Par Jonathan Cook
On ne peut pas vraiment blâmer Israël pour cela. La plupart des Etats promeuvent leurs intérêts du mieux qu’ils peuvent. Mais on peut et doit exposer et faire honte aux politiciens britanniques qui collaborent avec Israël pour nuire davantage à la démocratie représentative de la Grande-Bretagne.
Ce n’est pas comme si ces personnes ne pouvaient pas être facilement identifiées. Ils annoncent même ce qu’ils vont faire. Ils sont membres du groupe parlementaire des Amis conservateurs d’Israël et des Amis travaillistes d’Israël. Ils dominent les deux partis du Parlement, mais surtout les conservateurs. Selon les chiffres des Amis conservateurs d’Israël, 80% des députés conservateurs appartiennent au groupe des Amis d’Israël du parti.
Jadis, personne n’aurait hésité à appeler les politiciens britanniques agissant dans l’intérêt d’une puissance étrangère, et obtenant très probablement des avantages financiers pour le faire, des « traîtres ». Et pourtant, comme le montrent les vidéos secrètement filmées par Al Jazeera, les espions israéliens comme Shai Masot peuvent facilement rencontrer et conspirer avec le proche assistant d’un ministre conservateur pour discuter de la meilleure façon de « faire tomber » le ministre adjoint des Affaires étrangères, Alan Duncan, à cause de ses critiques contre les colonies illégales d’Israël dans les territoires occupés. Maria Strizzolo, l’assistante du ministre de l’éducation Robert Halfon, suggère de façonner un « petit scandale » pour porter préjudice à Duncan.
Masot et les services de renseignement d’Israël ne peuvent pas influencer la politique étrangère britannique à travers le parti d’opposition travailliste, mais cela ne les empêche pas d’avoir aussi un vif intérêt pour les députés travaillistes. Masot est filmé en train de parler au Président des Amis travaillistes d’Israël, Joan Ryan, à propos de « beaucoup d’argent » – plus d’un million de livres sterling – qu’il a reçu du gouvernement israélien pour envoyer encore une autre brochette de députés travaillistes dans un voyage tous frais payés en Israël, où ils seront choyés, cajolés, et apprêtés par de hauts fonctionnaires israéliens pour qu’ils adoptent des positions pro-israéliennes encore plus extrêmes. Les Amis travaillistes d’Israël sont connus pour envoyer la plus grande proportion de députés en Israël dans ces genres de voyages.
Est-ce que cela a un effet sur la politique intérieure britannique ? Vous pouvez le parier ! Israël n’est pas un organisme de bienfaisance.
Un grand nombre de ceux qui ont rendu misérable la vie du leader travailliste Jeremy Corbyn font partie des Amis travaillistes d’Israël. Ce sont les mêmes députés qui ont fait tout un tapage sur une prétendue « crise d’antisémitisme » dans le parti travailliste – basée sur zéro preuve tangible – depuis que Corbyn est devenu le chef du parti. Suivaient-ils alors ce que leur dictait leur conscience ? Craignaient-ils vraiment qu’une épidémie d’antisémitisme ait soudainement frappé leur parti ? Ou jouaient-ils une politique profondément cynique pour évincer un leader qui soutient la justice pour le peuple palestinien et est considéré par le gouvernement de droite d’Israël, qui n’a aucun intérêt à faire la paix avec les Palestiniens, comme de mauvaises nouvelles pour Israël ?
L’enquête menée par Al Jazeera n’a pas encore été diffusée, et nous ne pouvons donc nous baser que sur les extraits publiés jusqu’à présent, soit par Al Jazeera elle-même, soit d’autres fuites de l’enquête fournies par le Mail dimanche.
Il vaut la peine d’écouter un ministre conservateur du gouvernement de David Cameron, qui nous a récemment quittés, qui s’exprime anonymement dans le Mail dimanche. Il/Elle nous avertit d’un double coup dur pour la politique du Royaume-Uni causé par Israël et ses partisans britanniques – et qui commence à se rapprocher des dommages causés au système politique des États-Unis par Israël.
Le gouvernement britannique biaise sa politique étrangère pour éviter de contrarier les donateurs juifs, dit-il/elle. Les députés, quant à eux, agissent comme des agents d’une puissance étrangère – à leur insu, suppose-t-il/elle généreusement – plutôt que des représentants du peuple britannique. Oubliez le droit international, ces politiciens ne promeuvent pas même les intérêts britanniques.
Voici ce que le/la ministre écrit :
La politique étrangère britannique est soumise à l’influence israélienne au cœur de notre politique, et les personnes en autorité ont ignoré ce qui se passe.
Pendant des années, les Amis conservateurs d’Israël et les Amis travaillistes d’Israël ont travaillé avec – et même pour – le gouvernement israélien et leur ambassade de Londres pour promouvoir la politique israélienne et contrecarrer la politique du gouvernement du Royaume-Uni et les actions des ministres qui tentent de défendre les droits des Palestiniens.
Beaucoup de pays essaient d’imposer leurs points de vue aux autres, mais ce qui est scandaleux au Royaume-Uni est que, au lieu d’y résister, les gouvernements successifs s’y sont soumis, ont pris l’argent des donateurs, et ont permis au trafic d’influence israélien de façonner la politique et même de déterminer le sort des ministres.
Même maintenant, si je devais révéler qui je suis, je serais soumis(e) à un barrage incessant d’injures et à une mise à mort politique. […]
Il semble maintenant clair que les membres des Partis conservateur et travailliste ont travaillé avec l’ambassade d’Israël, qui les a utilisés pour diaboliser et honnir les députés qui critiquent Israël ; une armée d’idiots utiles d’Israël au Parlement.
C’est quelque chose de politiquement corrompu et de diplomatiquement indéfendable. La conduite de certains députés doit être exposée au grand jour, de même que l’infiltration toxique et trompeuse de notre politique par les agents involontaires d’un autre pays. […]
Nous avons besoin d’une enquête complète sur l’ambassade d’Israël, les liens, les accès et le financement des Amis conservateurs d’Israël et des Amis travaillistes d’Israël.
Il est rare que je sois d’accord avec un ministre du gouvernement conservateur, mais une telle enquête ne peut pas être diligentée trop tôt.
Notez également que le fait qu’Al-Jazeera, plutôt que le quatrième pouvoir britannique, ait exposé les agissements d’Israël pour subvertir le système politique britannique constitue un acte d’accusation contre les médias du Royaume-Uni. Ce n’est pas comme si les journalistes de la BBC, du Guardian, du Times et du Mail n’avaient pas vu des ministres comme celui/celle citée précédemment se plaindre à eux durant des années au sujet des interférences en provenance d’Israël. Alors pourquoi n’ont-ils pas envoyé depuis longtemps des équipes d’infiltration pour exposer cette collusion entre Israël et les députés britanniques ?
Nous avons eu des semaines d’histoires sur les efforts supposés de la Russie et de Poutine pour subvertir l’élection américaine, sans encore le moindre soupçon d’aucune preuve, et sur la base d’une allégation centrale contre les Russes selon laquelle ils auraient compromis le résultat des élections en diffusant des informations véridiques sur des actes répréhensibles du Parti démocrate. Des diplomates russes ont été expulsés sur la base de ces affirmations infondées, et le Président Obama a promis d’autres mesures secrètes contre la Russie.
Ici, nous avons des preuves documentées que le gouvernement israélien complote secrètement avec des députés britanniques « amis » pour évincer un ministre du gouvernement britannique. Si ce n’est pas là de l’ingérence dans le système politique britannique, je ne sais pas ce qui en serait. Aurons-nous de même des semaines de couverture de cette histoire dans les médias au Royaume-Uni, ou sera-t-elle rapidement classée et oubliée ?
Et au-delà du renvoi de Masot, une quelconque action sera-t-elle exigée par le gouvernement britannique ? Cela semble peu probable. Le Ministère des Affaires étrangères a déjà publié une déclaration disant que, après le renvoi de Masot, il considérait l’affaire close.
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
8 janvier 2017 – Jonathan Cook – Traduction : Sayed Hasan