Par Basil al-Adraa
Israël facilite l’appropriation de nos terres par les colons. Pendant ce temps, les Palestiniens qui vivent ici depuis des générations sont attaqués et expulsés.
Lundi soir dernier, j’ai reçu un appel téléphonique d’un ami. « Deux gros camions viennent de me dépasser, » me dit-il. « Ils transportaient des caravanes. Ils viennent de passer par la route en contrebas de chez toi. »
Je vis dans une communauté palestinienne du nom de A-Tawani, sur les collines du sud d’Hébron. Après l’appel de mon ami, j’ai sauté dans ma voiture pour aller à la recherche des camions. J’ai roulé jusqu’à ce que je les trouve, et les ai suivis, voulant comprendre ce qui se passait.
Je me suis dit qu’ils devaient aller installer les caravanes dans un nouvel avant-poste de colons qui avait été construit à proximité ces dernières semaines, en face de la colonie de Ma’on. Mais ils ne s’y sont pas arrêtés et se sont dirigés vers le sud. Je pensais qu’ils laisseraient les caravanes à la colonie Mitzpe Yair, mais ils ne sont pas non plus arrêtés là et ont poursuivi plus au sud. Je les ai suivis, essayant de deviner leur destination.
Ce qui s’est produit ensuite m’a alors pris par surprise. Les camions sont entrés dans le South Hebron Hills Regional Council (le Conseil régional des collines du sud d’Hébron), le centre administratif municipal des colonies locales. J’ai trouvé ça bizarre. Pourquoi amèneraient-ils des caravanes là ? Ils y ont déjà construit des maisons en béton et en pierre.
Puis le lundi, j’ai reçu un appel d’un berger palestinien, Saleh Awad qui vit près du conseil régional. « Des colons sont venus dans notre communauté, et ils sont en train de nous chasser violemment moi et mon troupeau, comme je te parle, » me dit-il. « Et quand je vais à mon puits, il y a des colons là, qui me repoussent. Je ne peux pas utiliser l’eau. »
Saleh était complétement bouleversé. « Viens, s’il te plait, » me demanda-t-il, « nous irons ensemble à la nouvelle colonie. C’est de là qu’ils viennent. Mon frère y est déjà, ainsi que l’armée, l’Administration civile [la branche de l’armée israélienne qui administre la vie quotidienne des Palestiniens en Cisjordanie occupée], et les colons aussi. Nous avons besoin … »
« La nouvelle colonie ? » dis-je, l’interrompant. « De quoi tu parles ? »
« Oui, il y a une semaine, ils ont amené des caravanes et les ont installées sur une colline près de chez nous. Ils ont installé une nouvelle colonie, » répondit Saleh.
J’ai aussitôt compris qu’il s’agissait des caravanes que j’avais vues stationnées au conseil régional.
Lorsque je me suis rendu avec Saleh au nouvel avant-poste, où les caravanes étaient en effet installées, j’ai compris que les autorités israéliennes étaient en train d’y construire une nouvelle ferme. Le frère de Saleh, des soldats, des membres de l’Administration civile, et des colons se tenaient tous là sur une nouvelle route asphaltée qui relie le nouvel avant-poste au conseil régional. La route passe sur des terres agricoles palestiniennes privées dont les gens tirent leur subsistance.
Un représentant de l’Administration Civile a dit aux propriétaires terriens palestiniens qui étaient venus au nouvel avant-poste : « Cette terre est la vôtre. Les colons n’ont pas le droit d’y entrer ou de vous en expulser. »
Un câble électrique et une canalisation d’eau étaient enterrés dans le sol reliant l’avant-poste au réseau électrique et hydraulique du Conseil Régional des Collines du Sud d’Hébron.
C’est ainsi que cela se passe. Des colons amènent des caravanes et prennent possession des terres avec facilité. Avant même qu’ils ne s’installent, ils ont leur propre route asphaltée et le raccordement à l’eau et à l’électricité, avec le soutien du conseil régional.
L’Administration civile, celle-là même qui détruit nos foyers, nos pâturages, et nos puits toutes les semaines, ferment les yeux. La même Administration civile qui depuis des années empêche des dizaines de milliers de Palestiniens vivant sur notre terre privée dans la zone C de Cisjordanie, de se raccorder au réseau d’eau et d’électricité, ou de paver une route. La même Administration civile qui refuse de préparer des plans directeurs pour nos communautés et rejettent toutes nos demandes de permis de construire au motif que « nous n’avons pas de plan d’ensemble. »
Quand j’ai vu ce nouvel avant-poste, j’ai ressenti l’ampleur de l’injustice. J’ai tout de suite pensé à mon ami, Haroun Abu Aram. Haroun, qui a grandi dans une communauté voisine, gît paralysé sur un lit d’hôpital à Hébron. Sa maison a été démolie il y a six mois, et le jour de son anniversaire le 1ier janvier, il a commencé à construire une maison en tôle. Des soldats sont arrivés et l’en ont empêché par la force. Ils ont confisqué son générateur. Lorsqu’une bagarre a éclaté l’un des soldats lui a tiré dans le cou.
Je me suis remémoré Haroun en contemplant le nouvel avant-poste. J’ai pensé à la façon dont l’armée nous empêche de faire quoi que ce soit, et pourtant quand un colon arrive, elle lui accorde l’accès à l’eau et à l’électricité. Elle leur fournit aussi un groupe de soldats qui gardent l’avant-poste 24h sur 24. Et quand il se déplace pour attaquer des Palestiniens qui viennent s’occuper de leur terre, sur laquelle le colon a bâti son avant-poste, les soldats disparaissent soudainement.
Une loi fondée sur le racisme et la suprématie
Cette pratique d’installer un avant-poste sur des terrains de l’état et ensuite d’expulser les Palestiniens de leur terre se produit partout en Cisjordanie occupée.
Le mois dernier, des colons de l’avant-poste Mitzpe Yair ont attaqué avec une barre de fer un Palestinien qui était venu sur sa terre située à proximité. Ils lui ont fracturé la mâchoire. Il y a quelques jours, des colons de la ferme Talia ont ouvert le feu sur un Palestinien qui pénétrait sur sa terre.
Ceci ne laisse pas grand choix aux Palestiniens qui vivent près des avant-postes. Beaucoup d’entre eux partent pour la ville après avoir été forcés de quitter leur terre à cause de la violence des colons et de l’armée. Ils perdent leur moyen de subsistance parce qu’il est impossible d’être berger ou fermier en ville. Ils sont obligés de chercher, souvent en vain, un autre moyen de gagner leur vie. Ils deviennent réfugiés.
Ce matin-là, alors que je me tenais devant l’un des avant-postes, un colon est sorti de l’une des caravanes avec un chien. Je l’ai immédiatement reconnu. C’est le même colon qui vit dans l’avant-poste Havat Ma’on, qui a été construit sur les terres de ma communauté. C’est le même colon qui, en novembre 2019, m’a attaqué avec son chien et m’a blessé à la main. Cela s’est produit pendant que j’enregistrais l’attaque d’une famille palestinienne qui récoltait des olives. Lui et cinq autres colons jetaient des pierres sur la famille. Alors que je filmais l’attaque, le chien m’a mordu la main après que le colon l’eut lâché sur moi.
La police est arrivée sur les lieux quelques minutes plus tard. Alors qu’ils n’ont pas arrêté le colon, ils ont détenu mon père pendant une heure parce qu’il leur avait crié d’arrêter le colon qui m’avait attaqué.
Quelques jours plus tard, je me rendais au commissariat de police avec l’enregistrement de l’attaque. J’ai déposé une plainte contre le colon, mais quand je suis venu pour témoigner, la police s’est retournée contre moi, me demandant pourquoi j’étais sur les lieux de l’attaque pour commencer, et pourquoi il y avait des bénévoles israéliens avec moi.
Plus d’un an s’est écoulé et la police n’a pas donné suite à ma plainte. Le colon n’a jamais payé pour l’attaque dont il était coupable, et maintenant les autorités lui ont construit une nouvelle ferme. Il continuera d’attaquer des Palestiniens sans en payer le prix, comme il a attaqué Saleh et sa famille. Voici la loi sous laquelle nous vivons – le genre de loi qui sert les forts et piétine les faibles. Une loi fondée sur le racisme et la suprématie.
Cette loi a pour objectif de s’emparer de notre terre, de nous faire quitter le secteur. Pourquoi ceux qui ont perpétré la Nakba en 1948 et la Naksa en 1967 auraient-ils une raison de s’arrêter en 2021 ?
Basil al-Adraa est un militant et photographe du village de a-Tuwani dans les collines du sud d’Hébron.
9 avril 2021 – +972 Magazine – Traduction: Chronique de Palestine – MJB