Cisjordanie : la violence et l’incertitude sont devenues la norme

Par Qassam Muaddi

Les Israéliens ont massacré 55 Palestiniens après un mois d’offensive continue du « mur de fer » en Cisjordanie. Les meurtres, les déplacements massifs et l’incertitude sont devenus la nouvelle norme.

L’attaque israélienne en cours en Cisjordanie, baptisée « Opération Mur de Fer », a coûté la vie à quatre autres Palestiniens au cours de la semaine dernière, portant à 55 le nombre total de Palestiniens tués depuis le 21 janvier.

L’offensive, qui a débuté à Jénine et s’est étendue au reste du nord de la Cisjordanie, y compris Tulkarem, Tubas et leurs environs, est la plus importante offensive israélienne contre des villes palestiniennes en Cisjordanie depuis la deuxième Intifada, il y a plus de 22 ans.

Israël l’a lancée immédiatement après l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu à Gaza, alors que des politiciens et des médias israéliens d’extrême droite appelaient à « transférer la guerre en Cisjordanie ».

L’escalade israélienne en Cisjordanie est également intervenue après les déclarations du ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, partisan de la ligne dure et responsable de l’administration israélienne de la Cisjordanie, selon lesquelles 2025 sera l’année de l’annexion de la Cisjordanie par Israël.

Smotrich est resté au gouvernement de Netanyahu bien qu’il se soit opposé à l’accord de cessez-le-feu à Gaza. Selon des informations israéliennes, l’offensive en Cisjordanie était un marchandage au bénéfice de Smotrich en échange de son abstention de démissionner en signe de protestation contre l’accord de cessez-le-feu, ce qui aurait provoqué l’effondrement de la coalition gouvernementale du Premier ministre Netanyahu.

Alors que le ministre israélien de la Guerre, Israel Katz, a déclaré à plusieurs reprises qu’Israël continuerait d’étendre l’offensive actuelle au reste de la Cisjordanie, l’augmentation du nombre de victimes et les déplacements massifs de population des zones ciblées font désormais partie de la vie quotidienne des Palestiniens.

Cette réalité s’est de plus en plus imposée comme une nouvelle normalité, apparemment en prévision de l’imminente annexion de la Cisjordanie par Israël.

Quatre Palestiniens assassinés en une semaine

Mercredi, le Bureau de liaison civil palestinien, l’organe de l’Autorité palestinienne chargé de coordonner les affaires civiles avec l’occupation israélienne, a annoncé la mort de trois Palestiniens tués par des tirs israéliens dans le camp de réfugiés de Nur Shams à Tulkarem, où l’offensive israélienne se poursuit depuis 23 jours.

Les martyrs ont été identifiés comme étant Jihad Masharqa, 40 ans, Khaled Amer, 23 ans, et Ghassan Abu Abed, dont l’âge n’a pas été précisé. L’armée israélienne a confisqué les corps des trois hommes, selon le coordinateur civil palestinien.

Vendredi, les forces israéliennes ont assassiné Adel Bishkar, 19 ans, lors d’un raid dans la partie est de la ville de Naplouse. Le Croissant-Rouge palestinien a déclaré que Bishkar avait été touché par une balle réelle dans la poitrine lors du raid et avait été transféré à l’hôpital, où son décès a été constaté par la suite.

Mercredi dernier, les forces israéliennes ont tué Abdallah Froukh, 19 ans, dans la ville de Sa’ir près d’Hébron. Mercredi également, l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) a déclaré que les forces israéliennes avaient utilisé un centre de santé appartenant à l’agence comme centre de détention et d’interrogatoire, lors d’un raid sur le camp de réfugiés d’al-Arroub, au nord d’Hébron.

À Jénine, où l’offensive israélienne a débuté, le Comité des médias du camp de réfugiés a déclaré vendredi que l’armée israélienne avait forcé 20 000 Palestiniens à quitter leurs maisons.

Ce nombre représente la moitié des Palestiniens qui ont été déplacés de force par Israël depuis le début de l’offensive du « mur de fer », qui, selon l’UNRWA, concerne 40 000 Palestiniens.

Le Comité des médias a également déclaré que les forces israéliennes avaient détruit 470 structures dans le camp, mené 153 raids dans les maisons et lancé 14 frappes aériennes. Selon le Comité, les forces israéliennes continuent de couper l’eau à 35 % de la ville de Jénine, y compris le camp de réfugiés et quatre hôpitaux.

« Nous sommes tous touchés »

L’impact du déplacement massif des Palestiniens des camps de réfugiés a atteint le reste des communautés de la région. À Tulkarem, l’armée israélienne a déplacé de force au moins 3000 Palestiniens du camp de réfugiés de Tulkarem, soit un tiers de la population du camp, avant d’étendre sa campagne à l’autre camp de réfugiés de la ville, Nur Shams.

« Le logement et l’aide aux personnes déplacées sont devenus le plus grand défi auquel la ville est confrontée », a déclaré à Mondoweiss Momen Hamed, membre de l’Association des jeunes de Jadayel à Tulkarem qui s’occupe d’aider les personnes déplacées des camps.

« Nous devons travailler 24 heures sur 24 pour assurer un logement à chaque famille déplacée et fournir des repas à des milliers de personnes qui ont perdu leur maison. Malgré les 250 bénévoles qui travaillent avec nous, nous manquons toujours de personnel », a expliqué Hamed.

« Le problème, c’est que toute l’économie de la ville a été touchée. Le commerce est presque mort et les gens peuvent à peine aller travailler à cause de l’assaut militaire continu des forces d’occupation. En conséquence, les gens ont moins de ressources pour aider les personnes déplacées, et notre travail en tant que membres de la société civile devient beaucoup plus difficile. »

L’offensive israélienne a paralysé la vie quotidienne dans le reste de la Cisjordanie, les forces israéliennes ayant imposé 900 points de contrôle et barrages routiers, divisant la population palestinienne de Cisjordanie en quelque 300 zones séparées.

Le bouclage des points de contrôle est devenue une routine quotidienne dans des centaines d’endroits à travers la Cisjordanie, s’accompagnant de longues files d’attente, de fouilles minutieuses, d’agressions physiques et de kidnappings.

« L’occupation impose une réalité localisée et fragmentée, au point que si l’armée d’occupation fait une descente dans un quartier situé à seulement dix minutes, nous avons l’impression qu’il est loin », a déclaré Nisreen Ghazal, habitante de Naplouse et propriétaire d’une entreprise dans la ville, à Mondoweiss.

« Dimanche dernier, lorsque l’occupation a attaqué Naplouse, tout s’est passé à 500 mètres de l’endroit où se trouve mon entreprise, mais la zone a été complètement bouclée et la vie dans ma partie de la ville s’est poursuivie normalement. »

« Cependant, nous sommes tous touchés », a-t-elle déclaré. « Moi, par exemple, je gère une cuisine et j’enseigne la cuisine, et beaucoup de mes élèves qui viennent de l’extérieur de la ville n’ont pas pu venir ce jour-là. Avant cette offensive, nous vivions notre vie tout à fait normalement, sauf lorsqu’il y avait un raid dans la ville. Maintenant, nous devons constamment nous tenir au courant des endroits où les raids ont lieu et des points de contrôle qui sont ouverts ou fermés. Nous passons plus de temps à faire cela qu’à vivre nos vies », a-t-elle déploré.

Parallèlement, les colons israéliens ont poursuivi leurs attaques contre les communautés rurales palestiniennes en Cisjordanie. Rien que lundi matin, des groupes de colons israéliens ont attaqué trois villages palestiniens dans le gouvernorat de Naplouse : Jourish, Aqraba et Duma.

À Jourish, des Palestiniens ont rapporté que des colons avaient pris d’assaut le village et jeté des pierres sur les maisons, brisant plusieurs fenêtres. Aucune victime n’a heureusement été signalée.

À Aqraba, des colons ont attaqué un agriculteur palestinien, l’ont tabassé et ont volé plusieurs moutons qu’il gardait, selon des informations locales. À Duma, des colons ont endommagé un poulailler et brisé les fenêtres d’une maison.

Selon la Commission de résistance au mur et aux colonies de peuplement palestiniennes, la branche officielle de l’Autorité palestinienne qui surveille les activités d’implantation de colonies et d’accaparement de terres par Israël, les colons israéliens ont mené 375 attaques contre des communautés palestiniennes au cours du seul mois de janvier.

Il s’agissait notamment d’attaques armées, d’accaparements de terres, d’agressions physiques et de destruction de récoltes et de biens.

La semaine dernière, un rapport du Centre Badil pour les droits des réfugiés, basé à Bethléem, a déclaré que l’objectif de l’offensive israélienne actuelle en Cisjordanie était de « démanteler les camps de réfugiés » en Cisjordanie et de « normaliser la présence israélienne » en « établissant un nouveau statu quo en Cisjordanie par des invasions et des raids qui incluent des destructions massives et des meurtres délibérés » – dans le but « d’accélérer une domination coloniale israélienne totale ».

Les forces israéliennes ont assassiné 2225 Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza depuis le début de l’année. Depuis le 7 octobre 2023, Israël a assassiné 911 Palestiniens en Cisjordanie.

Auteur : Qassam Muaddi

* Qassam Muaddi est un journaliste palestinien basé à Ramallah. Il couvre l’actualité palestinienne : événements politiques, mouvements sociaux, questions culturelles ... Il écrit pour les quotidiens libanais Assafir et Al Akhbar, les sites Middle East Eye, Mondoweiss et The New Arab, ainsi que pour les journaux électroniques palestiniens Metras et Quds News Network.
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18 février 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine