Par Abdel Bari Atwan
Le compte à rebours a commencé. Quelques jours seulement nous séparent du 2 mai, lorsque le deuxième et dernier stade des sanctions américaines contre l’Iran entrera en vigueur.
L’administration Trump veut mettre fin à toutes les exportations de pétrole de l’Iran, qui s’élevaient à 1,7 million de barils par jour en mars. Elle a levé les dérogations accordées à huit pays – tels que la Chine, l’Inde, la Turquie et le Japon – leur permettant de continuer à du pétrole iranien. La plupart de ces États s’opposent aux sanctions et, avec la Russie, estiment qu’elles vont déstabiliser non seulement le marché mondial du pétrole mais tout le Moyen-Orient.
Le chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a souligné qu’il y aurait des représailles pour les sanctions. Il a envoyé un message clair à Trump – en anglais – sur son compte Twitter, indiquant que l’Iran ne resterait pas inactif face à ces “mesures hostiles” et qu’elles “ne se laissera pas faire sans réponse”.
Le président Hassan Rohani a quant à lui fustigé l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui ont promis de compenser l’absence de pétrole iranien sur les marchés. Il a ajouté que les deux États devaient leur existence même à l’Iran – qui avait refusé de soutenir les plans de l’ancien président irakien Saddam Hussein de les envahir en 1990 – et s’étaient transformés en ennemi du peuple iranien en soutenant les initiatives américaines.
Le ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, a pour sa part déclaré lors d’une visite à New York que les États-Unis savaient que s’ils voulaient avoir accès au détroit d’Ormuz, ils devront parler à ceux qui le protègent, à savoir les Gardiens de la Révolution iraniens.
Ni Khamanei ni Rohani n’ont expliqué la nature de la réaction de représailles de l’Iran au cas où ses exportations de pétrole seraient interrompues. Celles-ci rapportent au pays 44 milliards de dollars par an, sans lesquels l’Iran serait confronté à une crise économique majeure. Mais nous pouvons spéculer sur certaines possibilités.
Premièrement, l’Iran pourrait fermer le détroit d’Ormuz et empêcher environ 18 millions de barils de pétrole par jour d’être exportés de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Koweït et de l’Irak. Le commandant Alireza Tangsiri, chef des forces navales des Gardiens de la Révolution, a averti que l’Iran bloquerait la voie navigable s’il n’était pas autorisé à exporter son pétrole.
Deuxièmement, l’Iran pourrait officiellement se retirer de l’accord nucléaire et reprendre l’enrichissement de l’uranium à un rythme plus rapide, ce qui lui permettrait de développer une capacité militaire nucléaire.
Troisièmement, l’Iran pourrait libérer la Garde révolutionnaire, ainsi que des groupes alliés en Irak, en Syrie, au Liban (Hezbollah) et en Palestine (Hamas et Jihad islamique), pour lancer des attaques sur des cibles américaines et israéliennes dans diverses parties de la région et peut-être même au-delà.
Enfin, l’Iran pourrait essayer de fermer le détroit de Bab al-Mandeb à l’entrée de la mer Rouge, ou de menacer le trafic maritime via des attaques de ses alliés yéménites Ansarallah (Houthi) sur des navires américains, israéliens ou autres.
Trump a insisté sur le fait que le détroit d’Ormuz est une voie navigable internationale que tous les pays doivent pouvoir utiliser librement et que le fermer serait une violation du droit international – comme si des sanctions unilatérales visant à contraindre 80 millions de personnes à se soumettre ne constituaient pas une violation de la loi internationale…
L’Iran a un État institutionnel. Il possède également un savoir-faire et une expertise dans tous les domaines, un vaste patrimoine culturel et un formidable arsenal militaire de fabrication locale. On ne peut pas s’attendre à ce qu’il agite un drapeau blanc face à cette déclaration de guerre américaine visant à saper son régime, à semer le chaos sur son territoire, à menacer son unité géographique et démographique et à appauvrir son peuple.
La nomination du major-général Hossein Salami en tant que commandant de la Garde révolutionnaire, le jour même où Mike Pompeo a annoncé la levée des dérogations, implique la mise en place d’un plan clair de représailles. Salami est considéré comme un membre de l’aile dure qui a actuellement le dessus sur le processus décisionnel à Téhéran. Il a menacé à plusieurs reprises d’effacer Israël de la carte s’il attaquait l’Iran, conseillant aux Israéliens “d’apprendre à nager” afin de pouvoir s’échapper par la Méditerranée si cela se produisait.
La Garde révolutionnaire pourrait toucher de nombreuses cibles américaines dans la région. Les plus évidentes sont les 5500 soldats américains et leurs 30 bases militaires en Irak, ainsi que les 2000 autres dans le nord-est de la Syrie. Il existe également de nombreuses bases aériennes et navales américaines au Koweït, au Qatar, dans les Émirats et à Bahreïn, en plus des bases non déclarées en Arabie saoudite. Ces bases pourraient bien devenir des cibles d’attaque si l’ordre d’agir est donné ou si la guerre éclate.
Trump mène le monde vers une guerre catastrophique, dont les plus grands gagnants seront probablement les “ennemis” supposés de son pays, en particulier la Russie. Une guerre ferait monter les prix du pétrole (qui ont déjà augmenté de 44% à quelque 65 dollars le baril depuis le début de l’année). Chaque dollar supplémentaires pour un baril augmente de 4 milliards de dollars par an le Trésor russe. Cela permettrait de contrer efficacement l’impact des sanctions économiques imposées par les États-Unis à la Russie après l’annexion de la Crimée.
Les plus grands perdants seraient les Arabes – en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour avoir ouvertement pris position dans la tranchée américaine en promettant de compenser toute pénurie de pétrole iranien. Les pays d’Europe occidentale, qui consomment 13 millions de barils de pétrole par jour, seraient également perdants car le prix du pétrole pourrait atteindre plus de 100 dollars le baril et leurs économies en souffriraient.
Trump est devenu une marionnette entre les mains d’Israël et de son lobby aux États-Unis. Toute guerre qu’il déclencherait dans la région aurait pour objectif de faire d’Israël son suzerain et son maître éternel et de lui permettre d’établir son “Grand Israël” sur une grande partie de son territoire – du Nil à l’Euphrate. Les dirigeants arabes seraient réduits au statut de gardiens et de maires locaux qui agissent sur les instructions de Netanyahu ou de celui qui lui succédera. C’est pourquoi le dévoilement du “deal du siècle” – conçu par Netanyahu et présenté par le gendre de Trump, Jared Kushner, à divers régimes arabes – a été reporté au mois de juin : c’est-à-dire après la probable confrontation avec l’Iran.
Dans le processus, la Syrie ne doit pas être autorisée à se rétablir et le Hezbollah ne doit pas disposer d’une capacité en missiles susceptible de dissuader toute agression israélienne contre le Liban.
C’est Israël, son fantoche Trump et certains de ses dirigeants arabes alliés, qui veulent cette guerre et qui frappent les tambours pour elle. Ils devront en supporter les conséquences. Nous soutenons qu’ils vont sortir vaincus. Les Arabes, ayant sombré dans les profondeurs de l’humiliation et de la soumission, n’ont plus rien à perdre.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
25 avril 2019 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah