Le mois dernier, lors de son sommet avec Trump, Angela Merkel a réitéré le ferme soutien de l’Allemagne à l’accord. Je me demande comment la France va réagir. Emmanuel Macron, qui a également eu un sommet avec Trump le mois dernier, a confirmé le soutien inaltérable de la France. Je me demande comment la Grande-Bretagne va réagir. Theresa May a qualifié l’accord de “vital” et le ministre britannique des affaires étrangères Boris Johnson est allé à Washington pour insister sur la nécessité de maintenir l’accord.
L’Allemagne et la France figurent parmi les dix principaux partenaires commerciaux de l’Iran (malgré les sanctions). Ils veulent accroître leurs échanges commerciaux avec la 27e économie mondiale, ainsi que leurs investissements. Avec son territoire immense, sa population instruite de 80 millions d’habitants, ses riches ressources naturelles et son ouverture aux capitaux étrangers, l’Iran apparaît comme une excellente opportunité d’investissement.
L’Allemagne représente 60 % des investissements de l’UE en Iran. Elle vend des machines, des métaux, des produits chimiques et des véhicules ainsi que des produits agricoles, et affiche un excédent commercial substantiel avec le pays. Ses investissements ont augmenté d’environ 25 % par an au cours des dernières années. Les capitalistes allemands attendaient cet accord avec impatience. En janvier, le constructeur automobile iranien Khodro a signé un contrat avec Daimler pour commencer à produire des voitures Mercedes-Benz en Iran cette année. C’est le genre de coopération que les États-Unis veulent maintenant empêcher, en décourageant le financement international et en appliquant des sanctions à ceux qui défient leurs objectifs géopolitiques. On peut s’attendre à voir monter en Allemagne le ressentiment à l’égard des États-Unis s’ils exigent que les capitalistes allemands se soumettent à la politique étasunienne en Iran et ailleurs.
Les frictions au sujet de la politique iranienne s’ajoutent aux difficultés que rencontre l’économie allemande à cause des sanctions contre de la Russie. Celles-ci ont été exigées par Washington en 2014, au prétexte d’une agression russe en Ukraine. (En vérité, un coup d’État soutenu par les États-Unis pour provoquer un changement de régime, l’adhésion à l’OTAN, l’expulsion de la Russie de ses bases navales historiques en Crimée et leur acquisition par l’OTAN a suscité une réaction prévisible de la Russie ; alors Washington a protesté, appliqué des sanctions et exigé de ses partenaires occidentaux qu’ils fassent de même).
Une étude de l’année dernière indique que les sanctions ont coûté quelque 65 milliards de dollars à la Russie, et que les contre-sanctions ont coûté aux États-Unis et à l’Europe plus de 50 milliards de dollars. 40% de ces pertes ont été des pertes allemandes.
Beaucoup d’Allemands influents s’opposent aux sanctions. L’ancien chancelier Gerhard Schröder (prédécesseur de Merkel pendant sept ans) s’oppose aux sanctions (et il dit même qu’il comprend pourquoi la Russie a repris la Crimée). Les ministres-présidents de Saxe-Anhalt et de Thuringe ont tous deux appelé à la fin des sanctions, qui sont particulièrement préjudiciables à leurs économies. La plupart des gens se rendent compte qu’elles ont été adoptées par l’UE sous la pression des États-Unis (avec l’aide du Royaume-Uni, le principal agent de Washington au sein de l’UE, qui en était encore membre), et qu’elles entraînent l’Union, à son corps défendant, vers une confrontation avec la Russie pour le compte des États-Unis.
Entre-temps, plusieurs guerres impérialistes au Moyen-Orient inondent l’Europe de réfugiés, en particulier l’Allemagne. C’est comme si les États-Unis exigeaient que l’Europe prenne en charge le coût humain de leurs interventions irresponsables et catastrophiques dans des régions voisines de l’Europe. (Nous, on les bombarde, et vous, vous vous en occupez ! Si vous ne voulez pas les accueillir vous n’avez qu’à construire des murs et mettre en prison les musulmans qui rentrent quand même !)
Comme les États-Unis s’opposent sérieusement au commerce (au “libre-échange”) entre l’Iran et l’Europe, exigeant de nouvelles “sanctions secondaires”, les tensions américano-européennes qui ont déjà atteint un niveau sans précédent (étant donné les décisions idiotes des États-Unis comme celles de quitter l’Accord de Kyoto et de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, sans parler du dégoût général que suscite la présence de Trump à la présidence étasunienne), les tensions entre les deux côtés de l’Atlantique vont probablement augmenter. Trump est déjà très impopulaire en Europe, et les sondages montrent que, pour la première fois, la plupart des Européens ont une vision des États-Unis plus négative que positive.
L’Italie et la Grèce achètent du pétrole brut iranien et soutiennent également le JCPA. En fait, tout le monde le soutient, sauf Binyamin Netanyahu (qui tient Trump par le bout du nez), Trump, le Congrès américain et les monarques sunnites férocement anti-chiites, notamment le roi Salman d’Arabie Saoudite. L’accord a été confirmé aux Nations-Unies par la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Si les États-Unis réussissent à le saboter (bien que cela soit sans importance*, selon Condi Rice), l’Europe sera furieuse. Il en sera de même pour la Russie et la Chine, qui approfondissent leurs liens avec l’Iran. La Chine est le premier ou le deuxième partenaire commercial de l’Iran, rivalisant avec les Émirats arabes unis. Elle a l’intention d’intégrer l’Iran au sein de la Compagnie de Shanghai.
En se retirant de l’accord, Trump s’aliène les entreprises européennes qui espéraient profiter d’un énorme gisement de nouvelles opportunités. Il contrarie la Russie et la Chine, même si les États-Unis ne pourront pas entraver leurs transactions commerciales dans la même mesure. Il contrarie l’Inde, un autre partenaire commercial iranien de premier plan, même si Trump a essayé, jusqu’à présent, de cultiver des liens avec le premier ministre Moti. Et aussi le Japon, qui achète du brut iranien (et qui était, jusqu’à ces dernières années, le premier partenaire commercial de l’Iran, avant d’être dépassé par la Chine).
Beaucoup de gens dans le monde se disent : “Ce crétin de président américain est en train de rompre avec le monde entier pour se plier à l’agenda anti-iranien belliqueux (changement de régime) de ce menteur de Netanyahu. Ce n’est pas bon pour le libre-échange, ni la paix dans le monde.” Téhéran bénéficiera de la sympathie du monde entier, et sera considéré (une fois de plus) comme une victime de l’intimidation américaine. Ce que Trump fait à l’Iran pourrait briser l’alliance atlantique. Ce serait une bonne chose. Il est temps que l’unilatéralisme “Choc et effroi”** de l’après-guerre froide cède la place à un monde multipolaire dans lequel des individus aussi dangereux que Trump et John Bolton ne pourront plus accéder au pouvoir.
* Gary Leupp est professeur d’histoire à l’Université de Tufts et occupe un second emploi au Département de religion. Il est l’auteur de Servants, Shophands and Laborers in in the Cities of Tokugawa Japan ; Male Colors : The Construction of Homosexuality in Tokugawa Japan ; et Interracial Intimacy in Japan : Western Men and Japanese Women, 1543-1900. Il a contribué à Hopeless : Barack Obama and the politics of illusion, (AK Press). On peut le joindre à l’adresse suivante : gleupp@tufts.edu
9 mai 2018 – CounterPunch – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet