Par Maha Hussaini
Tout au long du génocide israélien, le temps ne s’est pas mesuré en heures, mais en histoires saisies et en victimes à qui la parole a été donnée.
Je m’étais fait à l’idée que je ne parviendrais peut-être jamais à ce moment – écrire un article sur la fin de la guerre.
Lorsque j’ai saisi cet ordinateur portable, l’une des rares choses que j’ai réussi à emporter lors de l’évacuation de ma maison dans la ville de Gaza le 13 octobre 2023, je savais qu’il serait utilisé pour documenter d’innombrables massacres – mais à l’époque, je ne me représentais pas la fin de cette guerre.
Pourtant, je suis là. J’ai réussi à survivre, tout comme certains de mes collègues journalistes, qui ont enduré une guerre qui semblait vouloir nous viser.
Mais la survie a un prix. Le sens de la vie et de la mort a changé à jamais.
Au cours des 15 derniers mois, j’ai été déplacée de force dans trois abris situés au centre et au sud de la bande de Gaza. Le plus éloigné était à environ 40 minutes de route de chez moi. Pendant tout ce temps, la mort m’a semblé plus proche que la maison que j’ai laissée derrière moi.
La possibilité de mourir devenait de plus en plus tangible à chaque rapport documentant les violations commises par l’armée israélienne, et à chaque fois qu’un collègue journaliste était tué.
Pour la première fois, rester en vie n’était plus une question de survie, mais plutôt une course contre la montre pour documenter autant d’histoires que possible avant de connaître le même sort.
Il s’agissait d’une course sans ligne d’arrivée claire, où la valeur du temps ne se mesurait plus en heures, mais en histoires capturées, en vies témoignées et en victimes sans voix enfin entendues.
Une immense responsabilité a incombé à tous les journalistes palestiniens locaux à partir du moment où Israël a décidé d’interdire l’accès à Gaza aux correspondants internationaux.
Isolement forcé
Avec les coupures d’électricité constantes d’Israël, qui ont duré des mois à Gaza, chaque moment d’obscurité et d’isolement forcé a été ressenti comme une tentative de réduire les journalistes au silence.
C’est grâce à de petites victoires que nous avons réussi à garder espoir : chaque SMS envoyé, chaque rapport transmis, même après des heures passées sur les toits ou à marcher dans les rues à la recherche d’un insaisissable signal eSIM, a été ressenti comme un triomphe discret.
Lorsque j’étais à l’abri, les choses prenaient une toute autre importance, comme lorsque nous avons finalement réussi à allumer la télévision pour la première fois depuis des mois, grâce aux panneaux solaires.
Lors d’une conférence de presse, on discutait des violations en cours à Gaza et du massacre quotidien de civils.
Normalement, j’aurais été absorbée par la gravité du discours, les appels à la justice et aux droits de l’homme. Mais cette fois, ce n’est pas le message qui m’a saisie, mais plutôt le costume immaculé de l’orateur, le verre d’eau immaculé devant lui et la bouteille de jus de fruit à son côté.
À ce moment-là, je n’ai plus pensé qu’aux longues files d’attente pour remplir une bouteille d’eau, au luxe oublié de la bouteille de jus de fruit et à l’expérience rare d’une douche digne de ce nom.
Un accord de cessez-le-feu longtemps attendu a finalement été annoncé pour Gaza. Il doit entrer en vigueur ce dimanche.
J’étais à l’hôpital al-Aqsa de Deir al-Balah mercredi lorsque l’accord a été annoncé. J’ai choisi d’assister à ce moment depuis un endroit qui est resté gravé dans ma mémoire comme un lieu de survie et de perte.
C’est là que j’ai mené des dizaines d’entretiens et recueilli des témoignages de Palestiniens qui avaient été pris pour cible, ainsi que de ceux qui s’étaient réfugiés à l’intérieur de l’hôpital pour échapper aux attaques israéliennes.
Comme presque tous les hôpitaux de l’enclave sous blocus, celui-ci témoigne des atrocités commises contre les civils et a lui-même été le théâtre d’un massacre, lorsque l’armée israélienne a pris pour cible et brûlé vifs des civils déplacés qui se trouvaient dans des tentes de fortune dans la cour de l’hôpital.
La quête du retour
Peu avant et après l’annonce du cessez-le-feu, j’ai parlé avec neuf Palestiniens à l’intérieur de l’hôpital, dont des personnes déplacées, des journalistes et des patients. Je leur ai demandé quelle était la première chose qu’ils voulaient faire lorsque le cessez-le-feu entrerait en vigueur.
Leur réponse a été unanime et poignante : rentrer chez eux, dans le nord de Gaza !
Pour une personne extérieure, cette réponse peut sembler normale, voire prévisible. Mais pour quelqu’un qui a vécu parmi ces personnes déplacées – et qui a été l’un d’entre eux pendant plus de 15 mois – elle est époustouflante.
Ceux d’entre nous qui ont été déplacés depuis le début de la guerre ont suivi de près le traitement réservé par Israël à ceux qui sont restés dans le nord de Gaza.
Israël a poursuivi sans relâche son objectif de vider Gaza de ses habitants par des ordres de déplacement forcé, la famine, des massacres et des exécutions sommaires de ceux qui refusaient de partir.
Même dans les prétendues « zones humanitaires » censées être sûres, les attaques et les massacres se sont poursuivis, parallèlement à la violence incessante dans le nord de Gaza.
Se conformer aux ordres d’évacuation israéliens n’a jamais semblé être une option sûre. Pour les Palestiniens de Gaza, la réalité a toujours été qu’ils pouvaient être pris pour cible à tout moment.
Deux jours avant l’annonce du cessez-le-feu, alors que les Palestiniens retenaient leur souffle, un conducteur de charrette tirée par un âne m’a croisé dans l’un des quartiers les plus peuplés de Deir al-Balah. « À Shujaiya, Rimal, Tal al-Hawa », a-t-il crié, nommant les quartiers de la ville de Gaza d’où nous avons été déplacés de force il y a plus d’un an.
Il a crié comme s’il était sur le point d’emmener les gens là-bas, un comportement commun qui est apparu parmi les personnes déplacées à Gaza au cours de l’année écoulée.
J’ai souri lorsque mes doigts ont inconsciemment fouillé dans mon sac pour y trouver les clés de ma maison de Gaza City, dont la porte avait été enfoncée par l’armée israélienne.
Ces clés sont toujours restées avec moi – une petite manière inconsciente de me faire croire que je pourrais en avoir besoin un jour.
C’est peut-être pour cette raison que je trouve si incroyable que, même face à un génocide internationalement reconnu, les Palestiniens de Gaza se soient accrochés à l’idée du retour – parce qu’après 15 mois de terreur implacable, de bombardements, de famine et d’oblitération, avec des maisons réduites à l’état de ruines et des communautés entières anéanties, la prière de rentrer chez soi a toujours primé sur la prière de survivre.
Auteur : Maha Hussaini
* Maha Hussaini est une journaliste primée et une militante des droits de l'homme basée à Gaza. Maha a commencé sa carrière de journaliste en couvrant la campagne militaire d'Israël sur la bande de Gaza en juillet 2014. En 2020, elle a remporté le prestigieux prix Martin Adler pour son travail de journaliste indépendante.
19 janvier 2025 – Middle-East-Eye – Traduction : Chronique de Palestine
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