Par Jonathan Cook
La police israélienne a expulsé de force les Siyam de leur maison située au cœur de Jérusalem-Est occupée la semaine dernière, chapitre final de leur bataille juridique qu’ils mènent depuis 25 ans contre une puissante organisation de colons.
La défaite de la famille représente bien plus qu’une expulsion supplémentaire. Elle visait à porter un coup terrible aux espoirs de quelques 20 000 Palestiniens qui vivent à l’ombre des remparts de la vieille Ville et de la mosquée Al Aqsa.
Des dizaines de familles dans le quartier de Silwan ont subi le même sort que les Siyam, et les tribunaux israéliens ont déjà approuvé l’expulsion imminente de plusieurs centaines d’autres Palestiniens du site.
Mais, contrairement à ces familles, le malheur des Siyam a brièvement attiré l’attention du public. La cause en est que l’un d’entre eux, Jawad Siyam, est devenu une figure de proue des efforts de résistance de Silwan.
M. Siyam, travailleur social, mène la bataille contre Elad, groupe de colons fortunés, qui depuis le début des années 1990 œuvre à progressivement effacer l’identité palestinienne de Silwan pour en faire le parc archéologique de la Cité de David.
M. Siyam a servi de porte-parole, attirant l’attention sur la situation désespérée de Silwan. Il a aussi contribué à organiser la communauté, en créant des centres de jeunesse et culturels pour renforcer l’identité de Silwan et sa raison d’être face à l’oppression acharnée d’Israël.
Cependant, les Colons d’Elad ne veulent pas que Silwan soit renforcé, mais disloqué.
La mission d’Elad consiste à débarrasser Silwan de la communauté palestinienne pour mettre à jour les ruines en sous-sol de vestiges, qui sont, prétend-il, la preuve que le roi David y a fondé son royaume israélite il y a trois milles ans.
Les arguments rationnels historiques et archéologiques peuvent être obscurs mais la vision politique est claire. Il faut expulser de force les Palestiniens de Silwan considérés comme des squatters indésirables.
Un groupe israélien de défense des droits de l’homme, Peace Now, qualifie les plans pour la Cité de David de « transformation de Silwan en Disneyland de l’extrême droite messianique».
C’est le combat le plus inégalitaire qui soit – une histoire de David et Goliath, dans laquelle le géant trompe le monde et lui fait croire qu’il est la victime.
Il a opposé M. Siyam et d’autres résidents non seulement aux colons mais aussi aux gouvernements israélien et états-unien, à la police et aux tribunaux, aux archéologues, aux services d’urbanisme, aux responsables des parcs nationaux et aux touristes malgré eux.
Et, à cela s’ajoute le fait que les résidents de Silwan doivent mener la bataille à la fois en surface et en sous-sol.
Les murs et les fondations de dizaines de maisons se fissurent et s’effondrent parce que les autorités israéliennes ont permis à Elad de passer outre la réglementation normale de sécurité et d’excaver directement sous les maisons de la communauté. Plusieurs familles ont dû être évacuées.
A la fin du mois dernier Elad a de nouveau montrer ses muscles, cette fois en mettant la touche finale à son dernier projet touristique en date : un tunnel sous Silwan qui aboutit aux pieds d’Al Aqsa.
Au nom d’Elad, l’ambassadeur des Etats-Unis en Israël, David Friedman, et l’envoyé de Donald Trump au Moyen-Orient, Jason Greenblatt, ont abattu un mur symbolique massue en mains lors de l’inauguration du tunnel, qui a été rebaptisé Pilgrimage Road (route du pèlerinage).
Elad prétend, bien que de nombreux archéologues soient sceptiques, qu’à l’époque romaine le tunnel était une voie utilisée par les juifs pour monter vers un temple situé là où se trouve aujourd’hui le lieu saint islamique d’al Aqsa.
La participation à la cérémonie des deux représentants états-uniens, apporte une preuve supplémentaire que Washington met en pièces le règlement des négociations de paix, détruisant tout espoir que les Palestiniens auraient pu avoir à une époque d’un état indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale.
M. Friedman a qualifié le complexe de la Cité de David, au centre de la Jérusalem palestinienne occupée, de «composante essentielle du patrimoine national de l’Etat d’Israël». Y mettre un terme à l’occupation «reviendrait pour l’Amérique à rendre la Statue de la Liberté».
Tandis qu’Israël, soutenu par les Etats-Unis, détruit les fondations de Silwan, il domine également les airs au-dessus.
Le mois dernier l’organisme suprême d’urbanisme d’Israël a approuvé la construction d’un téléphérique entre le territoire israélien de Jérusalem-Ouest et le centre de Silwan.
Il va relier la Cité de David et un réseau de passerelles, de cafés et de tunnels touristiques, semblables à la Pilgrimage Road, tous gérés par les colons d’Elad, pour saucissonner Silwan.
Et pour signaler que le quartier est en train d’être repensé, la municipalité israélienne qui fait appliquer l’occupation de Jérusalem-Est a récemment rebaptisé plusieurs rues principales de Silwan d’après de célèbres rabbins juifs.
L’ancien maire Nir Barkat a déclaré que le but de tout ce développement consiste à amener 10 millions de touristes par an à Silwan pour qu’ils « comprennent qui est réellement le propriétaire de cette ville ».
Peu d’éléments extérieurs semblent y trouver à redire. Ce mois ci, Amnesty International a interpellé le site de tourisme en ligne Tripadvisor parce qu’il recommande la Cité de David comme l’une des attractions principales à Jérusalem.
Et maintenant, Elad a frappé la famille de Jawad Siyam en vue de briser le moral de la communauté et anéantir son esprit de rébellion toujours vivant.
Comme il l’a fait pour de nombreux propriétaires de Silwan, Elad a mené une bataille juridique de plusieurs décennies contre la famille pour la ruiner et drainer son énergie.
Le sort des Siyam a finalement été scellé le mois dernier lorsque les tribunaux israéliens ont étendu à Silwan l’application d’une disposition législative draconienne, vieille de 70 ans, the Absentee Property Law (Loi sur les biens des absents).
La loi a été conçue tout spécialement pour voler les terres et habitations de 750 000 réfugiés palestiniens expulsés par le nouvel état d’Israël en 1948.
La maison des Siyam est la propriété conjointe des oncles et tantes de Jawad, dont certains sont qualifiés par Israël d’ «absents» parce qu’ils vivent désormais à l’étranger.
Il en résulte qu’un fonctionnaire israélien ayant le titre de Gardien de Biens de Propriétaire Absent a revendiqué la propriété de parties de la maison appartenant à ces membres de la famille, et, au mépris de ses obligations au regard du droit international, les a vendues à Elad. La police a expulsé la famille sous la menace des armes la semaine dernière.
Comme si cela ne suffisait pas, le tribunal a également approuvé la saisie par Elad de l’argent collecté par plus de 200 militants pour la paix israéliens grâce à un financement participatif dans le but d’aider les Siyams à financer leurs frais juridiques.
Des Palestiniens comme Jawad Siyam existent partout dans les territoires occupés, des hommes et des femmes qui ont donné aux Palestiniens un sentiment d’espoir, de détermination et de fermeté face à la machine de spoliation israélienne.
Lorsque Israël cible Jawad Siyam et lui brise le moral, il envoie un message sans équivoque, non seulement à d’autres Palestiniens mais également à la communauté internationale elle-même, signifiant que la paix ne fait pas partie de son ordre du jour.
Auteur : Jonathan Cook
16 juillet 2019 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB