Par Mohammed Abed
La Nakba reprend vie : ce qu’un journaliste palestinien a vu en couvrant l’invasion de Jénine.
Ce que j’ai vu à Jénine, c’est la Nakba qui renaît. Nous avons été déplacés en 1948, en 1967 et en 2002, lorsque le camp de réfugiés de Jénine a été rasé. Tel a été le sort des habitants du camp au cours des dernières 24 heures.
Le 3 juillet, vers 1h30 du matin, les drones militaires de l’occupation ont lancé une attaque aérienne sur l’un des sites de la résistance palestinienne dans le camp de réfugiés de Jénine.
J’ai rapidement enfilé ma veste de presse et je me suis rendu au camp où la frappe aérienne avait eu lieu. Alors que je me rendais sur les lieux, situés à cinq kilomètres de là, nous avons appris que les forces militaires de l’occupation avaient quitté les bases militaires situées aux points de contrôle de Dotan, Jalameh et Salem, qui entourent Jénine.
Elles étaient sur le point d’entrer dans la ville et ce moment-là, j’ai su que l’invasion avait commencé.
Lorsque je suis arrivé au camp, l’armée était déjà présente, postée devant l’entrée ouest, près du rond-point d’Awda. Des dizaines de véhicules blindés ont afflué, se sont déployés et ont formé un anneau le long du périmètre du camp.
Nous avons commencé à couvrir l’invasion au fur et à mesure que l’armée avançait. Cette fois-ci, nous avons ressenti une différence par rapport aux invasions précédentes : l’armée utilisait abondamment des drones militaires pour lancer des frappes aériennes sur plusieurs sites à l’intérieur du camp, ce qui ne s’était pas vu depuis la deuxième Intifada.
Les explosions se sont poursuivies pendant plusieurs heures, l’armée continuant à pilonner le camp depuis les hauteurs. Au bout d’un certain temps, les explosions sont devenues moins fréquentes, remplacées par un bruit différent, plus familier, d’engins explosifs improvisés fabriqués localement.
Nous avons essayé d’entrer pour continuer notre couverture, mais l’armée nous a empêchés d’avancer. Elle a également empêché les ambulances et le personnel médical d’entrer pour évacuer ou soigner les blessés.
Nous nous sommes rendus à l’hôpital Ibn Sina de Jénine et avons été témoins de l’afflux progressif de personnes, dont beaucoup étaient blessées ou cherchaient refuge. Nous avons remarqué que des dizaines de véhicules de l’armée d’occupation continuaient à passer devant l’hôpital, alors que plus de cinq convois, dont quatre bulldozers militaires D9, se dirigeaient vers le camp.
Les heures ont passé et le bruit des explosions continuait de venir du camp. Nous avons commencé à documenter les cas des blessés et des tués qui commençaient à affluer à l’hôpital. Les ambulances sont arrivées sur les lieux après avoir été empêchées par les forces d’occupation de soigner les blessés.
Tôt le matin, les bulldozers ont commencé à détruire les rues de Jénine, creusant des tranchées d’un mètre de profondeur dans le sol. C’était la première fois que nous voyions ces bulldozers en action depuis ces vingt dernières années.
Alors que le soleil se levait, nous avons vu les drones militaires couvrir le ciel au-dessus de nous, signalant que l’invasion allait probablement se poursuivre pendant un certain temps.
Tout au long de la journée, nous nous sommes dirigés vers plusieurs sites où l’armée était stationnée. Le premier site était la rue Haïfa, où de nombreux véhicules militaires étaient en attente.
Le deuxième site se trouvait près du rond-point du ministère de l’intérieur, où un convoi de véhicules blindés délimitait un périmètre autour de la zone afin de contrôler les routes menant au camp.
Le troisième site se trouvait au Cercle du cinéma, dans le centre de Jénine, où des affrontements armés avaient lieu entre l’armée et les combattants de la résistance.
Les combattants se tenaient sur les côtés des rues et échangeaient des tirs avec l’armée. À un moment donné, un grand groupe de résistants a soudain commencé à avancer vers le milieu de la rue et a continué à tirer sur les véhicules blindés.
Alors que nous filmions, l’un de mes collègues s’est tourné vers moi et m’a dit que cela lui rappelait les batailles de rue de la seconde Intifada.
Ces scènes de confrontation armée ont été documentées auparavant – depuis le début des récents événements dans le camp de réfugiés de Jénine – mais les invasions de l’année dernière n’ont rien à voir avec ce que nous avons vu de nos propres yeux.
Nous avons été témoins de la bravoure et du stoïcisme des combattants de la résistance face à l’occupation, faisant preuve d’une détermination tenace qui vous ferait trembler.
Enfin, le quatrième site se trouvait à l’entrée principale du camp de réfugiés de Jénine, là où les combats étaient les plus intenses.
Des pneus en feu envahissaient les rues, tout comme la fumée noire qui se dégageait des piliers servant d’écran de fumée temporaire pour protéger les combattants.
En quelques instants, des ambulances ont été entendues peu après une frappe aérienne à l’intérieur du camp, transportant des dizaines de blessés vers Ibn Sina, où la foule qui se rassemblait s’est précipitée pour aider le personnel médical à transporter les blessés.
C’est ainsi que les habitants du camp font face à ces conditions terribles, en s’aidant mutuellement, quelle que soit leur savoir-faire. Tout ce qu’ils veulent, c’est aider de toutes les manières possibles.
Après une courte période, une autre ambulance est arrivée, transportant un groupe de journalistes qu’elle avait évacués du camp – ils couvraient les événements sur le terrain lorsque l’armée les a pris pour cible avec tirs à balles réelles.
Aucun d’entre eux n’a été directement blessé, mais certains sont revenus sans leur matériel, l’armée ayant délibérément tiré sur les caméras qui retransmettaient les événements en direct.
Je me suis entretenu avec l’un de ces journalistes, Issam Rimawi :
« Avec plusieurs collègues – Hisham Abu Shaqrah, Amid Shehadeh, Rabie Munir et Abdulrahman Younis – j’étais posté à l’intérieur du camp avant que les forces d’occupation ne l’envahissent. Tout à coup, les forces israéliennes se sont retrouvées au milieu du camp pendant notre reportage, et elles ne nous ont pas permis de partir, préférant ouvrir le feu sur nous. Nous nous sommes réfugiés dans l’une des maisons jusqu’à ce qu’une ambulance nous évacue. C’était un spectacle terrifiant. »
C’est ainsi que les évènements se sont déroulés à Jénine jusqu’à la tombée de la nuit, lorsque l’armée a forcé des milliers de personnes à quitter le camp. Ces familles ont fui parce qu’on leur avait dit que leurs maisons seraient bombardées, mais beaucoup sont restées chez eux.
Voilà ce que c’est que d’être un réfugié. C’est la Nakba, qui renaît des crimes de l’occupation. Nous avons été ramenés à la même scène qui s’est déroulée en 1948, aux mêmes scènes de 1967 et de 2002, lorsque le camp de réfugiés de Jénine a été rasé.
Nous avons parlé aux familles du camp. Elles nous ont raconté que des ambulances étaient venues les chercher pour leur dire qu’elles devaient quitter leurs maisons parce que l’occupant israélien avait l’intention de bombarder plusieurs d’entre elles. L’une de ces personnes a décrit l’ampleur de la destruction dont elle a été témoin :
« Lorsque nous avons quitté nos maisons, les rues étaient complètement détruites. Les signes de dévastation étaient partout dans le camp, et nous marchions sur les décombres des frappes aériennes et des bulldozers. Rien dans le camp n’est resté comme avant. Tout a été détruit. »
Tel a été le sort des habitants du camp au cours des dernières 24 heures, et c’est peut-être le même sort qui les attend dans les 24 heures à venir. Les frappes aériennes se poursuivent et les combats s’intensifient. Nous pouvons entendre d’autres explosions, et leur poursuite est pratiquement garantie.
Auteur : Mohammed Abed
4 juillet 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine