Par Hamid Dabashi
Après avoir promis la démocratie tout en livrant le chaos, les États-Unis laissent derrière eux des “Proud Boys” mal rasés pour régner sur les Afghans.
La blizkrieg des talibans qui a démantelé 20 ans d’impérialisme néocon et libéral en Afghanistan a également marqué la fin ignoble de toutes sortes de faux-semblants.
Il y a vingt ans, les États-Unis ont prétendu qu’ils allaient en Afghanistan pour démanteler les talibans, détruire Al-Qaïda et apporter aux Afghans la paix, la prospérité, la démocratie libérale et l’État de droit.
Surtout, ils ont agi comme s’ils envahissaient l’Afghanistan pour libérer les femmes afghanes de leurs burqas et les faire ressembler aux femmes américaines.
De façon prévisible, les choses ne se sont pas passées ainsi. Les États-Unis n’avaient ni ces intentions ou capacités. Leurs intentions en Afghanistan, en fait, étaient purement militaires et stratégiques.
Ils avaient besoin de faire jouer leurs muscles militaires, de sécurité et de renseignement à proximité de la Russie, de la Chine et de l’Iran. Dans ces buts, l’invasion et l’occupation américaines de l’Afghanistan ont été un succès spectaculaire.
Que cela ait été une calamité pour l’Afghanistan et son peuple n’a absolument rien à voir avec les préoccupations des stratèges militaires américains.
Le taliban “nouveau et amélioré” est de retour
Maintenant, un taliban “nouveau et amélioré” est au pouvoir en Afghanistan. C’est le cadeau d’adieu des États-Unis à tous les Afghans.
Les Américains, qui négocient depuis des mois avec les talibans à Doha, étaient sans doute parfaitement conscients que le groupe prendrait le contrôle du pays dès qu’ils retireraient leurs troupes.
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Tout s’est déroulé selon leurs plans – ils n’ont fait qu’une légère erreur d’appréciation à l’aéroport de Kaboul.
Ces nouveaux talibans sont très différents des talibans d’il y a 20 ans. Cette fois-ci, leurs dirigeants veulent participer à la politique régionale et mondiale. Il semble que, lors des conférences de Doha, ils aient compris que leur reprise du pouvoir en Afghanistan nécessite désormais une reconnaissance internationale.
Ils ont compris que pour survivre, ils doivent gouverner et non terroriser.
Leur première conférence de presse a clairement montré que les dirigeants talibans avaient regardé la BBC, CNN et Al Jazeera pendant qu’ils patientaient dans les halls et les chambres des hôtels de luxe de Doha.
Ils savent désormais faire de la lèche et mentir aussi habilement que Barack Obama, et ils sont bien plus crédibles que Donald Trump, Boris Johnson et Emmanuel Macron réunis.
Aujourd’hui, les médias libéraux américains et européens sont terriblement gênés par la montée en puissance rapide des talibans et par la futilité évidente (mais trompeuse) de l’aventure militaire des États-Unis et de leurs alliés en Afghanistan.
Leur embarras est dû au fait qu’ils ont aidé George W Bush à vendre le mensonge selon lequel les États-Unis étaient en Afghanistan pour vaincre les talibans et leur idéologie islamiste et apporter la paix et la prospérité aux Afghans. Mais leur pitoyable embarras ne doit pas empêcher une évaluation plus réaliste de ce que les talibans pourraient faire.
L’image islamophobe que les médias ont créée des talibans après le 11 septembre ne permet pas au monde de réfléchir tranquillement au fait que les Afghans sont peut-être mieux avec les talibans, le diable qu’ils connaissent, qu’avec l’occupation américaine – et les meurtres et le chaos qu’elle a entraînés.
Les États-Unis ont accompli leur mission en Afghanistan : ils ont versé de l’argent à leur complexe militaro-industriel en occupant le pays pendant 20 ans, ils ont tiré les leçons de la guerre asymétrique que cette occupation a engendrée et ils ont montré leurs capacités à leurs rivaux.
Le président Joe Biden a donc retiré les forces américaines d’Afghanistan sans penser une seule seconde à ce qu’il adviendrait des quelque 40 millions d’êtres humains que les États-Unis ont traités comme des troupeaux jetables dans leurs calculs militaires.
Les talibans sont maintenant de retour, et ils sont libres de faire ce qu’ils veulent de leur pays. Mais que va faire exactement ce groupe armé maintenant qu’il a repris le contrôle de l’Afghanistan et chassé les marionnettes que les États-Unis avaient installées ? Cela reste à voir.
Pour l’instant, il convient d’étudier attentivement les traces de mort, de destruction et d’indignité que les États-Unis laissent derrière eux partout où ils vont pour faire avancer leur puissance militaire.
Il est illusoire de penser que l’armée américaine peut être la source d’autre chose que de la terreur et du chaos partout où elle passe.
Ceux d’entre nous qui ont vécu la banalité de la “guerre contre le terrorisme” de Bush et la montée du militantisme néo-conservateur ne se souviennent que trop bien du crescendo de propagande terrorisante contre l’Islam et les musulmans au cours de ce qui fut l’une des périodes les plus sombres de la vie des musulmans en Amérique.
La politique impériale de la peur et du dégoût
Dans son étude pionnière, Islamophobia and the Politics of Empire, Deepa Kumar a expliqué en détail comment la peur et le dégoût des musulmans faisaient partie de la boîte à outils impériale de la “guerre contre le terrorisme” qui a commencé après le 11 septembre et s’est synchronisée avec la guerre en Afghanistan.
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Dans son ouvrage American Islamophobia : Understanding the Roots and Rise of Fear, Khaled Beydoun donne une évaluation critique de cette psychopathologie de la haine des musulmans.
Entre ces deux ouvrages fondamentaux, nous disposons d’un dossier solide sur ce que la guerre d’Afghanistan a signifié pour la montée mondiale de la haine des musulmans.
Qu’a bien pu produire l’Afghanistan sous occupation américaine ? Une classe compradore d’élite politique totalement aliénée de son propre peuple, redevable des fausses promesses de l’hégémonie militaire et politique américaine…
Les Afghans sont désormais livrés à eux-mêmes. Quoi qu’il leur arrive, cela vaut mieux que l’indignité de 20 ans d’occupation militaire qui a créé une classe parasite de politiciens qui s’est effondrée comme un château de cartes lorsque les talibans ont étendu leur force militaire.
Les combattants talibans sont aussi des Afghans. Ils ne sont pas venus de la lune. C’est leur pays et ils ne sont pas plus fanatiques et conspirationnistes que ces dizaines de millions de partisans de Trump, les croyants de QAnon, les anti-vaxx, les Proud Boys et les autres.
Si les gens ont peur des chefs talibans Haibatullah Akhunzada, Mohammad Yaqoob, Sirajuddin Haqqani ou Abdul Ghani Baradar, c’est qu’ils n’ont pas prêté attention à Marjorie Taylor Greene, Marine Le Pen, Stephen Miller, Geert Wilders ou Steve Bannon.
L’écrasante majorité des Afghans n’a eu d’autre choix que de vivre avec les talibans. Tout comme les Iraniens, les Saoudiens, les Palestiniens, les Syriens, les Égyptiens doivent faire face à leurs régimes criminels. Ils méritent tous beaucoup mieux que le sort qui leur a été réservé.
Qu’ils soient fanatiques, réactionnaires, rétrogrades ou non, les talibans sont chez eux dans la région.
Qu’est-ce que deux décennies d’occupation militaire américaine ont apporté aux Afghans ? La paix, la prospérité, la démocratie ? Les Américains sont-ils capables de faire un tel cadeau à un quelconque pays sur cette Terre – et encore moins à la “démocratie” ?
Le pays de Donald Trump, le foyer du parti républicain, peut-il même envisager de procurer la démocratie à son propre pays, sans parler de l’offrir à un autre ?
Dès que les données du recensement américain ont été publiées et que les républicains blancs racistes ont réalisé que leur nombre diminuait, ils ont lancé une attaque systématique en redécoupant le pays d’une manière qui démantèle même un semblant de démocratie.
Qu’est-ce que ce pays souhaite exactement donner au reste du monde ? Des versions afghanes de Dick Cheney, Ronald Rumsfeld, Sarah Palin, Marco Rubio, Mitch McConnell, Kevin McCarthy ? Les Afghans en ont leur propre version, et ils n’ont pas besoin de les importer des États-Unis.
Les talibans au pied du mur
Qu’ont gagné les Afghans après 20 ans d’occupation américaine ? Ont-ils prospéré, ont-ils connu un jour de paix ? Que peuvent faire les talibans à l’Afghanistan que les États-Unis et leurs alliés européens ne lui ont pas déjà fait ?
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Combien d’Afghans précieux – hommes, femmes et enfants – ont été perdus à cause de la violence militante combinée des États-Unis et des talibans ?
Ils ont fini par s’asseoir les uns en face des autres à Doha et se sont arrangés pour que l’Afghanistan soit rendu aux talibans par l’armée américaine, et les pathétiques dirigeants afghans comme Ashraf Ghani et Hamid Karzai n’ont même pas participé aux négociations.
Quel respect de soi Ghani pouvait-il avoir après cela ? Bien sûr, il s’est enfui vers la base militaire américaine la plus proche où il était autorisé à entrer.
Quant aux femmes et aux jeunes filles afghanes, elles sont bien mieux placées pour combattre le fanatisme et la stupidité des talibans par elles-mêmes et non à l’ombre des casernes militaires américaines.
Les femmes iraniennes, pakistanaises, turques et arabes ont combattu une violence patriarcale similaire, voire identique, dans leur voisinage, et les femmes afghanes feront de même.
Les femmes indiennes ne se sont-elles pas révoltées contre toute une culture du viol dans leur pays ? Les femmes afghanes se battront elles aussi contre les talibans.
Les États-Unis – un pays où les droits reproductifs des femmes sont à la merci d’une Cour suprême où siège une fondamentaliste chrétienne comme Amy Coney Barrett – sont-ils en mesure de prêcher les droits des femmes en Afghanistan ?
Grâce à l’Amérique, un taliban “nouveau et amélioré” est maintenant au pouvoir en Afghanistan. Comme tous les autres détenteurs de pouvoir, ils voudront rester en place. Pour ce faire, ils exigeront bientôt de venir aux Nations Unies, ou à d’autres réunions de la communauté mondiale, pour montrer à quel point ils sont devenus civilisés.
Si les Afghans qui pensent, croient et agissent différemment des talibans restent sur place et combattent le fanatisme jour après jour, l’Afghanistan peut finalement devenir quelque chose comme l’Iran, le Pakistan, l’Inde ou même la Turquie.
S’ils restent et résistent, sans le poids d’une puissance occupante, les talibans seront confrontés à la noblesse pacifique d’une ancienne et digne nation qui a civilisé bien des barbares – et ils devront céder la place.
L’Afghanistan est le pays qui a donné au monde Rumi, l’école d’art et d’architecture de Herat, d’innombrables autres poètes, philosophes, mystiques, historiens et scientifiques. Il peut aussi accueillir une bande de “Proud Boys” en tenue pachtoune.
Auteur : Hamid Dabashi
23 août 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah