Par Ramzy Baroud
Que la minuscule bande de Gaza soit l’étincelle qui a recentré les énergies de toute la région relève du miracle politique.
‘histoire ne pardonnera pas à ceux qui sont restés silencieux, ont exposé ou exprimé des positions « équilibrées » – ou pire, ont défendu le génocide israélien en cours dans une Gaza déjà assiégée, appauvrie et surpeuplée.
Il ne s’agit pas d’un poncif, ni d’une tentative désespérée visant à secouer le monde, en particulier le monde occidental, pour pour qu’il fasse preuve d’un certain degré de moralité alors que des Palestiniens meurent par milliers et que les corps pulvérisés d’enfants sont éparpillés dans tous les quartiers de Gaza.
Non, il s’agit d’histoire.
Après les attentats terroristes du 11 septembre, Washington et ses alliés occidentaux ont voulu imposer une nouvelle histoire au Moyen-Orient, en fait au monde musulman, une histoire dans laquelle l’Occident mène une « guerre civilisationnelle contre le terrorisme ».
Depuis, il a été affirmé à maintes reprises, explicitement ou pas, que les coupables, les « méchants » dans ce scénario étasunien, sont les musulmans – leur religion, leurs langues, leurs cultures, leur structure sociétale même.
En vérité, il n’y avait pas d’ennemi collectif. C’est pourquoi il a fallu l’inventer. Les musulmans n’étaient pas unis. Ils avaient leurs propres conflits régionaux, politiques et même sectaires. En fait, la plupart des gouvernements musulmans étaient considérés comme des « alliés des États-Unis », soumis aux diktats et aux programmes étasuniens, aussi destructeurs et violents soient-ils.
Dans ce monde imaginaire, le Moyen-Orient était composé d’« islamistes radicaux » qui, par pure « jalousie » à l’égard du progrès et de la civilisation occidentale, avaient signé un contrat social pour en finir avec la démocratie et les Lumières.
L’Occident, y compris Israël et de nombreux autres agents, ont sauté sur l’occasion. Ils ont tous voulu participer à cette « guerre contre le terrorisme » et aux nombreuses opportunités stratégiques qu’elle offrait.
Mais cette histoire a été fabriquée. Les Etats-Unis ont mené une guerre pour leurs intérêts égoïstes : pétrole, gaz, manœuvres stratégiques et grands enjeux géostratégiques.
Pendant ce temps, Israël se battait contre un mouvement de libération palestinien qui existait des décennies avant le 11 septembre, et qui continuera d’exister jusqu’à ce que les Palestiniens récupèrent et retournent dans leur patrie colonisée.
De nombreux chauvins et racistes occidentaux, qui se sont en fin de compte regroupés dans les formations d’extrême droite que nous connaissons aujourd’hui, ont utilisé l’Islam et les musulmans comme boucs émissaires pour justifier leur racisme inhérent, leur haine des immigrés et des réfugiés, et pour alimenter leur guerre politique contre les prétendus libéraux.
Ce dernier groupe ne s’en sort pas mieux. Les déclarations justifiant le génocide israélien à Gaza, prononcées par Joe Biden à Washington, par Emmanuel Macron à Paris, ou par Olaf Scholz à Berlin, se distinguent à peine de celles de n’importe quel idéologue fasciste dans leur propre pays ou ailleurs.
Telle est l’inconfortable vérité à laquelle Etasuniens et Occidentaux, en général, doivent désormais faire face. Leur guerre idéologique interne n’est qu’une farce. Le libéralisme et le conservatisme n’ont de sens que s’ils sont mis à l’épreuve. Et l’ensemble de l’establishment occidental, avec ses diverses couleurs idéologiques – à quelques mineures exceptions près – a échoué au test moral sur la Palestine, et ce de manière lamentable.
Mais heureusement pour les Palestiniens, l’Occident n’a pas toutes les cartes en main. Du moins, plus maintenant. Nous ne sommes plus en 1990-91, ni en 2003, lorsque les États-Unis ont mené des guerres majeures au Moyen-Orient, largement incontestées, et ont été autorisés à remodeler la région selon leurs desiderata et ceux de Tel Aviv et Bruxelles.
Un nouveau Moyen-Orient est en effet en train d’émerger, et il promet d’être le pire cauchemar de Washington, car ceux qui se rangent derrière les Palestiniens ne sont plus liés par la race, la couleur ou la foi religieuse.
Un nouveau monde islamique est en train d’émerger, un monde qui inclut les chiites et les sunnites, et qui n’a pas de place pour le terrorisme et la violence aveugle contre des innocents.
Ce nouveau Moyen-Orient fondé sur des principes s’unit aujourd’hui autour de Gaza, ce minuscule bout de terre confrontée à une crise humanitaire qui semble sans fin, provoquée par Israël et Israël seulement.
Lorsqu’Israël a décidé d’assiéger les Gazaouis après les élections démocratiques palestiniennes de 2006, il ne devait pas s’attendre à ce qu’ils soient capables de tenir si longtemps, de riposter et de s’affirmer comme le centre de la lutte pour la libération de la Palestine – en fait, la lutte contre l’impérialisme américain dans toute la région.
C’est ce que Gaza nous a démontré, ainsi qu’à tous ceux qui sont prêts à se libérer de décennies d’endoctrinement étasunien au Moyen-Orient et au-delà :
- Premièrement, aucune paix, stabilité, sécurité ou prospérité au Moyen-Orient n’est possible sans justice pour la Palestine et sans liberté pour le peuple palestinien.
- Deuxièmement, bien que les gouvernements arabes aient largement laissé tomber la Palestine et continuent de le faire, les nations musulmanes trouvent un terrain d’entente autour de leur soutien au peuple palestinien. Si cette dynamique se poursuit – et elle devrait le faire – cela changera la donne.
- Troisièmement, Israël est militairement faible et, malgré toutes les assurances données par Tel-Aviv au fil des ans, il n’est rien d’autre qu’un vassal, un régime client de Washington. Sa survie est liée au soutien de Washington par tous les moyens.
- Quatrièmement, les États-Unis n’ont plus toutes les cartes en main. Avec l’unité de la Résistance dans tout le Moyen-Orient, le poids croissant de l’Iran, le refus des pays arabes de jouer le rôle de laquais de Washington et la position forte de la Chine, de la Russie, de l’Iran, de la Turquie et d’autres, la région n’est plus un terrain de jeu pour les Etasuniens.
- Cinquièmement, la résistance armée n’est pas un fantasme, comme beaucoup l’ont cru et répété au fil des années. Certes, Gaza ne pourra pas, à elle seule, vaincre Israël, mais la puissance combinée de la Résistance démontre qu’Israël n’est plus l’état tout-puissant qui, à lui seul – avec le soutien des Etats-Unis bien sûr – a vaincu plusieurs armées arabes en 1967.
- Sixièmement, peut-être la plus importante de toutes ces prises de conscience, Gaza a mis fin à la guerre sectaire au Moyen-Orient, un conflit qui dure depuis des décennies et qui a été attisé par de nombreuses parties, dont les États-Unis, Israël, les gouvernements du Moyen-Orient et de nombreux groupes terroristes.
Lorsque les États-Unis ont lancé leur guerre contre l’Afghanistan en 2001, puis contre l’Irak en 2003, ils ne s’attendaient guère à ce que le Moyen-Orient, à peine deux décennies plus tard, se réinvente au-delà des définitions et des attentes étasuniennes.
Que la minuscule bande de Gaza soit l’étincelle qui a recentré les énergies de toute la région relève du miracle politique que de nombreux politologues auront du mal à comprendre, encore plus à expliquer.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
29 octobre 2023 – Palestine Chronicle – Traduction : Chris et Dine