Par Shatha Hammad
Ramallah, Cisjordanie occupée – Omar al-Rimawi n’est pas rentré chez lui depuis son arrestation par les troupes israéliennes il y a plus de deux ans, mais des photos de lui tapissent les murs des couloirs et des pièces de sa maison.
Bien qu’il n’ait aujourd’hui que 16 ans, Omar pourrait être condamné à perpétuité, suite à son arrestation le 18 février 2016.
Samir Mahmoud al-Rimawi, le père d’Omar âgé de 49 ans, et Lana, sa mère, ont assisté à plus de 40 audiences au cours de cette période.
Assis chez eux avec les frères et sœurs d’Omar, Samir et Lana peinent à retenir leurs larmes tandis qu’ils évoquent les détails douloureux de la détention de leur fils.
De retour d’une nouvelle audience, ils n’avaient pas de nouvelles informations pour les frères et sœurs d’Omar.
Omar est un garçon brillant, était un élève modèle dans une bonne école privée de Ramallah, et il excellait au football, à la natation, et au karaté, ont dit ses parents à Al Jazeera. Sa famille rêvait de le voir un jour devenir médecin.
Samir se souvient de la soirée fatidique où il a appris l’arrestation d’Omar.
Ce soir là, son fils était supposé assister à un cours d’anglais, mais Samir a reçu un appel téléphonique tragique des services de renseignements israéliens lui intimant de se rendre au centre d’interrogation du checkpoint Qalandia entre Jérusalem et Ramallah où son fils Omar était détenu.
La voix à l’autre bout du fil n’a pas expliqué à Samir pourquoi il était convoqué, mais en quelques minutes, il a appris par les médias israéliens qu’Omar et son ami Ayman al-Sabah, tous deux âgés de 14 ans à l’époque, avaient été blessés par balle à un supermarché Rami Levy près de Ramallah.
Les deux garçons étaient accusés de mener une attaque au couteau meurtrière.
Les arrestations à grande échelle et l’emprisonnement d’enfants palestiniens par Israël ont été largement condamnés par les groupes de défense des droits de l’homme et les comités de vigilance.
Omar et Ayham font partie des plus de 350 enfants palestiniens actuellement incarcérés en Israël, d’après une déclaration conjointe publiée récemment par le Comité palestinien des Affaires des Prisonniers et le Club des Prisonniers palestiniens.
Sombre tableau
Jusqu’à présent en 2018, les forces israéliennes ont arrêté plus de 353 enfants, et 102 au moins – dont la plupart sont originaires de Jérusalem-Est occupée – ont été placés en résidence surveillée entre décembre 2017 et février de cette année.
La déclaration conjointe a dressé un sombre tableau de la détention des enfants palestiniens en Israël. Les accusations font état, entre autres, du recours à la force brutale, de méthodes cruelles pour maîtriser les enfants, de privations de nourriture et d’eau, de violence et d’agressions verbales pendant les interrogatoires, et d’aveux obtenus par la force.
Certains des enfants ont été jugés in absentia, tandis que la majorité a été condamnée à des peines et des amendes que les défenseurs des droits qualifient d’excessivement sévères et élevées.
Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme responsabilité à Defence for Children International – Palestine (DCI-P), affirme que les tribunaux israéliens ne respectent pas les règles établies pour la détention et le jugement des enfants devant les tribunaux.
Bien qu’Israël soit signataire de la Convention des Droits de l’Enfant des Nations Unies, il ignore les restrictions qu’impose cet accord dans son traitement des enfants palestiniens, a déclaré Abu Eqtaish à Al Jazeera.
Plutôt que de chercher des solutions autres que la prison, les tribunaux israéliens imposent régulièrement de longues peines d’emprisonnement aux enfants et des amendes élevées à leur famille, a-t-il ajouté.
Et en dépit de l’utilisation par Israël des aveux obtenus par la force et d’autres violations apparentes des normes internationales, Abu Eqtaish craint qu’on ne laisse Israël agir en toute impunité.
Rêve de liberté
Suite à l’arrestation d’Omar, une foule d’histoires contradictoires a commencé à circuler. Certaines rumeurs disaient que les garçons avaient été tués, tandis que d’autres avançaient qu’ils avaient été gravement blessés par balles.
Les autorités israéliennes, cependant, refusaient de donner des nouvelles de la santé de leur fils à la famille Rimawi, explique Samir. Ce n’est que six jours plus tard qu’ils ont eu l’autorisation de rendre visite à Omar.
“Omar était dans l’unité de soins intensifs, il avait les mains et les pieds entravés, et était gardé par trois soldats israéliens”, se souvient tristement Samir, expliquant qu’Omar a ensuite été transporté d’une prison à une autre.
“Je ne l’ai vu que cinq minutes, mais en ce lapse de temps j’ai appris qu’il était paralysé parce que l’une des trois balles qui l’avaient atteint s’était logée dans la moelle épinière. Une autre avait fini sa course à côté du cœur, et la troisième lui avait touché un bras.”
Au cours de cette brève visite, Samir a appris qu’il faudrait à Omar jusqu’à six ans de kiné pour pouvoir remarcher un jour. Il attribue au physique robuste d’athlète d’Omar de lui avoir permis de remarcher en seulement six mois.
Samir accuse les autorités israéliennes de maltraiter son fils, alléguant qu’on l’a fait attendre sur un brancard sous la pluie à l’extérieur du tribunal où il a eu sa première audience quelques jours seulement après son arrestation.
Depuis 2015, Israël a abaissé l’âge minimum de la responsabilité pénale, autorisant l’arrestation et la condamnation des enfants palestiniens dès l’âge de 12 ans et permettant plus facilement aux juges de prononcer de lourdes peines à l’encontre des mineurs.
Ayham et Omar attendent tous deux un verdict qui pourrait les envoyer derrière les barreaux pour le reste de leur vie. La famille d’Omar dit que son avocat s’attend à ce qu’Omar soit “très probablement” condamné à perpétuité étant donné que le système judiciaire militaire israélien a un taux de condamnation de 99 pour cent.
Un grand nombre de reportages dans les médias israéliens se sont prononcés pour que les garçons soient sévèrement punis, et Samir dit que le bureau du procureur israélien a refusé de négocier avec les avocats d’Omar. Leurs appels de la compassion en raison de l’âge du garçon sont tombés dans l’oreille d’un sourd.
En attendant, Samir et Lana ne sont autorisés à voir Omar qu’une fois tous les trois mois, et il est interdit à Omar de leur téléphoner ou de leur écrire.
“Lors des visites il est derrière une parois vitrée ; nous ne pouvons ni l’étreindre, ni l’embrasser, » nous dit Samir. « A chaque fois que nous le voyons, il a grandi, il est plus grand, et son esprit a mûri.”
Anniversaire derrière les barreaux
Le 22 juin, Mohamed Tayseer Taha aura 17 ans. Il célébrera son anniversaire en prison, parce que comme des centaines d’enfants palestiniens, il languit derrière les barreaux.
Sa mère, Hanan, et son père, Tayseer, sont assis chez eux dans le camp de réfugiés Shuafat à Jérusalem-Est. Le téléviseur est éteint ; la maison est silencieuse, rien ne bouge, et des photos de l’adolescent absent tapissent le mur derrière eux.
“Je voudrais pouvoir purger sa peine à sa place. Je le ferais plutôt que de le voir passer une minute de plus en prison,” dit Tayseer avant de fondre en larmes et de quitter la pièce pour se sécher les yeux.
Mohamed avait 14 ans lorsqu’il a été arrêté le 31 janvier 2016, en même temps que Monther Abou Miyala, âgé de 16 ans.
Accusés d’avoir poignardé un colon israélien dans la vieille ville de Jérusalem le jour précédent, les garçons avaient pris la fuite et s’étaient cachés avant d’être finalement arrêtés.
Craignant pour la vie des enfants, leur famille s’était mise frénétiquement à leur recherche. “Un officier israélien m’a appelé [le 30Janvier] et m’a dit que je devais leur livrer Mohamed sinon il tirerait sur lui et le tuerait lorsqu’il le trouverait, quel que soit le moment et l’endroit,” explique Tayseer.
Quand Mohamed est rentré chez lui le jour suivant, sa famille n’avait pas d’autre choix que de le livrer aux autorités israéliennes.
Un an plus tard, un tribunal israélien a condamné Mohamed à 11 ans de prison et la famille à une amende d’environ 14 245 dollars.
Ce fut un choc énorme pour sa mère, accablée de chagrin.
“Jamais je ne m’attendais à ce jugement rendu contre Mohamed, à chaque audience je m’attendais à ce que Mohamed rentre à la maison avec moi,” explique Hanan.
“Le réquisitoire initial réclamait une peine d’emprisonnement de cinq ans, et ce fut un choc pour nous lorsqu’à la dernière audience le juge l’a condamné à 11 ans et non 5.”
Tayseer et Hanan sont autorisés à rendre visite à leur fils deux fois par mois. Mais, comme la famille Rimawi, ils ne peuvent communiquer avec lui qu’à travers une épaisse paroi de verre.
“Les visites sont pénibles, nous sommes fouillés à fond ; puis nous devons attendre des heures avant de pouvoir entrer et le voir. Quand je le vois enfin, tout ce que j’avais prévu de lui dire s’évanouit d’un coup, et je suis heureuse de simplement le contempler.”
“Il s’efforce toujours d’être fort”
Mohamed s’efforce de prendre un air heureux pour sa famille. Il évite de parler de ses tribulations derrière les barreaux, et à chaque rencontre programmée il se présente soigneusement habillé, bien coiffé et arbore un large sourire.
Mais Hanan soupçonne Mohamed d’essayer de ne pas leur laisser voir la souffrance qu’il endure. “J’ai l’impression que Mohamed me cache beaucoup de choses, mais il s’efforce toujours d’être fort devant nous [et] de ne nous donner que les bonnes nouvelles.”
Derrière les barreaux, Mohamed a dit à sa famille, qu’il était devenu coiffeur pour les autres enfants, dans la prison Migiddo où il est emprisonné.
A plusieurs reprises, ses codétenus ont rendu visite à la famille Taha après avoir été libérés de prison. Ils racontent à Tayseer et Hanan à quel point Mohamed est aimé et respecté, et l’un d’entre eux a apporté des fleurs à Hanan à la demande de Mohamed.
En dépit de ses efforts, Mohamed ne peut pas toujours cacher sa tristesse à sa mère. Parfois il lui confie qu’il est aux prises avec des sentiments complexes à la fois de bonheur et de désespoir lorsque ses compagnons de cellule sont libérés, et qu’il craint de n’être jamais libre.
Tout au long de ses deux années d’emprisonnement, Mohamed a demandé à ses parents de lui apporter des photos de ses quatre frères et sœurs, et de ses nièces et neveux, ainsi que des animaux domestiques de la famille, y compris leur chien, Rambo, et les pigeons de Mohamed.
Pour Tayseer, le simple fait d’être à la maison est un rappel constant – et douloureux – de l’emprisonnement de son fils.
“Je ne peux pas rester à la maison sans Mohamed,” dit-il. “Je passe autant de temps que possible à l’extérieur et je ne rentre à la maison que le soir et je reste là assis à regarder ses photos et à pleurer.”
Ils ont récemment fait appel de l’emprisonnement de Mohamed, mais il a été rejeté, et sa condamnation à 11 ans de prison a été confirmée.
“Enfance volée”
Nourhan avait 16 ans lorsqu’elle a été arrêtée pour avoir prétendument tenter de poignarder un colon israélien avec des ciseaux.
C’était une étudiante brillante, et elle a poursuivi ses études en prison, obtenant un score de 94 pour cent aux épreuves d’examen standard du secondaire. Mais au lieu de pouvoir faire des projets d’entrée à l’université, où elle espérait faire des études de droit, Nourhan doit continuer à purger une peine de prison de 13 ans.
Le 23 novembre 2016, les forces israéliennes ont tiré sur Nourhan et sa cousine de 14 ans Hadeel après la tentative présumée d’attaque aux ciseaux. Hadeel est morte sur le coup, et les forces israéliennes ont arrêté Nourhan, qui était restée au sol perdant son sang, gravement blessée.
Quatre jours plus tard, tandis que Nourhan était encore hospitalisée et sous l’effet de puissants anesthésiants après une intervention chirurgicale, des interrogateurs israéliens ont interrogé la jeune fille, a raconté sa mère à Al Jazeera.
Sa mère, Manal, dit que la famille a été abasourdie lorsque plus tard un tribunal israélien l’a condamnée à 13 ans de prison. La famille a aussi été condamnée à une amende de 8 000 dollars.
“L’avocat nous avait dit qu’elle serait condamnée à 5 ans de prison, mais à la dernière audience, ce fut un choc d’entendre la sentence – 13 ans,” se souvient Manal. “Ce fut un coup terrible pour nous tous et pour Nourhan. Elle s’est évanouie, et nous autres, nous sommes sortis précipitamment du tribunal en pleurant et en criant.”
Se remémorant les détails pénibles de l’arrestation et de la condamnation de sa fille, Manal est progressivement vaincue par les larmes.
“En un clin d’œil, l’enfance de Nourhan lui a été volée, on l’a arrachée de mes bras, et jetée en prison,” déplore Manal.
“Elle me manque chaque minute de la journée. Ses frères et sœurs se sont habitués à son absence ; ils ne demandent pas quand elle va rentrer – ils demandent quand aura lieu la prochaine visite.”
En prison, Nourhan reste une lectrice assidue, demandant toujours à sa mère de lui apporter de nouveaux livres à chaque visite.
“A chaque visite, Nourhan me parle du dernier livre qu’elle a lu et m’en fait un résumé,” explique Manal.
“Elle m’a dit qu’elle avait appris l’hébreu et le parle très bien maintenant. Elle enseigne aussi les maths aux autres filles incarcérées.”
Espérant toujours que Nourhan finira par rentrer à la maison, Manal a cependant enduré toute une série d’épreuves punitives infligées par les autorités israéliennes, y compris l’annulation du permis de travail de son mari et de la demande de regroupement familiale.
A Ramallah, la famille Rimawi connaît la douleur de Manal – et partage sa détermination inébranlable à ne jamais cesser d’avoir foi en l’avenir.
“Je sais qu’Omar sera condamné à perpétuité,” nous dit Samir le père d’Omar al-Rimawi.
“Mais je rêve qu’il sera libéré et retrouvera une partie de son enfance, et continuera la vie normale que j’ai toujours espérée pour lui.”
Auteur : Shatha Hammad
* Shatha Hammad est une journaliste palestinienne freelance. En juin 2020, elle a remporté le prix New Voice lors des One World Media Awards pour ses reportages en Cisjordanie.Son compte Twitter.
21 Avril 2018 – Al-Jazeera – Traduction: Chronique de Palestine – MJB