Par Jonathan Ofir
Haaretz est largement considéré comme la principale source d’information libérale d’Israël, mais il a publié et promu une partie de la propagande la plus néfaste pour soutenir le génocide israélien à Gaza.
Il y a une semaine, Haaretz a publié un article (en hébreu et traduit ici) d’Eitan Leshem, intitulé « Dans chaque maison de Gaza, nous avons trouvé des olives, de l’huile d’olive et des tonnes d’épices. Nous y cuisinons avec des sentiments mitigés ».
L’article raconte l’histoire de soldats qui ont investi des maisons palestiniennes et volé de la nourriture aux sans-abri, aujourd’hui affamés, de Gaza, qui ont été contraints de fuir, peut-être même par ces mêmes soldats. Il est vraiment difficile d’imaginer un article plus grossier et plus misérable.
L’article a choqué de nombreuses personnes, non seulement en raison de son contenu, mais aussi en raison de son lieu de publication. Haaretz est largement cité au niveau international, en particulier par les libéraux, comme un organe d’information israélien de gauche digne de confiance.
Des journalistes comme Gideon Levy et Amira Hass, qui couvrent souvent les horreurs de l’apartheid israélien de manière plus détaillée et avec plus de mordant que n’importe quel autre journaliste israélien, sont considérés, pour beaucoup, comme le visage courageux et véridique de ce média.
Mais le journal a aussi un côté beaucoup plus sombre, et cela a sans doute à voir avec le fait qu’après tout, c’est un journal sioniste, comme Gideon Levy l’a clairement expliqué un jour.
Dans le cadre de l’attaque génocidaire en cours contre Gaza, son orientation sioniste a non seulement fait que ses rédacteurs ont sous-représenté le soutien populaire israélien au génocide, mais elle a également conduit le journal à publier et à promouvoir une partie de la propagande la plus atroce et la plus dangereuse de l’assaut israélien contre Gaza.
Le coup monté de toutes pièces de l’hôpital Al-Shifa
En novembre, Ronny Linder a écrit un article pour Haaretz, intitulé « La tragédie de l’hôpital Al-Shifa : Le plus grand défi moral d’Israël dans la guerre de Gaza ».
Avec l’approbation des médecins israéliens, l’armée d’occupation bombarde les hôpitaux de Gaza
Linder y reprend la propagande militaire selon laquelle Al-Shifa est un « vaste bouclier humain », servant de « principal centre de commandement » au mouvement Hamas :
« Le fait qu’il s’agisse à la fois de l’hôpital le plus grand et le plus important de Gaza, d’un camp de réfugiés en pleine expansion accueillant des habitants désespérés de tous âges et d’un outil utilisé par le Hamas – comme un vaste bouclier humain au-dessus du principal centre de commandement de l’organisation – incarne le défi impossible à relever pour Israël. »
L’article a été publié le 13 novembre, deux jours seulement avant qu’Israël n’effectue son dernier raid sur l’hôpital. L’armée israélienne a ensuite diffusé un film de propagande affirmant que des armes avaient été trouvées dans le sous-sol, mais n’a pas prouvé la présence manifeste du Hamas, sans même parler d’un centre de commandement.
Comme l’a déclaré Mouni Rabbani à Al-Jazeera : « Les forces israéliennes ont envahi l’hôpital Al-Shifa’ et sont restées à l’intérieur pendant 12 heures entières – en refusant qu’une partie indépendante les accompagne – et maintenant nous sommes censés croire qu’il y avait des militants du Hamas à l’intérieur, poursuivis par l’armée israélienne, mais qu’ils ont en quelque sorte laissé leurs armes derrière eux ? »
En fin de compte, Israël n’a jamais prouvé l’existence du « centre de commandement x d’Al-Shifa, même si Ehud Barak a surpris Christiane Amanpour, stupéfaite, lorsqu’il lui a dit qu’Israël avait construit des bunkers souterrains à cet endroit au début des années 1980. Ce supposé centre « reste insaisissable », comme l’a expliqué l’agence Associated Press.
Le 17 novembre, Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a déclaré que l’on ne pouvait pas « attaquer un hôpital en l’absence de preuves évidentes ».
Türk a demandé une enquête, mais l’affaire était déjà réglée d’avance en ce qui concerne Israël. L’hôpital était déjà attaqué et « mis hors d’état de nuire », il suffisait de croire la propagande.
C’est ainsi qu’ont commencé les attaques contre les autres hôpitaux de Gaza, une campagne que Forensic Architecture qualifie de « modèle systématique d’intimidation et de violence de la part de l’armée israélienne dans le cadre de l’invasion en cours ».
À l’heure actuelle, seul un tiers des 36 hôpitaux de Gaza sont encore partiellement opérationnels. L’hôpital Nasser de Khan Younis, le deuxième plus grand hôpital de Gaza, a fermé ses portes dimanche dernier à la suite d’un siège israélien et du kidnapping du personnel médical et des patients.
L’hôpital Al-Amal, également à Khan Younis, est assiégé depuis le début du mois.
Toutes ces attaques contre le secteur médical de Gaza ont suivi le même schéma que la campagne initiale contre al-Shifa’, une campagne à laquelle Haaretz a donné une plate-forme critique à un moment crucial.
Le rôle de Linder et de Haaretz dans les attaques israéliennes en cours rappelle celui de Judith Miller et du New York Times dans la période précédant la guerre en Irak. Le fait que Miller ait présenté des mensonges sur les ADM irakiennes comme des vérités a sans doute mis fin à sa carrière au NYT (le journal quant à lui est toujours en activité).
En fait, l’affirmation de Mme Miller vulant se disculper de tout acte répréhensible pourrait être très proche de la façon dont M. Linder perçoit son rôle :
« Mon travail n’est pas d’évaluer les informations du gouvernement et d’être moi-même un analyste indépendant du renseignement. Mon travail consiste à dire aux lecteurs du New York Times ce que le gouvernement pensait de l’arsenal irakien. »
Les calomnies à l’encontre de l’UNRWA
Le 12 décembre, Haaretz a publié un autre article de Linder, cette fois sur l’UNRWA. Cet article, intitulé « Comment l’UNRWA est devenu la deuxième organisation la plus influente à Gaza après le Hamas », fait état de prétendues « connexions avec le Hamas » et cite des « critiques » qui « accusent l’agence des Nations unies de jouer un rôle clé dans le conflit israélo-palestinien ».
Une fois de plus, le moment choisi et le contexte sont essentiels. Israël s’en prend depuis longtemps à l’UNRWA, qu’il accuse de maintenir vivant le problème des réfugiés palestiniens. Le mois dernier, le Premier ministre israélien, M. Netanyahu, a éructé que la « mission de l’UNRWA doit prendre fin » et qu’elle « cherche à préserver la question des réfugiés palestiniens ».
C’est faux, bien sûr, comme l’explique Mitchell Plitnick sur Mondoweiss, en citant l’ONU : « Les situations de réfugiés prolongées sont le résultat de l’incapacité à trouver des solutions politiques aux crises politiques sous-jacentes ».
Le 26 janvier, le jour où la Cour internationale de justice a jugé plausible qu’Israël commette un génocide, Israël a affirmé, sans fournir de preuves, que 12 travailleurs de l’UNRWA affiliés d’une manière ou d’une autre au Hamas étaient impliqués dans l’offensive du 7 octobre.
Cette allégation a suffi à déclencher une cascade de pays, à commencer par les États-Unis et suivis par quelque 16 autres pays, qui ont cessé de soutenir l’organisation humanitaire.
Yosra Frawes, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme, a commenté cette décision : « La suspension des fonds destinés à l’UNRWA équivaut à condamner potentiellement des millions de réfugiés palestiniens à mourir de faim et de maladie. Il s’agit là d’une complicité manifeste avec le génocide en cours et d’une violation totalement déconcertante de la décision de la CIJ ».
Le choix du moment est donc primordial. Israël a utilisé la carte UNRWA-HAMAS précisément au moment où il était accusé du crime le plus grave de tous et a retourné la situation contre l’organisation qui est la plus importante pour répondre aux besoins les plus élémentaires de la population, qui est maintenant confrontée à la famine.
Comment une telle chose peut-elle se produire ? Et avec la complicité de journalistes, entre autres… L’article de Linder était une incitation contre l’UNRWA, recueillant un soutien pour son démantèlement, ce que Netanyahu a exigé plus tard.
« Depuis le massacre du 7 octobre », écrit Linder, « chaque jour semble apporter de nouvelles histoires sur les liens présumés entre le Hamas et l’UNRWA et ses institutions dans la bande de Gaza : de l’identification ouverte et généralisée avec le groupe terroriste sur les médias sociaux par les travailleurs de l’UNRWA ou les étudiants qui ont été éduqués par l’organisation, à l’implication présumée de certains d’entre eux dans le terrorisme réel ».
Ces « histoires » de « connexions présumées » n’ont pas besoin d’être exactes ou factuelles pour avoir un impact, elles doivent simplement être racontées, comme le fait Linder.
Elle commence par citer l’affirmation d’un captif israélien libéré disant qu’il avait été détenu par un enseignant de l’UNRWA, affirmation que l’UNRWA a réfutée comme étant sans fondement, exigeant des preuves que le journaliste à l’origine de l’affirmation n’a pas voulu fournir.
Linder cite ensuite le porte-parole des forces israéliennes d’occupation (les mêmes qui proposent les visites de propagande à Al-Shifa) qui affirme que « des dizaines de roquettes et d’autres armes ont été trouvées sous des caisses de l’UNRWA dans des maisons privées du nord de la bande de Gaza ». Une fois de plus, des allégations vagues provenant de sources peu fiables.
Linder cite ensuite des « instituts de recherche » bien sûr anonymes qui « suivent l’organisation depuis de nombreuses années » et qui auraient « révélé que de nombreux membres de la Force Nukhba (l’unité d’élite du Hamas qui a mené l’offensive [du 7 octobre]) et d’autres membres du Hamas qui ont participé à l’attaque, sont des diplômés des écoles de l’UNRWA ou des employés de l’organisation ».
Et ce n’est pas fini. Il n’est pas utile d’entrer dans les détails pour analyser chaque affirmation de Linder et chaque expert qu’elle interroge (qui sont exclusivement israéliens, en dehors de la réponse obligatoire de l’UNRWA ajoutée à la fin) pour faire valoir son point de vue selon lequel l’UNRWA est un « acteur clé du conflit israélo-palestinien, au service d’organisations qui n’ont aucun intérêt à ce qu’il soit résolu ».
L’idée maîtresse de l’article est de présenter l’UNRWA comme un foyer d’incitation à la haine et de terrorisme, en plein génocide contre les personnes que l’UNRWA a pour mission de protéger.
De fausses allégations sont diffusées comme des faits et aucune preuve n’est apportée.
Mais Israël agit sur la base de ces rapports et de ce type de discours pour détruire la société et la vie palestiniennes, ses amis à l’étranger font équipe et agissent sur la base des allégations de cet État notoirement menteur, et lorsqu’ils découvrent que les preuves ne sont pas disponibles, il est trop tard car Israël a déjà agi en toute impunité.
Un miroir pour l’Israélien libéral
Il est clair que Haaretz est devenu le faire-valoir du public libéral israélien. Pour en revenir à l’article d’Eitan Leshem sur les soldats israéliens cuisinant dans des maisons palestiniennes vidées de force de leurs habitants, « tuer puis pleurnicher » est devenu « cuisiner puis pleurnicher » et Haaretz est là pour servir la soupe.
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Cet article, en fait, sert d’archétype pour le matériel de propagande que le journal fournit à la consommation libérale israélienne interne en tant qu’article de « détente », pour ainsi dire.
Haaretz demande aux soldats ce qu’ils pensent du fait de manger dans les maisons des habitants de Gaza, sachant qu’ils ont été forcés de fuir. « Oui, les sentiments sont partagés, car j’utilise leurs ustensiles dans leur maison. Mais d’un autre côté, nous devons manger. Nos instincts et notre désir de manger l’emportent sur tout cela ».
Tous les « sentiments mitigés » que les lecteurs pourraient éprouver ont été apaisés par le fait qu’Israël est en train de raser Gaza de toute façon, alors quelle différence cela fait-il ? « Il est important de préciser qu’il s’agit de maisons abandonnées, dont certaines sont détruites ou dont la destruction est prévue, et c’est ainsi que nous nous battons à Gaza. »
C’est ainsi que nous combattons à Gaza ?… Nous aplatissons Gaza. Et nous devons manger. J’ai envie de vomir.
Mais il ne s’agit pas seulement de consommer de la nourriture. Il s’agit de la production par Haaretz d’un article de « tranche de vie » aussi scandaleux au milieu d’un génocide, et de ses lecteurs libéraux qui le consomment comme une source d’inspiration.
Haaretz est devenu un lieu où ses lecteurs, comme les soldats dans l’histoire, peuvent « transformer le fait de cuisiner en un espace de détente psychologique » au milieu d’un génocide.
C’est ce que Haaretz nous a donné à manger. Une dangereuse propagande génocidaire qui cherche à nous rassurer. J’ai annulé mon abonnement.>
Auteur : Jonathan Ofir
* Jonathan Ofir, un militant pro-palestinien né en Israël mais vivant dans la capitale danoise, Copenhague, fait partie des nombreux juifs basés en Europe qui critiquent la politique d'Israël et se sont joints aux manifestations qui ont éclaté sur tout le continent pour protester contre les attaques incessantes contre Gaza.Il contribue régulièrement à Mondoweiss et à d'autres publications.
21 février 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine