« Ces images, c’est Auschwitz sur Tiktok »

Une photo circulant sur les médias sociaux montre des soldats israéliens forçant les personnes déplacées dans le camp de Jabalia à se diriger vers un point de contrôle, et ciblant ceux qui ne bougent pas avec des tirs de drones et d'artillerie - Photo : médias sociaux

Par Marie Schwab

Gabor Maté, médecin canadien, rescapé des camps nazis : « Ces images, c’est Auschwitz sur Tiktok. Des gens brûlés vifs. C’est au-delà de l’horreur et de la compréhension, cette progression dans la démence et la cruauté, autorisée, encouragée par les puissances occidentales. » (1)

Shabaan al-Dalou aurait eu 20 ans jeudi. Ses derniers mots, envoyés à un ami : « Je sens l’odeur de poudre. Cette odeur me fait peur. Je sens venir la mort. Que Dieu nous aide. » Il a été brûlé vif lundi, avec sa mère, dans la cour de l’hôpital Al Aqsa où il était soigné, sous perfusion, après avoir survécu à un bombardement le 6 octobre. (2)

L’hôpital Al Aqsa : 300 lits, 1 000 000 de personnes alentour, et rien, rien, pour soigner les 50 grands brûlés, tous condamnés à mourir.

L’hôpital devient morgue. Mohammed Tahir, médecin britannique, sur place : « Souvent, je me dis que ça ne peut pas être vrai, qu’il n’est pas possible qu’on tolère un tel degré de souffrance dans ce monde. » (3)

Depuis le massacre de Tel el-Sultan, à Rafah, le 26 mai, brûler vif des hommes, des femmes, des enfants, blessés, déplacés, est devenu la règle. L’impunité continue.

Lundi, c’était la septième fois que la cour de l’hôpital Al Aqsa était ciblée. Rappelons-nous, le carnage à l’hôpital Al-Ahli, le 17 octobre, il y a un an.

Nous pensions : c’est l’exception. Réactions ? Nulles. Sanctions ? Nulles. L’exception est devenue la règle. Israël banalise l’horreur. L’inimaginable devient la règle, agréée par ses alliés.

Mark Perlmutter, médecin américain, de retour de Gaza, raconte : les 400 km de camions d’aide bloqués à la frontière égyptienne ; l’hôpital Nasser, 200 lits, 20 000 personnes à l’intérieur ; l’afflux des blessés, quelques minutes après le bruit de la bombe ; 15-20 enfants chaque fois.

« Un tiers des enfants sont morts lorsqu’ils arrivent. Un tiers meurent sous nos yeux. Un tiers sont opérés, la majorité d’entre eux meurent », témoigne-t-il.

Il raconte aussi les tirs de snipers. Deux enfants de 6 ans, visés chacun à la poitrine et à la tête. « Un enfant n’est jamais touché par erreur par un sniper. Ils sont délibérément ciblés. Ce sont les cibles privilégiées de l’armée d’occupation. » (4)

Soixante-cinq médecins et infirmiers de retour de Gaza ont des témoignages identiques. (5)

Le massacre des civils, l’anéantissement du système de soins, la famine organisée font partie intégrante de la stratégie d’extermination des Palestiniens, de la machine génocidaire israélienne. Ce sont des adjuvants, des accélérateurs de génocide. La doctrine Dahiya, tel est le nom donné par Israël à cette stratégie qui consiste en la destruction massive des zones civiles.

Le général Gadi Eisenkot : « User de force disproportionnée, causer d’immenses dommages et destructions sur les civils, c’est un plan, et il a été approuvé » – et exécuté en 2008-2009, 2012, 2014 et depuis un an à Gaza et dans une moindre mesure au Liban. (6)

Israël peut à la fois annoncer et appliquer un tel plan d’anéantissement et affirmer, via nos médias, que ses opérations sont « limitées, localisées, ciblées » – par exemple lorsque Israël largue 80 tonnes de bombes, le 27 septembre, dans un quartier densément peuplé du Sud de Beyrouth.

Par les deux mots magiques favoris de l’occupant et de nos médias, « terroristes » et « boucliers humains », Israël tente de distordre le droit. À raison, puisque l’impunité prévaut. Mais au regard du droit, « terroriste » est une notion absente, la seule distinction pertinente étant celle entre combattants et non-combattants.

Et la présence de combattants parmi une population civile ne fait pas de celle-ci des boucliers humains, pas plus que des terroristes ni des soutiens au terrorisme. Surimposer un autre label à une population civile n’en fait pas une cible légitime.

Les expertises menées depuis des décennies par l’ONU, B’tselem, Amnesty et HRW n’ont jamais conclu à l’utilisation de boucliers humains par la résistance palestinienne. En revanche, toutes ont conclu à un recours systématique à cette pratique contraire au droit par l’occupant. (7)

Des stratégies illégales demeurent illégales quelles que soient les excuses qu’on leur trouve. Le droit ne se négocie pas. La vérité, les faits ne se négocient pas non plus. La vérité, les faits, c’est que dans le Nord de la Bande de Gaza, il y a un blocus dans le blocus : aucun camion d’aide n’est parvenu aux 400.000 personnes qui s’y trouvent depuis deux semaines – 0% des 5% d’aide qui entrent à Gaza.

La vérité, les faits, c’est que dans le Nord de la Bande de Gaza, il y a un génocide dans le génocide. Pendant que l’armée brûle vif des blessés et des enfants à Deir el Balah et s’acharne sur Nuseirat, dans le centre, elle bombarde aussi Rafah, dans le Sud, et massacre 500 civils à Beit Hanoun, Beit Lahiya et Jabaliya dans le Nord.

Les corps jonchent les rues. L’armée d’occupation cible les secours. Elle cible ceux qui tentent de fuir, tout en les sommant d’évacuer. Israël considère quiconque reste comme une « cible militaire ».

Toujours cette réécriture du droit, cette distorsion du réel. Cette folie. L’occupant cible ceux qui tentent de trouver de la nourriture et de l’eau. L’occupant cible les enfants jouant au foot dans les décombres d’al-Shati. Cible l’hôpital yéménite, bombarde deux écoles de l’ONU.

La vérité, c’est que dans le Nord de Gaza, c’est le non-droit à son paroxysme, le massacre annoncé de 400.000 personnes – et un black out médiatique total.

La non-couverture médiatique du génocide fait gagner du temps à Israël, tout comme les gesticulations américaines et françaises. Du temps pour massacrer encore et encore. Du temps, pour ses alliés, pour parfois, mollement, en appeler au droit humanitaire.

Quelle arnaque, le droit humanitaire. La famine, les blessés qui meurent par milliers faute de soins, sont les conséquences de la violation systématique du droit, du droit tout court, et c’est le droit qu’il faut tout mettre en œuvre pour qu’il soit appliqué.

Le droit humanitaire est un pis-aller, bafoué lui aussi, un pansement qui ne tient pas, quand l’Occident regarde ailleurs et soutient le génocide en se donnant bonne conscience.

Notes :

  • (1) Frank Barat w. Gabor Maté, Zionism will be looked upon as one of the greatest disasters in Jewish history, YouTube 14.10.2024
  • (2) Abubaker Abed, Shabaan Al-Dalou, Burned Alive in Gaza, Would have been 20 today, in Jeremy Scahill, 17.10.2024
  • (3) Al Jazeera 14.10.2024
  • (4) Paul Salvatori in conversation w. Mark Perlmutter, volunteer doctor in Gaza, TRT World 11.10.2024
  • (5) Owen Jones, Israel Keeps Shooting Kids In The Head, YouTube 18.10.2024
  • <(6) Mehdi Hasan, The Dahiya Doctrine - Israel's Illegal Military Plan For Flattening Lebanon and Gaza, Zeteo 11.10.2024 & Owen Jones, Israel's Lebanon MASSACRE Could Be STOPPED By US In Moments - w/. Beirut Professor Karim Makdisi, YouTube 6.10.2024 & Somdeep Sen, 'Dahiyeh Doctrine' returns to Dahiyeh, Al Jazeera 3.10.2024
  • (7) Craig Mokhiber, Every accusation a confession: Israel and the double lie of ‘human shield’, Mondoweiss 21.9.2024 & Craig Mokhiber, How Israel attempts to justify indiscriminate attacks on civilians (and why it’s failing), Mondoweiss 28.9.2024

21 octobre 2024 – Transmis par l’auteure

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.