Le cessez-le-feu à Gaza révèle la fragilité d’Israël et l’impact de la résistance

Rassemblement du mouvement Hamas [résistance islamique] à Gaza - Photo : via hamas.ps

Par Abdaljawad Omar

Au lendemain du cessez-le-feu, nombreux sont ceux qui tenteront d’imposer un discours binaire de victoire et de défaite. Mais lorsque la poussière retombe, l’image qui émerge, c’est celle de la fragilité de la colonie israélienne et du pouvoir de transformation de la résistance.

Le ministre qatari des affaires étrangères a confirmé mercredi soir, lors d’une annonce déterminante, qu’Israël et le Mouvement de résistance islamique (Hamas) avaient conclu un accord visant à mettre fin, pendant au moins 42 jours, à la guerre génocidaire et destructrice menée par Israël dans la bande de Gaza.

Cet accord est essentiellement un remaniement de l’accord de cessez-le-feu précédemment proposé en mai par l’administration Biden, accord que le Hamas a accepté et qu’Israël a refusé.

Il s’est avéré qu’Israël voulait avoir plus de temps pour détruire davantage la bande de Gaza, faire plus de morts, et soumettre le Hezbollah au Liban. Dans ce contexte, le Qatar apparaît une fois de plus comme l’un des plus grands gagnants de cet accord, consolidant son rôle crucial d’interface dans l’architecture de la diplomatie régionale.

Le petit État du Golfe est passé maître dans l’art de manœuvrer entre les adversaires, tirant parti de ses relations avec des acteurs apparemment irréconciliables pour jouer un rôle de médiateur là où d’autres échouent. Ce faisant, Doha réaffirme sa place de capitale de la négociation, capable de se tourner vers Trump avec un discours simple : si vous voulez un accord, c’est ici qu’il faut venir.

Dans le monde dystopique israélo-US, le génocide fait partie de la norme

Pour Donald Trump, l’accord est moins un succès diplomatique que le superbe cadeau d’une narration irrésistible. Il lui offre un scénario de triomphe – le retour des captifs israéliens, la cessation du conflit – parfaitement adapté à sa politique populiste.

Elle s’intègre parfaitement dans la mythologie de sa présidence : le négociateur accompli, le leader qui réussit là où d’autres échouent, le disrupteur qui secoue les fondations des impasses les plus enracinées et des statu quo mortels.

Quant à Joe Biden et à son équipe de politique étrangère, l’accord sert d’épilogue sinistre à leur mandat. Ils ne sont plus qu’une ombre inconsistante à la tête du pouvoir, obstinée mais impuissante. Jusqu’à leur départ, ils sont restés fidèles à un héritage politique qui exige une allégeance totale à Israël et ils n’ont jamais renié leur engagement alors même qu’il les détruisait.

Ce sont des libéraux pathétiques, qui se sont tragiquement retrouvés non seulement complices, mais prisonniers, témoins et participants actifs d’une machine de destruction qui a précédé leur époque et qui lui survivra.

Leur défense, lorsqu’elle viendra, ne reposera pas sur la capacité mais sur la nécessité, comme s’ils étaient soumis à des forces indépendantes de leur volonté. Et pourtant, ils avaient le choix. Ils ont choisi la monstruosité et ils quittent leurs fonctions en sachant pertinemment qu’il aurait pu en être autrement.

La narrative israélienne est réduite en miettes

En Israël, l’accord marque l’effondrement d’une narrative et la construction provisoire d’une autre, une fragile tentative de passer du fantasme d’une victoire totale au pragmatisme d’une victoire suffisante. Israël est désormais confronté aux limites de ses aspirations et contraint de se consoler avec ses réalisations géopolitiques.

Il s’agit notamment de la réussite de son appareil de renseignement à infiltrer la résistance libanaise et de sa capacité à exercer une immense puissance destructrice à Gaza et au Liban.

Toutefois, ces réalisations célébrées sont masquées par des contradictions non résolues. Sous la rhétorique triomphaliste se cache une question fondamentale : qu’est-ce qu’Israël a obtenu de concret ?

En dépit des succès stratégiques revendiqués – un Hezbollah affaibli, un Iran diminué et un Hamas battu – Israël n’a pas obtenu la victoire totale qu’il recherchait.

Le Hezbollah reste une force efficace, l’influence régionale de l’Iran perdure et la persistance du Hamas montre les limites des campagnes militaires d’Israël, tandis que le Yémen a prouvé sa capacité à perturber le transport maritime mondial.

Les médias grand public amplifient les déclarations de triomphe stratégique, mais la réalité est bien plus sévère : l’armée israélienne, autrefois mythifiée, apparaît aujourd’hui à la fois brutale et très inefficace, son aura d’invincibilité a volé en éclats sur la scène mondiale.

Ce constat va au-delà du champ de bataille. Les échecs de l’armée – son incapacité à anticiper les menaces ou à obtenir des résultats décisifs – se répercuteront lentement dans la société israélienne, révélant des tensions qui couvaient depuis longtemps.

Les retards dans la conclusion d’un cessez-le-feu, la priorité accordée à l’expansion des colonies plutôt qu’au retour des prisonniers, pour satisfaire de nombreuses forces d’extrême-droite, et le refus des Haredim de s’enrôler ont aggravé les fractures internes.

Ces tensions sont encore aggravées par les tentatives de redéfinir le cadre juridique de l’État et par les retombées économiques et sociales de la guerre.

Pour un État qui lie sa survie à la domination militaire, ces brèches dans l’union après la guerre révèlent ses limites. La société israélienne devra désormais faire face à ses crimes, à ses succès et à sa nouvelle image dans le monde.

Bientôt une guerre civile israélienne ?

La réussite la plus exceptionnelle d’Israël n’est pas d’avoir remporté une victoire, mais d’avoir fait preuve d’une dévastation implacable, d’une capacité de destruction à une échelle inédite.

Cette obsession pour la destruction, aux dépens de sa sécurité, souligne les limites auxquelles Israël est prêt – et autorisé – à aller. C’est dans ce paradoxe que réside son échec le plus profond : l’effondrement de sa narrative éthique et l’érosion de sa légitimité morale aux yeux du monde.

Le cessez-le-feu révèle en outre une méfiance croissante à l’égard de l’engagement de maintenir la sécurité le long des frontières militarisées d’Israël, tant au nord qu’au sud.

L’illusion d’une forteresse impénétrable s’érode, alors que les frontières restent instables et que les adversaires perdurent.

Les Israéliens qui vivent à la frontière sont contraints de faire face à une vérité troublante : les mécanismes conçus pour assurer leur sécurité ne sont plus suffisants, leur efficacité étant minée par les réalités persistantes de la résistance et de l’occupation.

Israël, tout aussi incapable d’éliminer les Palestiniens et/ou leurs revendications politiques que de les reconnaître, s’est condamné à une guerre perpétuelle.

Loin de refléter sa force, cette situation met en évidence la dépendance aiguë d’Israël à l’égard de son protecteur impérial, dont le soutien indéfectible est devenu plus indispensable que jamais pour maintenir sa suprématie, conjuguée avec un discours racialisé, dans la région.

L’addiction à la guerre maintient Israël sur une voie qui n’offre ni résolution du conflit, ni réconciliation, seulement la persistance de ses contradictions et du rôle qu’il joue dans la définition des bornes de l’inhumanité au XXIe siècle.

Israël sort de cette guerre avec un environnement stratégique modifié, certains de ces changements joueront en sa faveur et lui permettront de gagner du temps. Mais il a également perdu beaucoup sur le plan moral, politique et du fait de ses propres querelles sociales et politiques.

La Résistance et les questions de futilité et d’efficacité

Le discours palestinien entourant le Tufan al-Aqsa (Déluge d’Al-Aqsa) est pris au piège d’une approche binaire rigide de la victoire et de la défaite, réduisant la percée du 7 octobre à travers le mur de Gaza à un froid calcul d’avantages et d’inconvénients.

Ce cadre dominant, imprégné de la logique utilitaire, fait de la Résistance une simple question de fins et de moyens, la coupant ainsi de ses racines historiques et existentielles.

En réduisant la question à une question tactique – Tufan a-t-il atteint ses objectifs ? – on occulte la dialectique plus profonde de nécessité et de stérilité qui hante les délibérations palestiniennes.

Cette dialectique n’oscille pas simplement entre la capacité d’action et le désespoir, elle révèle le piège systémique dans lequel est enfermé la Résistance, qui émerge comme un défi au colonialisme, tout en restant piégée par les structures mêmes qu’elle cherche à démanteler.

Les détracteurs de la résistance à Israël utilisent ce piège pour la condamner. Selon eux, la résistance fait partie intégrante de la machine coloniale à laquelle elle s’oppose, elle est inévitable mais tragiquement dépourvue de toute capacité à faire évoluer la situation.

La résistance palestinienne donne au monde une leçon de courage et de persévérance

Selon cette façon de voir, la résistance n’a qu’un seul pouvoir, celui de s’étendre et de s’affirmer. Pour certains Palestiniens, Tufan n’est qu’une opération stérile, inutile.

En 15 mois de guerre, les voix de ceux qui remettent en cause la nécessité de la résistance et son efficacité ont appelé le Hamas à rendre les armes et à implorer la clémence.

Nombre d’entre eux ont affirmé qu’Israël ne céderait pas, ne libérerait pas les prisonniers palestiniens et poursuivrait la guerre jusqu’à ce qu’il ait chassé les Palestiniens de Gaza ou annexé le territoire pour y implanter des colonies.

Si l’accord de cessez-le-feu n’exclut pas une reprise de la guerre et de tout le processus, le retour des Palestiniens du sud au nord de Gaza et le retrait partiel des troupes israéliennes reflètent l’étendue et la portée des concessions israéliennes.

Ces concessions sont intervenues au cours d’une semaine particulièrement difficile pour les troupes israéliennes, avec pas moins de 15 soldats tués dans toute la bande, y compris dans le nord de Gaza.

En d’autres termes, le fait même qu’un accord de cessez-le-feu ait été conclu – un cessez-le-feu qui atténue certaines des pires angoisses des Palestiniens – bouleverse la logique de ceux qui prônent la futilité de la résistance, mais pas entièrement. Il révèle qu’Israël, malgré ses projets de nettoyage ethnique à Gaza, a été contraint de céder.

La résistance perdure, le Hamas reste fermement au pouvoir, et même s’il devait abdiquer, cette abdication devrait passer par le Hamas lui-même.

Alors que l’avenir reste incertain et fragile -l’accord peut être rompu à tout moment et la menace d’une reprise de la guerre plane – son existence même donne tort aux Palestiniens qui insistent sur la futilité de la résistance.

Dans les semaines à venir, les prisonniers palestiniens quitteront les prisons israéliennes et les personnes déplacées au sud de Gaza retourneront au nord. Israël a mené une guerre punitive, mais il a aussi atteint une limite, démontrant que la question palestinienne persiste malgré la violence monstrueuse qu’Israël a déployée dans cette guerre.

Le projet de libération et le bilan existentiel

Depuis le début de la guerre, une vague d’intellectuels palestiniens et arabes ont invoqué la tradition de l’autocritique, une tradition profondément enracinée dans l’expérience intellectuelle arabe, en particulier depuis la Nakba ou guerre de 1948, et plus tard de l’Al-Naksa ou guerre de 1967.

Ce moment de réflexion, qui émerge avec une rapidité confinant à l’urgente, s’appuie sur une tradition critique forgée dans l’ombre de la défaite.

Pourtant, cette autocritique semble porter en elle un paradoxe intrinsèque : la défaite, tant dans sa réalité matérielle que dans son poids symbolique, n’est plus seulement un résultat, mais est devenue le cadre, la lentille même à travers laquelle le moi collectif perçoit son existence.

Le moi collectif devient ainsi à la fois le sujet et l’objet d’un questionnement incessant, un questionnement qui prétend détecter les « illusions » qui obscurcissent la réalité ou empêchent la réalisation de quelque chose de plus « pragmatique ».

Il s’agit d’abord, apparemment, d’une entreprise thérapeutique, un moyen de faire face au fardeau d’aspirations inadaptées.

Pourtant, la récurrence d’affirmations telles que « Tout ce en quoi nous avons cru s’est effondré, tout ce que nous avons espéré a échoué, tout ce dont nous avons rêvé s’est évanoui » révèle que cette remise en question n’a pas seulement touché des stratégies ou des tactiques, mais qu’elle a plongé plus profondément, dans l’essence même de la résistance.

En d’autres termes, elle est passée de l’autocritique à l’autolacération.

Il ne s’agit pas d’une simple critique, mais d’une remise en question existentielle, d’un discours qui redéfinit la relation entre l’espoir et le désespoir, entre l’action et le sens.

Le questionnement ne vise pas à affiner les tactiques mais à déstabiliser les bases de la résistance, en soulevant un spectre bien plus inquiétant : le projet de libération est-il devenu prisonnier de l’absurdité de sa propre lutte ? Ses contradictions ont-elles dépassé la capacité de l’histoire à les résoudre ou à les contenir ?

Ce n’est pas le 7 octobre, ni une autre date en cause aujourd’hui, mais 1948

C’est cette dialectique qui a conduit certains à prôner le retrait, à dire : « Concentrons-nous sur la construction du Liban » ou « Signons notre propre accord d’Oslo et allons de l’avant ».

Ces appels, empaquetés dans le langage de la rationalité, masquent un abandon non seulement du territoire, mais aussi de la résistance même.

Au fond, la résistance ne peut être réduite à ses dimensions tactiques ou stratégiques. Il ne s’agit pas seulement de s’affronter sur le champ de bataille, mais de bouleverser des certitudes ontologiques du colonisateur.

Le but de la résistance est de forcer le colonisateur à affronter des questions qu’il ne veut pas se poser : Son pouvoir peut-il réellement garantir une résolution du conflit ? Les massacres peuvent-ils mettre fin au conflit ou creusent-ils l’abîme ?

La résistance oblige le colonisateur à se confronter à sa propre contingence, à reconnaître la fragilité de structures qu’il croyait inattaquables. En ce sens, le champ de bataille n’est pas seulement un espace de pure violence, mais aussi un espace d’interrogation – un lieu où la souveraineté du colonisateur peut être mise en doute.

En d’autres termes, l’objectif de la résistance est de forcer l’ennemi à se remettre en question.

L’une des questions que soulève cette période est celle de savoir si Israël affrontera ces problématiques ou restera enivré par son propre pouvoir. S’interrogera-t-il sur l’étendue de sa dépendance à l’égard des États-Unis ? Admettra-t-il qu’il est insoutenable de contrôler le destin d’un autre peuple ?

Et après avoir employé les moyens les plus extrêmes et tenté d’effacer les Palestiniens pour mettre fin au conflit, se contentera-t-il de gagner du temps ou choisira-t-il une autre voie ?

Si cette question reste ouverte, les tendances fascistes de ses principales forces motrices semblent indiquer qu’Israël choisira de jouer son avenir sur un monde ressemblant à son arrangement actuel pour les Palestiniens : murs, apartheid, déportations, exploitation des travailleurs sans papiers, suprématie ethno-religieuse, et un déchainement de violences monstrueuses.

Mais cela n’enlève rien au fait que le désir de victoire totale d’Israël a atteint sa limite malgré son exceptionnalisme, et que la narrative de la victoire suffisante ne signifie que la poursuite de la guerre par d’autres moyens.

L’effritement de l’exceptionnalisme israélien

La guerre a mis à nu la faillite morale des États-Unis, la suprématie raciale d’Israël, sa monstrueuse capacité de destruction et la structure complexe de son gigantesque investissement idéologique, psychique et politique dans une œuvre d’annihilation et de domination.

Ce n’est pas un simple conflit armé, mais une révélation des mécanismes qui soutiennent et perpétuent la machinerie de la violence.

La guerre a révélé l’exceptionnalisme d’Israël, non seulement parce qu’il a joui d’une totale impunité, non seulement parce que la dissidence a été réduite au silence et réprimée en Europe et en Amérique du Nord, ainsi qu’au sein des institutions universitaires ou des médias grand public, mais aussi parce qu’il a eu l’impudence éhontée de commettre ses crimes en direct.

Chez les Palestiniens, ce traitement d’exception suscite beaucoup d’amertume et il est considérée comme une force israélienne. Après tout, Israël est présenté comme un État qui peut s’en tirer à bon compte, une injustice aussi douloureuse que la violence elle-même.

Pourtant, c’est précisément ce traitement exceptionnel et la répression de toute critique, qui attirent l’attention sur l’État suprématiste juif et colonisateur et entraîne son effritement.

Cela ne concerne pas seulement les Palestiniens ; c’est un appel urgent à un changement radical d’attitude vis-à-vis d’Israël, non seulement en Palestine mais dans le monde entier.

Cela restera l’horizon perpétuel de Tufan, longtemps après que les armes se soient tues – et, de manière plus large et plus profonde, cela restera toujours l’horizon de la Palestine.

17 janvier 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

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