Le cessez-le-feu n’est pas le bout de la route

Les Palestiniens de Gaza célèbrent l'annonce d'un cessez-le-feu après plus de 15 mois de bombardements et de génocide israéliens à Gaza. Le cessez-le-feu entrera en vigueur dimanche - Photo : Yousef Zaanoun / Activestills

Par Jonathan Kuttab

Il apparait que finalement un accord de cessez-le-feu et de libération des otage, va être conclu et devrait intervenir à partir de ce dimanche (19/01).

Toute personne digne de ce nom dans le monde entier doit pousser un soupir de soulagement, j’en suis certain, à l’annonce de la cessation, au moins temporaire, de l’horrible cauchemar que vit Gaza.

Ce cauchemar nous torture quotidiennement avec les nouvelles de 50 à 100 nouvelles victimes chaque jour et notre incapacité à faire quoi que ce soit pour y mettre vraiment fin, en plus de la souffrance des captifs des deux camps, et de celle de toute la population de Gaza qui vit en état de siège et sous les bombardements.

Apparemment, l’accord doit se dérouler en trois étapes. Au cours de la première phase, le Hamas libérera 33 otages (morts et vivants) et Israël libérera un certain nombre de prisonniers et suspendra les bombardements sur une période de 42 jours, pendant que des dispositions seront prises pour les deux autres phases. La population du nord de Gaza sera autorisée à rejoindre leur habitation détruite et l’aide humanitaire sera autorisée à entrer.

Cependant, malgré le soulagement momentané que nous pouvons ressentir, il est essentiel de souligner un certain nombre de réalités importantes :

  • Il est maintenant clair que les conditions fondamentales de l’accord sont quasiment identiques à celles contenues dans l’accord proposé en mai dernier. Aucun changement significatif n’a été apporté, ainsi la souffrance et les pertes considérables survenues depuis semblent avoir été particulièrement inutiles et tragiques.
  • Il est également clair que les principaux obstacles à un cessez-le-feu ne sont pas venus d’une intransigeance du Hamas, mais d’un travail de sape délibéré de l’accord mené par les dirigeants israéliens. Itamar Ben Gvir et Bezalel Smootrich se vantent ouvertement d’avoir plus d’une fois saboté l’accord dans le passé et continuent de menacer de quitter le gouvernement Netanyahou si celui-ci est approuvé.
  • En Israël, contrairement aux mensonges et faux démentis du Secrétaire d’État Blinken, il est bien connu et reconnu que c’est la résistance opposée par la droite israélienne et la volonté de Nétanyahou de maintenir son gouvernement au pouvoir qui a été l’obstacle majeur à la signature d’un accord.

Il y a, en effet, lieu de craindre que la première « phase » de l’accord puisse très bien être la dernière et que parvenir jusqu’aux deux autres phases et à un véritable cessez-le-feu permanent ne soit guère assurée.

Les éléments en Israël, qui dans le passé ont saboté cet accord, peuvent encore chercher activement des occasions de prolonger le massacre, les campagnes de bombardement, la famine forcée, et le génocide une fois obtenu la libération d’une partie ou de la totalité des otages.

Bien que nous ne sachions pas dans quelle mesure les menaces de pressions étatsuniennes de Trump ont permis cette « avancée ,» ou jusqu’à quel point ce n‘est que de la comédie politique, le consensus chez la plupart des analystes israéliens que j’entends indique qu’Israël a changé d’avis et a accepté cet accord directement à la suite des pressions étatsuniennes.

Haaretz a même rapporté que le représentant de Trump, Steve Witcoff, souhaitait rencontrer Nétanyahu à propos de l’accord de cessez-le-feu et de libération des otages. Informé que Nétanyahu ne pouvait pas le rencontrer en raison du Shabbat, Witcoff a rétorqué que « le Shabbat n’avait aucune importance pour lui. » La rencontre a bien eu lieu, et, après un « échange tendu » avec Netanyahu, un accord a été conclu.

Les affirmations passées de l’administration Biden selon lesquelles elle ne pouvait pas faire pression sur Israël ou le forcer à prendre certaines décisions semblent fausses.

Parmi les réalités supplémentaires à souligner :

  • Il ne semble pas y avoir de lien évident entre la première phase et les suivantes de l’accord, ce qui rend possible que les « combats » reprennent après la pause de 42 jours et que le génocide continue. Il n’est pas prévu, comme pour les Accords d’Oslo, de dispositifs d’exécution ni de conséquences pour les Israéliens s’’ils ne respectent pas les accords.
  • L’accord dans son ensemble, même si toutes les phases sont approuvées et fidèlement mises en œuvre laisse un certain nombre de questions importantes sans réponses : le mécanisme de gouvernance de la Bande de Gaza après l’accord, l’accès à la nourriture, à l’eau, et autre aide humanitaire et leur distribution, l’étendue du retrait israélien, et s’il est envisageable que d’autres forces autres que le Hamas puissent gouverner les affaires civiles de Gaza. La levée du siège et l’autorisation d’entrer et sortir librement de Gaza ne sont même peut-être pas sur la table.

Dans tous les cas, le problème sous-jacent n’est toujours pas abordé. Tant que les exigences fondamentales de paix, d’égalité et de justice ne sont même pas abordées, de tels arrangements temporaires de sécurité seront toujours inadéquats, et la tentation de recourir à la force et à la violence demeurera. Voilà pourquoi il est important que nous continuions d’œuvrer pour une paix juste, d’insister sur le respect des principes moraux et légaux, indépendamment du fait qu’un accord soit conclu ou rompu.

Entre temps nous devons encore aborder les questions suivantes :

  • Le siège va-t-il être levé afin que les Gazaouis puissent commencer le processus de reconstruction de leurs hôpitaux, écoles, universités, habitations, et vies ?
  • Qui fournira la nourriture, l’eau, les médicaments, l’électricité, et les matériaux de construction nécessaires pour assurer les besoins immédiats de la population en matière de subsistance et de mise à l’abri, et assumer la tâche monumentale de reconstruction de ce qui a été détruit ? Qui procurera et maintenir les services publics élémentaires, sans oublier le maintien de l’ordre public, dans un avenir immédiat ?
  • Les journalistes internationaux seront ils autorisés à se rendre à Gaza pour décrire de façon « fiable » (comprenez occidentale)ce qui s’est réellement passé au cours de l’année écoulée ?
  • Les criminels responsables du génocide et crimes de guerre seront ils traduits en justice ?
  • Pour finir, et la Cisjordanie ? Si le cessez-le-feu prend effet à Gaza, nous devons garder les yeux rivés sur la Cisjordanie, sur les colonies et les colons, sur l’armée d’occupation et le régime d’apartheid, sur les prisonniers, et sur les dirigeants palestiniens.

Négliger ces questions ne peut qu’accroître la violence.

Dans tous les cas, nous devons continuer à œuvrer pour la paix et la justice. Nous continuons de proclamer que la violence n’est pas la solution. Elle n’apportera jamais aux Palestiniens la libération désirée ni aux Israéliens leur fameuse sécurité.

La violence comprend non seulement les armes et les bombardements, mais aussi les bulldozers, les postes de contrôle, et toutes les structures d’oppression qui constituent l’apartheid israélien, telles que l’occupation, le siège, et le déni de liberté.

Nous réitérons que si la violence devait resurgir, les civils doivent être épargnés dans la mesure du possible des ravages de la guerre. Des mesures qui ciblent les civils ne sont jamais légitimes.

C’est pourquoi la prise d’otages civils (par opposition à militaires) n’a jamais été légitime – et a été fermement condamnée – mais les restrictions d’accès à la nourriture, à l’eau, aux médicaments et au carburant sont tout autant illégitimes.

Les droits humains universels et le droit international doivent toujours être respectés. La recherche de méthodes pacifiques de résolution des conflits et de moyens non violents de résistance à l’oppression devrait faire l’objet de tous les efforts.

La promotion de telles valeurs universelles et le respect des institutions et principes universels est une valeur importante pour nous tous, et pas seulement pour ceux pris dans un conflit. La nouvelle d’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages est certes la bienvenue, mais elle est loin d’être le bout de la route.

16 janvier 2025- FOSNA – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

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