Par Abdel Bari Atwan
Les États-Unis et Israël sont obsédés par l’idée d’éliminer le responsable du mouvement Hamas dans la bande de Gaza.
Il ne se passe pas un jour sans que les médias américains et israéliens nous informent qu’ils sont sur la piste du chef du Hamas dans la bande de Gaza, Yahya al-Sinwar, qu’ils disposent d’informations sur sa localisation et qu’ils sont sur le point de l’atteindre, de l’assassiner ou de l’arrêter.
Les nouvelles de ce type se sont multipliées au cours des cinq derniers mois. Un jour, on nous dit que Sinwar se cache sous terre à Khan Younis. Puis on nous dit qu’une vidéo de lui et de sa famille dans un tunnel a été trouvée et qu’il a été identifié par ses oreilles parce qu’il a été filmé de dos.
La plupart de ces histoires se sont révélées fausses. Elles étaient destinées à redorer le blason de la réputation et de la toute puissance supposée des services de renseignement israéliens, qui ont été mis à mal par l’opération historique du « déluge d’al-Aqsa » le 7 octobre de l’année dernière.
La dernière histoire de cet acabit a été publiée par le Washington Post dans un article citant de hauts responsables des services de renseignement américains et israéliens. Sinwar se cacherait toujours dans un tunnel à Khan Younis, sa ville natale, et se serait entouré de captifs israéliens qu’il utiliserait comme boucliers humains.
Le document affirmait que la réticence des services de renseignement israéliens à aller le tuer était due à leur souci de ne pas blesser les captifs (!). Ce rapport des services de renseignement, qui a était délibérement fuité, contient des faits intéressants.
Il révèle que les services de renseignement américains participent activement à la recherche de Sinwar aux côtés de leurs acolytes israéliens, en déployant pour cela des équipements de surveillance et d’écoute sophistiqués.
Cela contredit toutes les déclarations publiques de Washington selon quoi les États-Unis ne sont pas directement impliqués dans la guerre de Gaza, que ce soit sur le plan du renseignement ou sur le plan militaire.
Fait très important, le rapport admet aussi implicitement que les services de renseignement de la résistance palestinienne, en particulier ceux du mouvement Hamas, sont plus performants que ceux d’Israël.
Le Hamas a réussi à garder les captifs israéliens en lieu sûr et à tromper ses homologues américains et israéliens. Le fait qu’ils n’aient pas réussi à les localiser pendant tous ces mois, malgré tout l’équipement sophistiqué dont ils disposent, le confirme.
L’affirmation selon laquelle Sinwar utilise les captifs comme boucliers humains pour éviter d’être tué ou capturé est une ineptie flagrante visant à couvrir cet échec.
Ces inventions s’adressent principalement à la partie du public israélien qui considère la libération des prisonniers israéliens comme une priorité absolue et qui critique l’incapacité des agences de trenseignement à atteindre cet objectif.
L’obsession des Etats-Unis et d’Israël à vouloir l’éliminer témoigne des compétences militaires, politiques et organisationnelles de Sinwar, et de sa fermeté. Les Israéliens n’ont jamais été confrontés à un dirigeant palestinien ou arabe tel que lui.
Ils en concluent à tort que s’ils l’assassinent, le Hamas et tous les autres groupes de résistance se désintégreront.
Les Américains et les Israéliens ont l’habitude de traiter avec des dirigeants arabes faibles et veuls, qui obéissent à leurs ordres par peur de représailles et d’être renversés de leur trône.
Qui est Yahya al-Sinwar, l’architecte de la résistance dans Gaza ?
C’est pourquoi ils sont prêts à tout pour détruire le plus rapidement possible l’ « exception Sinwar », de peur qu’elle ne s’impose dans les esprits et ne devienne un exemple à suivre pour les autres nations arabes et les générations à venir.
Les chefs de l’armée et des services de renseignement israéliens ne se soucient pas de la vie des captifs. Il sont prêts à utiliser toutes les armes de destruction massive à leur disposition pour assassiner Sinwar et ses adjoints s’ils le peuvent.
Des dizaines de captifs israéliens ont déjà été tués, non par la résistance, mais par les bombardements israéliens.
Ironiquement, Sinwar a tenu à leur rendre visite en personne, à les rassurer sur leur sécurité et à s’assurer qu’ils recevraient nourriture et médicaments, conformément aux valeurs islamiques auxquelles il est attaché.
La répétition constante de l’affirmation selon laquelle Sinwar vit dans un tunnel sous Gaza, Khan Younis ou Rafah, prouve qu’ils sont incapables de l’atteindre. Où veulent-ils qu’il vive ? Dans un palais ou une villa où il peut être facilement pris pour cible ?
Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle même si Sinwar est, Dieu nous en préserve, tué ou capturé, le Hamas n’en sera pas affecté… C’est un dirigeant exceptionnel et sa perte aurait des conséquences extrêmement négatives, surtout si l’on considère la qualité extrêmement médiocre de la génération actuelle de dirigeants dans le monde arabe pris dans son ensemble.
Mais tant qu’il vivra, il restera un cauchemar pour l’occupant et ses soutiens et une douloureuse épine dans leur flanc. Il a infligé un choc sismique à la puissance occupante, détruisant son autorité, son armée, sa sécurité, sa stabilité, sa prétendue suprématie militaire et sa capacité à protéger ses colons.
Il a fait preuve de prouesses en matière de planification et de mise en œuvre qui n’ont jamais pu être anticipées.
Les services US et israéliens pensaient que tous les Arabes étaient incompétents et soumis, ne voulant rien d’autre que l’argent, le luxe et l’approbation de l’Oncle Sam, et qu’ils étaient prêts à exécuter leurs ordres sans réfléchir ni discuter.
Ils se sont lourdement trompés.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
2 mars 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine