Par Yara Hawari
Il y a quarante-quatre ans aujourd’hui, la police israélienne assassinait six citoyens palestiniens d’Israël alors qu’ils protestaient contre l’expropriation par le gouvernement israélien de milliers d’hectares de terres palestiniennes en Galilée. Depuis lors, le 30 mars est commémoré comme le “Jour de la Terre” et est une date importante dans le calendrier politique palestinien.
Cette année, les Palestiniens célébreront le Jour de la Terre chez eux, confrontés à la pandémie de COVID-19 qui a placé une grande partie de la population mondiale sous contrôle et couvre-feu. Rester confinés dans leur domicile ou leurs villages et villes n’est pas une expérience inédite pour les Palestiniens, c’est peut-être la raison pour laquelle tant de personnes s’y sont si rapidement adaptées.
En effet, les Palestiniens de Cisjordanie sont confinés dans ce qui équivaut à des bantoustans reliés entre eux uniquement par des routes contrôlées par le régime israélien, tandis que leurs frères et sœurs à Gaza vivent dans une prison à ciel ouvert jugée “inhabitable” par les Nations Unies. La plupart des Palestiniens vivant de l’autre côté de la “Ligne verte” ont la citoyenneté israélienne, mais ils vivent néanmoins dans des ghettos urbains et ruraux.
Les Palestiniens sont également coupés de leurs frères et sœurs arabes, nombre d’entre eux étant empêchés de voyager à travers le monde arabe, soit parce que leurs documents d’identité ne leur permettent pas de le faire (dans le cas des Palestiniens de nationalité israélienne), soit parce qu’ils sont tout simplement interdits de voyager.
Dans le cadre de la réponse au COVID-19, le régime israélien a imposé encore plus de mesures restreignant les mouvements des Palestiniens. La ville de Bethléem a été mise sous verrouillage, tandis que les points de passage vers Gaza et la Cisjordanie ont été fermés. Il a également été demandé aux travailleurs palestiniens travaillant en Israël de rester pour une période indéterminée dans des logements de mauvaise qualité et insalubres, ou de renoncer à travailler [en Israël] et de rester en Cisjordanie.
L’Autorité palestinienne a imposé un couvre-feu et mis en place des points de contrôle entre les villages et les villes pour limiter la circulation des personnes. Les activités économiques ont cessé, à l’exception des supermarchés et des pharmacies.
Pendant ce temps, Israël poursuit ses pratiques illégales consistant à expulser les Palestiniens de leurs terres, exploitant pour ce faire le verrouillage imposé dans le cadre de la pandémie. À Jérusalem, où il y a un effort concerté de judaïsation dans les quartiers pour réduire le nombre d’habitants palestiniens, malgré l’épidémie les démolitions de maisons palestiniennes se poursuivent. Le régime israélien affirme que ces bâtiments sont illégaux pour justifier leur démolition, mais les Palestiniens se voient toujours refuser les permis de construire.
Les démolitions sont également utilisées comme méthode de punition collective des familles des prisonniers politiques palestiniens, en particulier en Cisjordanie. Au milieu de cette pandémie, cette pratique tout à fait cruelle et continue rend les appels des autorités israéliennes d’occupation à “rester chez soi” complètement absurdes.
De même, la construction de colonies de peuplement illégales à travers la Cisjordanie n’a pas cessé et il est à craindre que l’annexion de jure de nombreuses zones soit accélérée dans ces circonstances, d’autant plus que Benjamin Netanyahu est à nouveau appelé à diriger le prochain gouvernement.
Déjà, la semaine dernière, il y a eu trois cas dans lesquels des colonies israéliennes illégales ont rasé des terres palestiniennes, et il y a eu une augmentation globale des attaques contre des propriétés palestiniennes.
Plus tôt ce mois-ci, des Palestiniens du village de Beita près de Naplouse ont organisé un sit-in pour tenter de protéger les terres contre leur vol par les colons. Les forces d’occupation israéliennes sont sorties en force pour couvrir les actions des colons et, dans le même temps, ont tué le jeune Mohammed Hammayel, âgé de 15 ans, d’une balle dans la tête.
Beaucoup à l’intérieur de la Palestine historique craignent qu’Israël n’exploite l’épidémie de COVID-19 comme excuse pour laisser en place de nouvelles mesures restrictives même après la fin de la pandémie, empêchant ainsi les Palestiniens de résister au vol de leurs terres. À une époque où le monde se concentre uniquement sur la pandémie et où le régime israélien a le plein soutien de l’administration américaine dans tout ce qu’il entreprend, l’expansionnisme agressif israélien semble inévitable.
Pourtant, au cours des décennies, les Palestiniens ont fait preuve d’une force, d’un courage et d’un sumud (constance) incroyables face à une grande adversité. Si l’expansionnisme colonial des colons israéliens ne connaît aucune pause, la persévérance palestinienne non plus. Comme l’a écrit le poète palestinien Tawfiq Ziyad:
A Lidda, à Ramla, en Galilée,
nous resterons
comme un mur posé sur ta poitrine,
et au fond de ta gorge
comme un éclat de verre,
une épine de cactus…
et dans tes yeux
une tempête de sable !
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
30 mars 2020 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine