Je remercie chaleureusement le Man île de France pour cette initiative qui sera peut-être suivie par d’autres comités MAN. Je m’exprime ici à titre personnel.
La Non-Violence était et reste non seulement méconnue mais surtout mal connue et très souvent confondue avec le pacifisme qui prône la paix avant tout. La Non-Violence a connu dans la France des années 60-70 quelques succès exemplaires : Le « Manifeste des 121 » contre la guerre d’Algérie, les Objecteurs de Conscience, l’action civique non-violente de Lanza Del Vasto, le « Manifeste des 343 » pour la contraception et l’avortement, la lutte du Larzac. Elle a sombré dans l’oubli durant les années 80 pour ressurgir dix ans plus tard, début 90 avec : Act-UP 1989, le DAL 1990, Démocratie pour le pays Basque fin 90, les faucheurs volontaires 2003, RESF 2004, Les déboulonneurs de pub en 2005, les désobéissants de Xavier Renou en 2006, puis plus récemment, ce sont les « Faucheurs de chaises » (l’un d’eux passe en procès le 9/01/2017) et bien sûr il faut mentionner l’explosions des ZAD (Zones A Défendre) devenues un laboratoire de la désobéissance civile et enfin les actions remarquables du groupe « Action non-violente COP21 »…
Dans l’introduction du livre intitulé « Les nouveaux désobéissants : citoyens ou hors la loi ? » (paru en avril dernier) le sociologue Manuel Cervera-Marzal, s’appuyant sur le « Comité invisible » reprend qu’il y a une reconfiguration de la conflictualité qui montre comment : « Le propre des luttes consisterait à déplacer l’enjeu de l’affrontement au capitalisme, afin de substituer la question du territoire (à habiter) à celle du salaire (à augmenter ). À une anthropologie fondée sur la notion de « travail » (anthropologie partagée par les libéraux et les marxistes), le Comité invisible préfère une anthropologie de la vie ».
Il ne s’agit évidemment pas, selon l’auteur, d’opposer ces deux enjeux mais de tisser les liens de leur complémentarité, même si le premier croît et le second décline.
Et, Cervera-Marzal de souligner que le changement ne concerne pas seulement l’enjeu des luttes mais aussi les formes des luttes dans lesquelles on constate un recul des protestations légales au profit d’actions « extralégales » et que, dans le même temps, le terme générique de « désobéissance civile » connaît un succès grandissant malgré le contexte de criminalisation et de répression accrues de tout le mouvement social, traditionnel et nouveau.
Si j’ai choisi d’introduire mon propos de cette manière c’est que je souhaite l’inscrire dans le contexte que je viens d’évoquer et attirer votre attention sur trois propositions que je verse au débat :
Vous constaterez que ce survol, même sommaire, incomplet et partiel de l’histoire récente de la Non-Violence en France s’écrit dans et par les luttes. C’est dire combien la Non-Violence est indissociable de l’action, des luttes, de préférence du plus grand nombre et selon des modalités de désobéissance civile. C’est la première et la plus évidente proposition : la non-violence est une forme de résistance, elle est indissociable de la lutte active, de l’action directe non-violente et de la désobéissance civile.
Même si Gandhi et Martin Luther King, pour ne citer que deux des les plus célèbres acteurs et théoriciens de la Non-Violence restent des références indéboulonnables, on constatera également que la résistance civile Non-Violence est en train de s’écrire aujourd’hui, dans l’action, par des acteurs contemporains qui en inventent et en rajeunissent (au sens propre comme au figuré) les troupes, les nouvelles formes d’action et la théorisation. C’est ce qu’atteste l’excellent dernier numéro « d’Alternatives non-violentes » publié à chaud en septembre dernier et dont le dossier :« Diversité des tactiques dans les luttes » illustre l’actualité et la pertinence des thèses non-violentes dans les luttes d’aujourd’hui, Loi Khomri, Nuit Debout, COP21, Alternatiba, ZAD de Sivens …
C’est la seconde proposition : la Non-Violence ce n’est pas un passé dépassé, c’est aujourd’hui. La Non-Violence est vivante, c’est à dire en chantier, donc en débat et ce sont surtout les jeunes militants-tes qui la construisent à l’épreuve de l’action et dans de nouveaux territoires.
La Non-Violence est une référence stratégique assumée, de l’appel BDS Palestinien. En adhérant à cet Appel, la Campagne BDS France qui se définit comme « citoyenne, non-violente et antiraciste» s’engage dans la dimension conceptuelle et stratégique non-violente de la campagne BDS sous direction Palestinienne. Le mouvement de solidarité à la Palestine et la Campagne BDS France en particulier, ne sont pas indifférents, au changement des terrains de la conflictualité sociale et sont attentif à l’émergence significative des actions non-violentes de désobéissance civile dites aussi extralégales qui fleurissent dans les nouvelles luttes du mouvement social.
Bien évidemment il ne s’agit pas pour les militants et comités de BDS France de courir dans tous les sens et d’abandonner leurs objectifs pour participer à toutes ces luttes. Par contre on comprendra que l’élaboration de la stratégie et des tactiques de la Campagne BDS France a tout à gagner à s’inspirer des avancées en matière d’organisation, de fonctionnement et des formes d’actions « extra-légales » (de désobéissance civile) des luttes non-violentes de la fin du XXème siècle et du début du XXI, et ce malgré la criminalisation et la répression de tout le mouvement social, BDS inclus.
C’est la troisième proposition : la Campagne BDS France doit s’emparer pleinement de la référence stratégique de l’Appel BDS à la non-violence, s’inspirer des luttes non-violentes d’aujourd’hui et en développer la cohérence stratégique en l’adaptant au cadre spécifique du BDS en France.
La non-violence c’est à la fois une philosophie, une morale, une éthique, c’est à dire une vision du monde et une méthode d’action. Elle se définit sur le plan conceptuel et sur le plan stratégique. Je n’aborderai pas ici l’aspect philosophique et m’en tiendrai à quelques principes et notions stratégiques.
Je vais essayer de montrer comment le comité BDSF34 s’efforce de « bricoler » une pratique à la confluence du contenu de l’Appel BDS palestinien, y compris dans sa dimension non-violente, et des thèses non-violentes telles que les présente J-M Muller, fondateur du Man et un des principaux théoriciens de la Non-violence en France. Je ne traiterai que du boycott économique et j’espère que le temps de débat me permettra d’exemplifier mon propos.
L’ancrage BDS palestinien dans la non-violence est incontestable. La référence figure dans le très synthétique et percutant appel de 2005 ; Omar Barghouti la mentionne dans tous ses textes et déclarations, si bien qu’employer les termes de « pacifique » ou « pacifisme » pour caractériser le BDS palestinien serait un contre sens. Dans l’introduction de son livre paru en France à la Fabrique, en 2011, intitulé « Boycott, Désinvestissement, Sanctions. BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine. » O. Barghouti écrit :
“L’appel BDS, lancé en juillet 2005 a été soutenu par une écrasante majorité des organisations palestiniennes. Ancré dans une longue tradition de résistance populaire non-violente en Palestine et largement inspiré de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, il se fonde sur le principe des droits de l’homme universels, comme le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Il rejette fermement toute forme de racisme, et notamment l’antisémitisme et l’islamophobie.” (p23)
Et plus loin d’ajouter : “Si je défends fermement des formes non-violentes de lutte comme le boycott, le désinvestissement et les sanctions pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, je soutiens tout aussi résolument le principe d’un état unitaire fondé sur la justice et une pleine égalité des droits comme solution au conflit colonial israélo-palestinien. Pour moi dans une lutte pour l’égalité et l’émancipation, la corrélation entre les moyens et les fins et l’effet décisif de ceux-là sur le succès et la pérennité de celles-ci sont indiscutables.” (souligné par JLM).
En quelques lignes Omar Barghouti a pratiquement défini l’essentiel des thèses non-violentes.
Je partirai de ses propos pour développer deux des aspects mentionnés :
– La lutte contre l’injustice, pour le respect du droit et les objectifs stratégiques de l’Appel BDS,
– L’efficacité de la non-violence pour atteindre les objectifs
Je rajouterai un troisième aspect : désobéissance civile et répression.
La résistance populaire non-violente, nous dit O. Barghouti est un combat contre toutes les formes de violences et d’injustices, un combat pour la justice et l’égalité des droits
Un combat fondé sur la déclaration universelle des droits de l’homme, c’est à dire sur les droits les plus fondamentaux. Liberté, Justice Egalité : Liberté pour les palestiniens de Cisjordanie et Gaza, colonisés et occupés, Justice pour les réfugiés empêchés de rentrer chez eux et Egalité pour les Palestiniens de 48 victimes d’apartheid.
Les trois revendications de l’Appel BDS, bénéficient de suffisamment de résolutions de l’ONU ou de textes de la IV Convention de Genève pour valider leur justification. Observons tout de même que lorsque la campagne BDS revendique l’application du droit, il ne s’agit pas d’une d’une référence abstraite au droit mais bien l’application des éléments du droit en rapport avec les trois revendications. L’obtention des 3 revendications est l’objectif, le but de la campagne BDS palestinienne. La réalisation de cet objectif conditionne une réelle autodétermination du peuple palestinien ainsi réunifié. Le B, le D et le S sont des moyens « d’actions punitives et non-violentes », des leviers, permettant d’atteindre l’objectif stratégique.
Ainsi, sous peine de détournement de la « fin » fixée par l’Appel BDS, les « moyens », c-a-d les actions de B, de D et S ne peuvent être dissociées de la finalité stratégique de cet Appel, ni utilisées pour revendiquer autre chose que les trois revendications avec au final l’autodétermination. Cette question n’est pas anodine, je vous renvoie à l’article d’Ali Abunimah publié dans EI et intitulé « Le boycott de « l’occupation » ne suffit pas » et en français sur le site BDS France et qui dénonce une opération de détournement des objectifs du BDS.
Le comité BDSF34 mentionne régulièrement les objectifs stratégiques du boycott. Lors des actions de boycott de l’entreprise de fruits et légumes Mehadrin il lui arrive de mettre en avant, le blocus de Gaza, les réfugiés, la situation des prisonniers ou encore les discriminations subies par les Palestiniens de 48 en Israël. Ce qui signifie que, par exemple, les motifs et les arguments du boycott ne sont pas à rechercher exclusivement et intrinsèquement dans la nature des produits ou de l’entreprise à boycotter.
Dit autrement, on ne boycotte pas (seulement) les produits des colonies parce que les colonies sont illégales et bien sûr qu’elles le sont ! On boycotte les produits des colonies car c’est un moyen de lutter contre la colonisation qui prive les Palestiniens de liberté et que tous les méfaits de la colonisation sont une des causes de l’appel BDS, et « la fin de la colonisation » un des trois objectifs fondamentaux.
On ne boycottait pas les oranges Outspan d’Afrique du Sud parce qu’elles étaient cultivées dans des colonies mais tout simplement parce qu’elles étaient le symbole d’un Etat d’apartheid et que ce boycott était un bon « moyen » pour lutter contre cet Etat et détruire son système d’apartheid.
De même on boycotte les produits des colonies israéliennes pour dénoncer et mettre en difficulté l’Etat qui crée et développe les colonies et pour obtenir la Liberté, la Justice et l’Egalité pour les palestiniens. La dénonciation des causes du boycott est indissociable de la finalité des moyens du boycott et donc des objectifs à atteindre.
Dans le premier cas, le boycott des produits des colonies qui s’argumente de la seule illégalité des colonies fait – au mieux – du boycott des produits des colonies une fin en soi ce qui revient à écarter de la cible du boycott l’Etat colonisateur et, au pire ça conduit à s’engager dans la voie de l’étiquetage de ces produits et donc à légaliser des produits dont on dit combattre l’illégalité puisque issus des colonies illégales. Bref c’est l’impasse totale.
Dans le second cas, le boycott des produits des colonies qui s’appuie pleinement sur l’illégalité des colonies et l’illégalité des produits est considéré comme un moyen pour cibler et attaquer la colonisation et l’Etat colonisateur, ce qui ouvre sur les trois revendications stratégiques. En dernier ressort, en tant que moyens d’action et quels qu’ils soient (culturels, sportifs, universitaires, économiques etc.) les boycott tirent moins leur légitimité des violations qu’ils sanctionnent (lutte contre l’injustice) que des objectifs que l’Appel BDS palestinien leur a fixé : l’autodétermination (réalisation de la justice)
Efficacité signifie ici remporter des victoires, atteindre les objectifs fixés, changer l’état des choses, supprimer les injustices…
Il faudrait plus d’une conférence pour approfondir ce sujet qui recouvre l’ensemble de la stratégie non-violente. Je me limiterai à présenter quelques principes de la non-violence et de la désobéissance civile que je pourrai ensuite développer et illustrer selon vos questions.
Je voudrais en préalable mettre en évidence la combinaison de trois facteurs qui ont joué et jouent un rôle déterminant dans le développement de la Campagne BDS internationale :
a) L’explosion politique du cadre d’Oslo. Jusqu’en 2009, le mouvement de solidarité à la Palestine était globalement sur une position de dénonciation des infractions d’Israël relatives aux accords d’Oslo. L’attaque de l’hiver 2008-2009 contre la population civile de la Bande de Gaza et la lucidité de la colère populaire balayent les dernières hésitations. Israël est désigné de sa vrai nature : un Etat raciste et criminel, un ennemi dont il n’y a rien à attendre de spontané et qui ne changera que sous une forte pression internationale. Ce basculement s’accompagne de l’explosion du cadre politique d’Oslo ouvrant ainsi l’accès à l’horizon politique de l’Appel BDS.
Rappelons que l’approche non-violente s’attaque aux systèmes, aux institutions, aux Etats, aux lois etc . et pas aux sociétés, aux peuples, aux groupes religieux ou aux catégories sociales. Elle ne vise pas les personnes mais seulement leurs fonctions. C’est ce qui rend possible de nouvelles relations entre personnes, groupes sociaux, religieux etc. qui s’opposaient, une fois les lois, ou les systèmes changés.
b) La nouvelle approche – non violente – de la question de la Palestine. La prise de conscience sur la nature de l’Etat israélien trouve et puise les arguments de son développement dans la découverte de l’Appel BDS et en particulier dans le changement de registre introduit par la nouvelle approche non-violente fondée sur les droits. Tournant le dos aux vaines tractations d’échange de portions de territoire et aux solutions politiques étatiques, choisissant le terrain des droits humains fondamentaux et des valeurs (liberté, justice, égalité) la campagne BDS désarme l’ennemi. Comme l’écrit O. Barghouti elle est « avant tout une nouvelle étape de la lutte centenaire des palestiniens contre la conquête coloniale sioniste (…) Elle met en avant une approche nouvelle de la question de la Palestine, fondée sur les droits (…) et il termine : (…) le mouvement BDS a porté Israël et le lobby puissant et agressif qui le soutient sur un champ de bataille où la supériorité morale de la revendication palestinienne d’autodétermination, de justice et de liberté et de droit, neutralise et surmonte le poids militaire et financier d’Israël. (intro, p 7/8)
Cet effet de déplacement provoqué par le choix de la non-violence est un élément basique des thèses non-violentes : J-M Muller écrivait dès 1981 dans « Stratégie de l’action non-violente » : (…) La non-violence déplace le débat et oblige l’adversaire à l’accepter à un niveau où il sera contraint à la défensive pour se justifier de l’injustice qui lui est reprochée » (p206) on verra également plus loin combien ce déplacement est important face à la répression.
La conjugaison de ces deux éléments : désignation d’un Etat dont le système est à combattre radicalement et le choix des modalités d’actions « punitives non-violentes » (ce sont les termes exacts de l’appel) pour mener ce combat, dévoile un nouvel horizon politique, décuple les énergies en libérant l’agressivité (que les théoriciens de la Non-Violence distinguent de la violence) et met le mouvement de solidarité en position offensive. Un troisième élément tout aussi déterminant que les deux précédents va parachever la transformation.
c) Un mouvement BDS sous direction palestinienne :
Avant BDS le mouvement de solidarité était soumis de la part des palestiniens à des demandes locales sans plan d’ensemble. Il était suspendu aux aléas du prétendu processus de paix et surtout des violations incessantes des accords et des engagements non tenus par Israël. Les cibles étaient en Palestine (le Mur, les vols de terre, d’eau, les massacres etc.). Ici on informait, on dénonçait et on exprimait notre colère, nos condamnations pour ce qui se passait là-bas. L’Appel BDS change la donne, il affirme une position stratégique globale et porte une demande doublement représentative de la société civile : en nombre d’organisations (170) et en qualité puisque elle rassemble les trois composantes du peuple palestinien.
Avec le BDS, les Palestiniens nous demandent de passer à l’action directe ICI en France, contre des cibles israéliennes en France et contre leurs complices en France également. Nous ne sommes plus seulement dans une démarche de solidarité exogène pour les Palestiniens là-bas, contre des violations commises là-bas, mais nous sommes dans l’action avec les Palestiniens. Car il s’agit d’ouvrir ici, dès maintenant, un front de luttes sous direction palestinienne, qui construise un rapport de force local, national, européen et mondial contre Israël et ce, conformément aux termes et objectifs d’un l’Appel qui constitue désormais le cadre stratégique et tactique, politique et pratique, de la solidarité à la Palestine.
Cette direction palestinienne d’impulsion des luttes, d’affirmation, voire de rappel des objectifs stratégiques, est respectueuse des choix tactiques relatifs aux conditions concrètes des pays. Les palestiniens du BNC exercent cette « direction » respectueusement mais fermement dans l’ensemble du mouvement BDS et le mérite des succès extraordinaires remportés leur revient en premier lieu. Ils prouvent la justesse de leurs hypothèses et le génie d’avoir conçu une telle Campagne planétaire dont l’Appel tient en moins de deux pages. Ce n’est pas pour rien qu’Israël interdit les déplacements de nombreux animateurs du BDS Palestinien, dont O. Barghouti pour lequel un ministre israélien n’a pas hésité à préconiser l’élimination physique.
J’en viens à la non-violence et la désobéissance civile.
« Ce qui caractérise la désobéissance civile, nous dit J-M Muller c’est d’être une action collective, concertée et organisée qui vise à établir un rapport de forces afin d’exercer sur les pouvoirs établis une pression qui les oblige à rétablir le droit. Il s’agit d’atteindre un objectif politique. Ce qui prime dans la désobéissance civile ce n’est pas la motivation morale mais le motif politique. » (L’impératif de désobéissance, édit. Le passager clandestin, 2011, p 187).
Le principe essentiel de la stratégie de la non-violence est le principe de non-coopération, de non collaboration et donc de non participation y compris, passive, à l’injustice, à la loi ou les faits que l’on conteste, que l’on combat et que l’on veut supprimer ou modifier.
Une situation d’injustice et d’oppression tient moins à la force de l’oppresseur qu’à la passivité, la résignation voire à la collaboration des opprimés. Contrairement aux idées répandues, face à l’injustice les réactions de violence ne sont pas le danger principal, mais plutôt la passivité, l’acceptation de l’injustice. Rien n’est plus éloigné de la Non-violence que la passivité et la couardise et Gandhi n’hésite pas à dire : « Je crois en vérité que s’il fallait absolument faire un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerai la violence ». Même s’il ajoute : « je crois que la non-violence est infiniment supérieure à la violence (La jeune Inde, p 106 cité par J-M Muller Le Principe de non-violence))
C’est pourquoi la non-violence n’hésite pas à créer du conflit en révélant l’injustice, en provoquant la révolte. Les révoltés sont plus proches de la non-violence que ceux qui sont passifs face à l’injustice.
La stratégie non-violente est conçue pour gagner c’est à dire combattre l’injustice jusqu’à supprimer ses causes. Comme l’écrit J-M Muller en 1981 : « Pour combattre l’injustice il s’agit de « renverser le système » qui l’a créée et la maintient. »
Atteindre les objectifs fixés, gagner, est une exigence constante du BDS palestinien. L’éditorial de mai 2014 du PACBI (Comité Palestinien pour le boycott universitaire et culturel) intitulé « Critères pour choisir la cible optimale BDS » conclut en ces termes : « Mais des victoires symboliques seules ne suffisent pas. Nous sommes engagés dans BDS pour obtenir enfin les droits des Palestiniens, pas pour marquer des points et nous sentir bien avec de simples gestes symboliques. Seuls des succès soutenus, cumulés, croissants et grand public peuvent permettre à BDS d’atteindre ses objectifs – liberté, justice et égalité. »
Pour atteindre l’objectif, vaincre l’adversaire ou l’ennemi il faut un plan de bataille. Au chap. VII de « Stratégie de l’action non-violente » J-M Muller expose les différents moments et les différentes méthodes de l’action directe non-violente. En théorie il s’agit de mettre en place un plan qui construit progressivement un rapport de forces croissant et par étapes auxquelles correspondent des actions non-violentes traduisant cette progression. Ainsi on pourra commencer par un simple courrier et recourir aux actions légales habituelles et progressivement passer aux actions de désobéissance civile. L’opinion publique constitue dès le départ le pôle qu’il faut gagner à la cause afin d’isoler l’adversaire. De même qu’il faut choisir une bonne cible, un objectif réalisable et des moyens adaptés aux objectifs. La fin étant dans les moyens, les propos, les actes et comportements devront être conformes aux valeurs défendues.
Je terminerai sur les positions concordantes des acteurs et théoriciens de la non-violence concernant la question du rapport à l’adversaire ou à l’ennemi.
La construction du rapport de force se fait par étapes et progressivement. On peut toujours rêver qu’une simple lettre bien argumentée en matière de droit, faisant appel à la morale voire à l’éthique, rationnelle et émouvante, suffise à convaincre, mais l’expérience montre que lorsque des intérêts sont en jeu les choses ne se passent pas ainsi. Lors d’un épisode de la lutte des Noirs de Birmingham pour les droits civiques en mai 1963, quelques policiers sommés d’ouvrir les lances à eau sur les manifestants Noirs qui franchissaient la ligne raciale de démarcation pour aller prier devant la prison, ne peuvent s’y résoudre, tant cet acte était injustifié.
Le commentaire de J-M Muller est sans appel : « Il ne faudrait surtout pas en conclure, sur le plan stratégique, que la désobéissance a pour but de faire appel à la conscience de l’adversaire et que là réside son efficacité ». Il ajoute tout de même que l’influence de l’attitude non-violente constante des manifestants à l’égard des policiers n’est sans doute pas étrangère à leur refus d’arroser les manifestants. Mais il réaffirme : « Les représentants des milieux d’affaires comprennent que, s’ils veulent sauvegarder leurs propres intérêts, ils doivent accepter de négocier (…) Ce n’est pas la conscience des blancs qui a été touchée par l’action non-violente des Noirs, mais leurs intérêts. Ce n’est pas la « force de la justice » qui a fait céder les Blancs, mais la contrainte de l’action. ».(p 121-122 L’impératif de désobéissance civile.).
Une partie du syndicalisme, peut-être minoritaire aujourd’hui en France, s’est forgée dans ce même constat lucide de la nécessaire contrainte et du rapport de forces pour obliger « le patron », les chefs d’entreprises ou le gouvernement à céder sur les revendications. Aussi on ne peut pas dire que cette vision des choses soit l’apanage exclusif des non-violents, même si cette position lucide, courageuse et combative de la non-violence est peu connue.
Par contre le rapport de la non-violence et de la désobéissance civile à la répression est une caractéristique spécifique de ce courant. C’est peut-être là que la désobéissance civile prend tout son sens, démontre sa puissance et son efficacité.
Une campagne de désobéissance civile bien construite et intensive vise à provoquer un conflit ouvert qui débouche sur un blocage. La contrainte exercée sur l’adversaire l’amène à un point de rupture qu’il ne peut surmonter que de deux manières, soit en cédant sur les revendications soit en faisant appel à l’intervention répressive de l’Etat via la police et les tribunaux pour faire cesser les actions de désobéissance civile.
En effet, la répression d’une campagne qui défend une cause juste avec des moyens non-violents est perdante dans l’opinion sur au moins sur deux tableaux. D’une part, elle s’oppose à une cause juste et d’autre part, elle use de la violence policière ou de la violence que constitue l’atteinte à la liberté d’expression contre des militants qui eux sont du côté de la justice, voire du droit et usent de moyens non-violents.
La poursuite et l’élargissement de la campagne de désobéissance civile, l’affirmation des revendications va mettre l’adversaire, l’Etat, en situation difficile.
S’il n’intervient pas on peut s’attendre à un développement de l’action puisque rien ne la freine et l’Etat sera alors accusé de faiblesse par les opposants à la cause des désobéisseurs.
S’il intervient par la répression, il ternit son image et on peut aussi s’attendre à un développement du soutien de sympathie pour les désobéisseurs injustement réprimés.
Nous l’avons vu, lorsque les intérêts économiques sont en jeu, les adversaires ne cèdent qu’après avoir essayé toutes les autres possibilités.
Ce qui amène au constat suivant : puisque la campagne de désobéissance civile va se trouver confrontée à la répression, il faut admettre que celle-ci fait partie intégrante de la bataille et donc qu’elle doit être incluse et intégrée dans le plan de campagne. J-M Muller n’hésite pas à écrire que non seulement : « il faut compter avec la répression mais qu’il faut compter sur la répression. Qu’elle est nécessaire à l’efficacité de l’action. » (L’impératif de désobéissance, p 208).
Ce défi à la répression nous vient de Gandhi qui avait lancé le mot d’ordre « remplissez les prisons ! ». La fonction du défi écrit S. Panter-Brick est d’amener la répression à défendre un indéfendable abus de droit, ce qui la met, de toute évidence, en porte à faux » (S. Panter-Brick « Gandhi contre Machiavel », p.27 citée par J-M Muller).
De plus la répression engendre la solidarité, l’engagement de nouveaux militants et forge leur esprit de résistance. King qui a largement usé de ce principe n’hésite pas à déclarer : « Si un peuple est capable de trouver dans ses rangs 5% de ses hommes prêts à aller en prison pour une cause qu’ils croient juste, alors aucun obstacle ne pourra l’arrêter ».
Ils ont trouvé les 5% et … ils ont gagné !
* José-Luis Moraguès, Docteur en Psychologie clinique et militant BDS, est membre du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente) et un des porte parole du très actif Comité BDS France 34 (Montpellier). Il a été un des animateurs de la Coalition contre Agrexco qui a remporté la première victoire de boycott contre le géant colonial Agrexco-Carmel. Il peut être joint à : jlmoragues@gmail.com
22 novembre 2016 – BDS 34 – Transmis par l’auteur