Le cessez-le-feu à Gaza et l’avenir de la Palestine

Photo : ActiveStills.org

Grande Marche pour le Retour - Gaza - Photo : ActiveStills.org

Par Abdaljawad Omar, Yumna Patel, Yara Hawari

Yara Hawari et Abdaljwad Omar discutent ici des efforts d’Israël pour saboter le fragile cessez-le-feu, de la gouvernance d’après-guerre à Gaza et de l’avenir de la Palestine.

Note de la rédaction : Cet entretien est le dernier épisode d’une série de trois podcasts réalisés en collaboration avec Mondoweiss et Al-Shabaka, le Palestine Policy Network. Cette série, que l’on peut trouver sur les chaînes Youtube de Mondoweiss et d’Al-Shabaka, couvre le cessez-le-feu à Gaza, l’état de la résistance palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, la vision du Hamas sur le « jour d’après », la lutte de l’Autorité palestinienne pour le pouvoir et sa pertinence, et ce qu’Israël et les États-Unis ont à gagner ou à perdre dans tout cela.

Dans cet épisode, Yumna Patel, rédactrice en chef de Mondoweiss, s’entretient avec le Dr Yara Hawari, codirectrice d’Al-Shabaka, et l’universitaire palestinien Abdaljawad Omar, également membre d’Al-Shabaka et collaborateur régulier de Mondoweiss.

Mondoweiss : Nous entrons dans la quatrième semaine de l’accord de cessez-le-feu à Gaza. Dans la crainte que le cessez-le-feu ne tienne pas, les gens retiennent leur souffle depuis le premier jour. Mais c’est en ce moment qu’il semble le plus fragile. Le Hamas a récemment annoncé qu’il ne libérerait pas les prisonniers israéliens restants en raison des violations israéliennes de l’accord de cessez-le-feu, notamment en ce qui concerne le nombre de camions-citernes et l’entrée de tentes et d’autres matériaux de reconstruction dans la bande de Gaza. Ces fournitures sont censées être autorisées quotidiennement. La violation par Israël des protocoles de cessez-le-feu survient juste au moment où les négociations pour la deuxième phase étaient censées avoir lieu. Rien de tout cela ne ressemble à une coïncidence. Les dominos semblent tomber dans le sillage de la visite de Netanyahu aux Etats-Unis. Je voudrais vous poser à tous les deux une première question : Que pensez-vous de ces derniers développements ? Yara, commençons par vous.

Yara Hawari : Lorsque l’accord de cessez-le-feu a été annoncé, le Premier ministre israélien Netanyahu a assuré à ses ministres que l’accord n’atteindrait jamais la phase deux. Il a laissé entendre que soit l’accord resterait indéfiniment en phase 1, soit il reprendrait la guerre.

Il n’est donc pas surprenant qu’il se soit arrêté à ce stade. Je pense que c’est délibérément qu’Israël a violé les termes du cessez-le-feu.

En termes de violations, moins de la moitié des camions d’aide prévus entrent à Gaza. Il en va de même pour les camions de carburant, qui sont essentiels pour les hôpitaux, les boulangeries et d’autres services. De plus, des dizaines de Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis le début du cessez-le-feu.

Les bombes ne tombent plus toute la journée, mais le génocide est toujours en cours. Netanyahu a promis à ses ministres, dès le début, qu’il ferait durer la fin de la première phase. Il n’y a aucune sincérité dans la manière dont le camp israélien respecte le cessez-le-feu.

Aujourd’hui, le président Trump a donné le feu vert à Israël pour reprendre la guerre d’ici samedi si tous les captifs ne sont pas libérés. Non seulement Trump fait dérailler le calendrier du cessez-le-feu, mais il ignore également le fait qu’Israël ne cesse de violer l’accord.

Bien entendu, les médias occidentaux relaient ses déclarations comme des perroquets. Il n’y a aucune analyse dans les médias grand public sur les multiples façons dont Israël a violé l’accord

Mondoweiss : C’est un point intéressant, et j’aimerais demander à Abdaljawad de le développer. Yara a souligné que dès le début, Netanyahu a assuré à son gouvernement que la deuxième phase du cessez-le-feu n’aurait pas lieu. Dans un sens, était-ce donc prévisible ? Pensez-vous que la rencontre de Netanyahu avec Trump et les déclarations qu’ils ont faites lors de la conférence de presse à Washington l’ont encouragé à saboter le cessez-le-feu ?

Abdaljawad Omar : Oui, bien sûr. Avoir quelqu’un comme Trump à la Maison Blanche, quelqu’un qui parle ouvertement de nettoyage ethnique à Gaza, dynamise la base de droite de Netanyahu. Cela incite Israël à saper le cessez-le-feu, à le vider de sa substance et à reprendre la guerre génocidaire.

Mais il ne faut pas oublier que cette situation n’est pas nouvelle. Historiquement, Israël n’a jamais respecté les accords conclus avec les Palestiniens, qu’il s’agisse des accords d’Oslo ou de Camp David. Il a toujours trouvé le moyen de rendre ces accords purement symboliques, en les vidant de leur contenu réel dans leur mise en œuvre quotidienne.

Il s’agit d’une tendance de longue date au sein du colonialisme israélien. Les accords sont temporaires et servent à atteindre des objectifs spécifiques. Dans le cas présent, Israël voulait récupérer ses prisonniers. Désormais, il poursuit ses propres objectifs politiques et militaires à Gaza, qui peuvent inclure le nettoyage ethnique et l’élimination de la plus grande partie possible de la population de Gaza. C’est ainsi qu’Israël opère. Ce n’est pas nouveau.

Mondoweiss : Vous avez l’air de dire que cela fait partie du cahier des charges d’Israël. Vous avez aussi noté le refus des médias officiels de présenter honnêtement la situation. La plupart des titres et des rapports suggèrent que le Hamas rompt le cessez-le-feu et qu’Israël n’a d’autre choix que de reprendre la guerre. C’est toujours la même chose. Ils prétendent à chaque fois que les Palestiniens sont incapables d’accepter ou de respecter un accord, et qu’Israël n’a pas le choix. Il est extrêmement frustrant de voir ce mensonge relayé une fois de plus, surtout dans des circonstances aussi terribles. Les habitants de Gaza ont survécu à 16 mois de génocide et sont aujourd’hui confrontés à la menace que cela recommence. Je n’arrive pas à croire qu’on puisse encore nous refaire le même coup.

Abdaljawad Omar : Vous avez raison, et en ce qui concerne les médias grand public, nous les avons entendus blanchir des crimes tels que le nettoyage ethnique ou le génocide. Cela va bien plus loin qu’un simple parti-pris.

Un autre point à garder à l’esprit est que Biden avait également proposé un « couloir humanitaire » pour que les Palestiniens puissent quitter Gaza. Il s’agissait simplement d’une formulation différente du même objectif politique. Alors que les démocrates utilisent le discours humanitaire, Trump adopte une approche plus directe, en suggérant d’exploiter la valeur marchande de Gaza en la transformant en une « Riviera du Moyen-Orient ».

Et je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il m’a semblé que la proposition des États-Unis de prendre le contrôle de Gaza, plutôt que de le laisser à Israël, était une manœuvre contre Netanyahu.

Trump semble préférer que ce soit les Américains qui contrôlent Gaza : nous prendrons en charge le nettoyage ethnique, nous transformerons Gaza et Gaza deviendra un territoire américain au Moyen-Orient. Cela crée des tensions entre Netanyahu et Trump. J’ai trouvé cela intéressant.

Yara Hawari : Oui, on le voit clairement pendant la conférence de presse, lorsque Trump présente son plan pour que les États-Unis s’approprient la bande de Gaza. Netanyahu essaie de le cacher, mais si on regarde bien, on voit que Netanyahu a l’air surpris. Et lorsqu’on lui pose la question, il répond qu’il s’agit d’une proposition intéressante. Je pense donc qu’en réalité, cela n’arrivera pas. Les Israéliens ne veulent pas de ça. Les Israéliens la veulent [Gaza] pour eux-mêmes.

Mais il est intéressant de noter que depuis cette conférence de presse, l’idée d’une prise de contrôle par les États-Unis s’est transformée en une prise de contrôle personnelle par Trump. Il a dit que Gaza serait à lui, personnellement, et son administration, ou du moins certains membres de son administration, essaient de faire marche arrière parce qu’ils ne veulent certainement pas de bottes sur le terrain à Gaza. C’est une chose que Trump a promise tout au long de sa campagne, à savoir que les États-Unis ne seraient plus impliqués dans ce type de conflits.

Il sera intéressant de voir ce qui va arriver. Mais dans tous ces projets, la Palestine est absente. On parle de Gaza comme si elle n’appartenait plus aux Palestiniens, comme si les habitants n’avaient pas survécu à 15 mois de bombardements et n’étaient pas absolument déterminés à rester sur leurs terres.

Mondoweiss : La détermination des Palestiniens a été sous-estimée tout au long de l’année et demie qui vient de s’écouler. On s’attendait à ce qu’après tous ces mois de bombardements et de génocide, les Palestiniens de Gaza, en particulier, abandonnent et se soumettent. Nous avons clairement constaté que ce n’était pas le cas. Après les premiers jours du cessez-le-feu et les images que nous avons vues, qu’il s’agisse des combattants des Brigades Al-Qassam apparaissant en grand nombre au milieu de la ville de Gaza, ou des dizaines de milliers de Palestiniens marchant et retournant vers le nord, il était très clair que l’objectif d’Israël de forcer les Palestiniens à se soumettre n’a pas fonctionné une fois de plus.
Il semble qu’à l’heure actuelle, deux scénarios se présentent à nous. L’un dans lequel le cessez-le-feu s’effondre et où Israël utilise tout ce qu’il peut comme prétexte pour reprendre son génocide actif à Gaza. Ou bien le cessez-le-feu se maintient, et nous voyons les phases 1, 2 et 3 se concrétiser. Dans ces deux scénarios, la question qui se pose est la suivante : à quoi ressemble l’avenir de Gaza ? Avant d’approfondir la question de l’avenir, je pense que la question qui préoccupe tout le monde est la suivante : compte tenu de la situation, qu’est-ce qui va se passer maintenant ? À quoi ressemble l’avenir proche de Gaza ?

Abdaljawad Omar : Je pense que l’un des enjeux fondamentaux pour le Hamas – et c’est la raison pour laquelle il a annoncé dimanche qu’il ne libérerait pas les prisonniers samedi – est de permettre des négociations.

Il faut que rentrent à Gaza les choses nécessaires à la survie de la population, comme les caravanes, le carburant et d’autres produits qu’Israël s’est montré réticent à laisser entrer, bien qu’ils fassent partie de l’accord.

Mais en même temps, du point de vue de la résistance palestinienne, ils possèdent une carte majeure, les prisonniers israéliens qu’ils détiennent encore. Et ils ne vont pas facilement accepter de libérer ces prisonniers, qui constituent un moyen de pression capital sur les décideurs politiques israéliens. Ainsi, pour résumer, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, ce sont des négociations sur l’élargissement des négociations.

C’est la stratégie que la résistance palestinienne tente d’imposer à ceux qui négocient l’accord – les Américains, les Israéliens, les Qataris, les Égyptiens. Elle essaie de faire en sorte que les négociations ne s’arrêtent pas au bout de 42 jours. Et c’est logique : si Israël recommence la guerre, pourquoi la résistance libérerait-elle plus de prisonniers ?

Si Israël retourne à la guerre, ils doivent évidemment garder ces cartes en main. Telle est la stratégie : pousser Israël et les négociateurs à entamer une deuxième et une troisième phase, en veillant à ce qu’un accord d’échange de prisonniers soit conclu. C’est un risque étant donné la fragilité de la situation. Israël a les moyens de répondre à cette résistance, mais sa réponse révèlera aussi l’ampleur du risque de retourner à la guerre qu’Israël est prêt à prendre.

Yara Hawari : A l’heure actuelle, si le cessez-le-feu s’écroule, nous assisterons probablement à un retour des bombardements israéliens. Ce sera catastrophique pour les Palestiniens de Gaza, qui ont déjà tant souffert. Les Israéliens bombarderont ce qui est déjà détruit – ils bombarderont des décombres. Je ne pense pas que nous puissions prédire l’effet que cela aura sur les Palestiniens de Gaza.

Je pense également qu’il est important d’observer le public israélien et de voir comment il réagira à ce scénario. La popularité de Netanyahu est en chute libre. Elle a connu des hauts et des bas tout au long du génocide, mais l’accord de cessez-le-feu a eu un impact important sur la façon dont il est perçu dans la société israélienne.

Pour l’extrême droite, et je n’aime pas particulièrement ce terme pour décrire la société israélienne car la plupart sont des fascistes, il est perçu comme quelqu’un qui a capitulé et qui n’a pas tenu ses promesses, à savoir la destruction des capacités militaires du Hamas. D’autres, notamment les familles des captifs, sont vraiment en colère parce qu’elles pensent que le cessez-le-feu aurait pu être conclu dès le début. Et ils n’ont pas tort.

Un autre élément important est la fatigue de l’armée et des soldats israéliens. Bien sûr, nous avons tous vu des vidéos de soldats se vantant de commettre des crimes de guerre. Mais nous ne voyons pas l’autre côté des choses – les informations fortement censurées selon lesquelles, dans les rangs de l’armée, le moral est bas, il y a beaucoup de blessés et la fatigue est générale.

Tout cela va dans le sens d’une reprise de la guerre, d’une reprise du génocide. C’est un facteur crucial que nous ne pouvons pas négliger.

L’autre scénario est que le cessez-le-feu tienne, qu’il passe par toutes ses phases et qu’il aboutisse finalement à un processus de reconstruction. Au cours de l’année écoulée, nous avons vu apparaître de nombreux plans et projets infâmes pour la reconstruction – presque tous sans que les Palestiniens soient consultés, à l’exception de quelques capitalistes palestiniens, non originaires de Gaza. Ainsi, dans ces deux scénarios, la situation n’est pas bonne pour les Palestiniens de Gaza. Mais je pense qu’il existe d’autres scénarios qui méritent d’être pris en compte.

Abdaljawad Omar : La Résistance palestinienne se bat toujours pour que ce cessez-le-feu temporaire se prolonge.

Israël pourrait reprendre la guerre, mais sans nécessairement ré-envahir Gaza ; il pourrait plutôt s’appuyer sur sa puissance aérienne. Israël a toujours une influence sur la forme de reconstruction de Gaza, sur ce qu’il autorise à y entrer et à en sortir.

Du point de vue des Palestiniens et des dirigeants actuels ou de la résistance, leurs objectifs sont clairs : premièrement, garantir un cessez-le-feu à long terme ; deuxièmement, reconstruire ; et troisièmement, veiller à ce que la destruction de Gaza ne conduise pas à son nettoyage ethnique. Ceci est, en soi, un objectif politique.

Non pas parce que les Palestiniens ne survivront pas ou n’insisteront pas pour rester sur leurs terres, mais parce que si Israël empêche la reconstruction de Gaza, cela augmente la probabilité d’un nettoyage ethnique.

Gaza est détruite, mais l’objectif politique est de la reconstruire assez vite, pour mettre à disposition des Palestiniens l’essentiel des ressources nécessaires : infrastructures, hôpitaux, universités – tout ce qui permettra aux gens de rester à Gaza et de commencer à reconstruire leur vie après la dévastation.

Cela représente beaucoup de travail. Mais cette phase est cruciale pour la résistance palestinienne, après qu’elle a réussi à supprimer le corridor de Netzarim et à permettre aux habitants du sud de remonter vers le nord. Maintenant, elle pousse les médiateurs israéliens à mettre en œuvre les deuxième et troisième phases de l’accord, ce qui conduira à un échange de prisonniers plus large. Elle essaie de profiter du fait qu’Israël est acculé : s’il veut récupérer ses prisonniers, il devra respecter les conditions stipulées en janvier.

Mondoweiss : Oui, et dans ce scénario plein d’espoir, le cessez-le-feu tient et la reconstruction commence. Mais la reconstruction de Gaza est une tâche monumentale. Selon certaines estimations, il faudra plus d’une décennie rien que pour déblayer les décombres. Et au-delà, comme vous l’avez mentionné, il s’agit de reconstruire les hôpitaux, les universités et l’ensemble de l’infrastructure d’une société.
Supposons, pour les besoins de l’argumentation, que cela se produise, que le cessez-le-feu tienne et que Gaza soit autorisée à se reconstruire, une lutte de pouvoir est inévitable, au fur et à mesure que la situation évolue. En réalité, c’est déjà le cas. Trump a déclaré qu’il voulait « posséder » Gaza et en faire une « Riviera », peu importe ce qu’il entend par là. Netanyahu et les Israéliens ont clairement fait connaître leur position : ils disent qu’ils veulent que le Hamas se retire de la bande de Gaza, mais la réalité est qu’ils veulent que tous les Palestiniens disparaissent. Ils veulent étendre leurs colonies de peuplement et s’approprier davantage de terres.
Ce qui est moins évident – et ce sur quoi le grand public est moins informé – c’est la position des différentes factions politiques palestiniennes. Pour commencer, je voudrais poser une question sur le Hamas et sa vision. Il y a une discussion générale sur ce qu’Israël et les États-Unis prévoient de faire, mais peu de discussions sur ce que les Palestiniens eux-mêmes vont faire.
Le Hamas est toujours très présent – il n’a pas été éliminé, malgré l’objectif déclaré d’Israël. Compte tenu de cette réalité, comment décririez-vous le niveau de contrôle et de pouvoir du Hamas après 16 mois de génocide ? Sur la base de ses déclarations et des informations disponibles, comment le Hamas envisage-t-il l’avenir de la bande de Gaza après la guerre ?

Abdaljawad Omar : Le meilleur scénario pour le Hamas est de prouver qu’Israël n’a pas pu atteindre son objectif de l’éliminer par la guerre. Si Israël n’a pas pu vaincre le Hamas militairement, il ne pourra pas le faire politiquement. Ainsi, dans un scénario d’après-guerre, le Hamas restera un mouvement de résistance à l’intérieur de Gaza.

Deux voies sont possibles. La première est que le Hamas conserve la gouvernance. L’autre est qu’il permette à un autre organe de gouvernement de prendre le contrôle tout en conservant une influence sur les questions de guerre et de paix. Il s’agirait de séparer la gouvernance de la résistance, en permettant à une entité technocratique ou politique de gérer les affaires quotidiennes tandis que le Hamas continue d’accumuler du pouvoir et de maintenir sa pertinence en tant que force de résistance.

Le deuxième scénario est que le Hamas reste à la fois l’organe dirigeant et le mouvement de résistance, utilisant des tactiques de négociation et la situation sur le terrain pour s’assurer que ni Israël ni les États-Unis ne puissent remettre en cause son autorité.

Mondoweiss : Oui, ce serait donc l’issue la plus favorable pour le Hamas. Mais cela est-il réaliste ?

Abdaljawad Omar : Je pense que oui parce qu’Israël ne pourrait pas détruire le Hamas militairement. Pourquoi serait-il capable de le faire par la diplomatie ? Cependant, il existe une contradiction qu’Israël pourrait essayer d’exploiter, entre les mouvements de résistance et les besoins immédiats de la population de Gaza. La reconstruction est une priorité absolue pour les Palestiniens, mais si Israël l’utilise comme un outil de négociation pour affaiblir politiquement le Hamas, cela pourrait poser un problème à ce dernier.

Cela dit, le discours des États-Unis et d’Israël s’est largement concentré sur le nettoyage ethnique. Et ils ont eu tort d’affirmer ouvertement qu’ils voulaient que les Palestiniens quittent Gaza, car de nombreuses personnes, qui seraient peut-être parties, refusent aujourd’hui de le faire, simplement parce que leur départ a été politisé. L’insistance d’Israël et des États-Unis sur le fait que les Palestiniens doivent partir a renforcé la détermination des gens à rester.

De fait, cette rhétorique n’a pas aidé Israël à séparer la reconstruction de Gaza de la résistance.

Mondoweiss : Au cours des négociations sur le cessez-le-feu et jusqu’à la conclusion d’un accord, le Hamas a émis l’idée d’un mode de gouvernance partagée avec les autres factions politiques palestiniennes. C’est là qu’intervient l’Autorité palestinienne. Lorsque les négociations sur le cessez-le-feu étaient en cours, des rapports faisaient état d’une réconciliation potentielle entre le Hamas et le Fatah, le parti au pouvoir de l’Autorité palestinienne, en vue d’un accord de partage du pouvoir, mais il semble que cela n’ait pas abouti.
Quelle est la position de l’Autorité palestinienne aujourd’hui ? Que veut-elle concernant Gaza ? Est-elle ouverte à un gouvernement d’unité avec le Hamas ?

Yara Hawari : Il est important de se rappeler que l’AP n’est pas un organe unifié ; il y a de multiples factions, des perspectives politiques différentes et des luttes de pouvoir internes. Mais dans l’ensemble, ses dirigeants se considèrent comme l’autorité naturelle à Gaza.

On a rapporté que des fonctionnaires de l’AP pensent qu’ils prendront le contrôle de Gaza, en partie parce qu’ils croient avoir fait leurs preuves à Jénine. Pour rappel, l’AP a préparé le terrain pour l’invasion israélienne de Jénine en assiégeant le camp pendant plus d’un mois et en le privant de ses armes. Elle semble croire que sa récompense sera le contrôle de la bande de Gaza.

Mais l’AP n’est même pas mentionnée par Trump ou Netanyahu. Les seuls acteurs qui parlent d’elle sont les régimes arabes, et même eux insistent sur le fait que l’AP doit subir une réforme politique avant de prendre le contrôle de Gaza. C’est une manière de dire qu’elle doit changer de leader.

En attendant, Netanyahu et le gouvernement israélien ont explicitement déclaré qu’ils ne permettraient pas à l’Autorité palestinienne de gouverner la bande de Gaza. En réalité, l’AP n’a donc aucun poids politique dans cette région. Sa pertinence et sa légitimité diminuent sans cesse.

Mondoweiss : Il semble que l’AP se fasse des illusions. Même si elle pense avoir fait ses preuves à Jénine, cette opération a en fait augmenté l’animosité du public à son égard, puisqu’elle s’est positionnée contre la résistance, qui est sans doute plus populaire que l’AP en Cisjordanie. Compte tenu de tout cela, dans quelle mesure est-il réaliste de penser que l’Autorité palestinienne puisse prendre le contrôle de Gaza à l’issue de cette opération ?
Pour en revenir aux propos fuités de responsables de l’Autorité palestinienne selon lesquels l’AP serait prête à prendre le pouvoir par la force dans la bande de Gaza, serait-ce vraiment possible ?

Yara Hawari : Avec l’actuelle coalition gouvernementale de Netanyahu, c’est très peu probable. Mais les choses peuvent changer rapidement. Trump est imprévisible, et certains rapports suggèrent qu’il aime Abbas et n’est pas un grand fan de Netanyahu. C’est difficile à croire au vu des événements récents, mais ce n’est pas impossible.

Le gouvernement de Netanyahu a été très clair : il ne permettra pas à l’Autorité palestinienne de gouverner Gaza. Toutefois, si Netanyahu n’était plus au pouvoir, la situation pourrait changer.

Evidemment, tout cela dépend aussi des Palestiniens. Les uns et les autres peuvent faire des projets, mais ce sont les Palestiniens de Gaza qui auront le dernier mot. Même en l’absence d’élections, il est peu probable qu’ils acceptent que l’Autorité palestinienne leur soit imposée comme dirigeant compradore. Il est difficile de faire des prévisions, car tout peut changer du jour au lendemain. Mais dans l’état actuel des choses, les attentes de l’Autorité palestinienne sont illusoires. Il faudrait que beaucoup de choses changent pour que leurs ambitions deviennent réalité.

Abdaljawad Omar : L’AP se concentre sur trois choses. Premièrement, empêcher l’unité. Si l’AP devait s’associer à d’autres factions palestiniennes, elle devrait changer toute sa politique – depuis sa coopération avec Israël jusqu’à son rapport au colonialisme de peuplement. Les dirigeants actuels de l’AP ne veulent pas le faire. Ils trouvent toujours une excuse – qu’il s’agisse des élections à Jérusalem ou d’autre chose – pour éviter l’unité.

Deuxièmement, l’Autorité palestinienne considère le pouvoir croissant des factions de colons d’extrême-droite israéliens comme une menace. Des personnalités comme Smotrich et Ben-Gvir considèrent même l’AP comme un obstacle à leur objectif de nettoyage du territoire.

Mondoweiss : Nous avons discuté des différentes puissances en jeu et de leurs visions pour Gaza – l’Amérique, Israël, le Hamas et l’Autorité palestinienne. Mais comme vous l’avez mentionné, les dernières personnes à être interrogées sur leur vision de leur patrie sont les Palestiniens eux-mêmes
Yara, vous avez récemment parlé de la puissance d’action des Palestiniens. Je voudrais donc vous demander : Quelle est leur marge de manœuvre dans la situation actuelle ?
Quelles sont les questions que les Palestiniens doivent se poser ? Comment les Palestiniens peuvent-il reprendre le pouvoir sur leur propre vie et sur leur avenir ?

Yara Hawari : C’est une question très importante. Il y a un piège dans lequel nous tombons souvent : c’est de parler de notre avenir dans un cadre établi par des non-Palestiniens. Même les Palestiniens tombent dans ce piège parce qu’il a été conçu pour ça. L’avenir devient ce lieu mythique dont nous ne pouvons pas parler parce que le présent est trop horrible.

Et ce vide que nous laissons est investi par d’autres personnes qui discutent bruyamment de l’avenir, sauf que dans de nombreux cas, ces discussions ne concernent pas du tout l’avenir des Palestiniens, mais visent au contraire à garantir que nous n’en ayons pas. Pour les Palestiniens, imaginer l’avenir peut apparaître comme une sorte de luxe. Comment pouvons-nous nous représenter un avenir libéré de l’oppression coloniale ?

Il ne reste pratiquement plus des témoins vivants de l’époque où nous étions libres – la génération de la Nakba est en train de disparaître. Mais il nous faut tout de même nous atteler à cette tâcher. C’est comme exercer un muscle qui n’a pas été utilisé depuis longtemps.

Nous pouvons nous tourner vers notre histoire ; Gaza n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. C’était une partie florissante de la Palestine, profondément liée à la région par le commerce, les routes maritimes et la culture. Imaginer l’avenir ne signifie pas romancer le passé, mais le passé nous aide à imaginer ce qui pourrait advenir.

Au cours des dernières décennies, Gaza est devenue le cœur battant de la Palestine. Elle incarne la lutte des réfugiés palestiniens, leur résistance et leur résilience. L’écrivain égyptien et prisonnier politique Alaa Abd El-Fattah a écrit un jour qu’il était allé à Gaza, mais qu’il disait toujours qu’il était allé en Palestine parce que Gaza est le cœur de la Palestine. Cette phrase résonne en moi. J’ai grandi à quelques heures de là, mais je n’y suis jamais allé.

Lorsque j’imagine l’avenir des Palestiniens, je vois un avenir où nous ne sommes plus séparés les uns des autres, où les murs appartiennent au passé. La Palestine n’a jamais été destinée à être divisée en prisons à ciel ouvert. Nous, Palestiniens, nous nous aimons les uns les autres et nous aimons nos communautés. Être coupés les uns des autres comme nous le sommes actuellement est la pire des punitions.

Même si cela semble romantique, nous devons imaginer notre avenir.

Mondoweiss : Je voudrais m’arrêter un instant sur vos paroles, car elles sont vraiment frappantes. Vous avez insisté sur le fait qu’il ne s’agit pas de romantisme, même si cela nous donne cette impression du fait de la triste réalité qui nous est imposée. Pourtant, au fond, nous imaginer l’avenir est très simple.
Je tiens également à souligner un point que vous avez mentionné, à savoir le piège que représentent ces discussions sur l’avenir de la Palestine. En tant que journalistes, nous enfermons facilement les narratives dans des cadres réducteurs, voire binaires, comme « guerre » versus « cessez-le-feu ». Mais cela ne fait que limiter nos réflexions et notre imagination. Il est essentiel de le reconnaître – je suis moi-même tombée dans ce piège au cours de cet entretien. Et vous avez tout à fait raison, nous devons dépasser ces limites lorsque nous pensons à la Palestine et à son avenir.
Abdaljawad, j’aimerais vous poser la même question : quelle est la puissance d’action, la marge de manœuvre des Palestiniens ? Comment pouvons-nous envisager un avenir libéré des chaînes coloniales, où les Palestiniens auraient droit à la vie et à la liberté ? À quoi cela ressemblerait-il selon vous ?

Abdaljawad Omar : Pour moi, il s’agit de la vie de tous les jours, la possibilité de se voir sans être séparés par des postes de contrôle et des murs. En tant que personne vivant à Ramallah, je devrais pouvoir aller à Gaza, tout comme un habitant de la Galilée. Les Palestiniens ont fini par considérer comme normales des choses qui ne le sont absolument pas.

Aucun autre peuple au monde ne se réveille en découvrant qu’un ami a été arrêté ou en apprenant la mort d’un être cher sans pouvoir aller lui dire au revoir. Pas plus tard que cette semaine, un de mes amis a perdu son père à Jérusalem, mais il n’a pas pu s’y rendre en raison de la bureaucratie israélienne. Une autre amie, actuellement emprisonnée, ne sait même pas que son père est décédé parce que la nouvelle ne lui est pas parvenue.

Ces choses peuvent sembler insignifiantes par rapport aux massacres et aux destructions auxquels nous avons assisté au cours des 15 derniers mois, mais elles caractérisent notre vie quotidienne.

Alors, comment pouvons-nous envisager un avenir différent ? En résistant. Sabr (patience) et sumud (fermeté) sont les seuls moyens pour les Palestiniens d’aller de l’avant. Nous devons démanteler les structures coloniales qui cherchent à nous oblitérer. Les colons doivent reconnaître que nous sommes des êtres humains, ce qu’ils nient pour l’instant.

Historiquement, les luttes anticoloniales n’ont abouti que par la résistance – par des actes de sumud. C’est pourquoi la résistance est profondément ancrée dans notre imaginaire collectif. Elle est la porte d’accès à un avenir différent.

Certains s’interrogent sur la forme politique qu’il prendra – un État, deux États, trois États. Mais pour Yara et moi, la libération renvoie à quelque chose de bien plus concret et fondamental : ne pas souffrir. Ne pas normaliser ce qui ne devrait jamais l’être.



14 février 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.