que le génie de la technologie nucléaire est sorti de la bouteille en Iran et qu’il ne pourra jamais y être remis.
En prétendant le contraire, Israël fait craindre à Washington que son allié incontrôlable n’agisse de manière totalement destructive et dangereuse. L’intention est de pousser les États-Unis au-delà des limites qu’ils ont fixées à leur volonté de faire pression sur l’Iran en vue d’un changement de régime.
Et même si ces tactiques d’intimidation n’aboutissent pas à une solution militaire américaine au “problème” iranien, elles peuvent conduire les négociateurs américains à maximiser les exigences envers l’Iran, minimisant ainsi les chances de renouvellement du JCPOA.
Alors, quel est le jeu final acceptable ? La suggestion de Waltz d’une prolifération nucléaire est d’une logique qui dérange, mais elle est également politiquement impossible pour un président US, quel qu’il soit – même si l’endiguement comme option signifie effectivement la même chose.
Une vision tout aussi logique est la recherche d’un Moyen-Orient sans armes nucléaires. Cela satisferait l’Iran puisque le besoin de Téhéran d’avoir des armes nucléaires est une réaction directe de sa concurrence avec un État israélien doté de l’arme nucléaire. Israël a également déclaré être favorable à cette idée, du moins en principe.
D’un point de vue pratique, les gouvernements israéliens agissent déjà comme si leur pays n’avait pas de dissuasion nucléaire, notamment en insistant sur la nécessité d’une guerre préventive pour éviter les menaces que ses armes nucléaires sont censées neutraliser.
Il est donc évident que les sommes colossales dépensées pour ses armes nucléaires l’ont été en pure perte. Si l’on ne peut compter sur les armes nucléaires israéliennes pour dissuader les armes nucléaires iraniennes, il ne peut y avoir de meilleure garantie contre une attaque nucléaire contre Israël que de s’assurer qu’il n’y a pas du tout d’armes nucléaires dans la région.
Avec une diplomatie intelligente, une telle dénucléarisation pourrait être étendue au Pakistan et à l’Inde.
La grande pierre d’achoppement sur la voie d’un tel résultat est que les États-Unis refusent de reconnaître la réalité de l’arsenal nucléaire d’Israël. Ici encore, nous constatons que la politique domine tout. Pour que Washington aborde le problème avec précision, il faudrait discuter explicitement de la capacité nucléaire d’Israël et de ses implications en matière de sécurité régionale et internationale.
Mais cela déclencherait l’application des lois américaines contre l’octroi d’une aide étrangère à Israël en tant que pays possédant des armes nucléaires non autorisées. En termes de politique intérieure, il est difficile d’imaginer un geste de politique étrangère plus coûteux que celui-là.
C’est pourquoi il est d’autant plus important pour ceux d’entre nous qui ne sont pas en position d’autorité politique ou stratégique de faire comprendre ce qui est réellement en jeu et ce qui ne l’est pas dans la confrontation israélo-iranienne.
Nous avons eu assez de guerres lancées sous de faux prétextes et pour des objectifs hors d’atteinte – Vietnam, Afghanistan, Irak. Nous n’en avons pas besoin d’une autre guerre, cette fois-ci en Iran.
Auteur : Ian S. Lustick
* Ian S. Lustick est titulaire de la chaire Bess W. Heyman au département des sciences politiques de l'université de Pennsylvanie. Fondateur et ancien président de l'Association for Israel Studies, il est l'auteur de nombreux livres et articles sur les relations israélo-arabes, dont le plus récent est Paradigm Lost : From Two-State Solution to One-State Reality.
Note :
(*) Faire preuve d’une insolence et d’un culot sans limites … Une illustration : tuer père et mère puis demander l’indulgence du tribunal à l’égard de l’accusé puisque devenu orphelin…
21 décembre 2021 – Smerconish.com – Traduction : Chronique de Palestine