
31 mars 2025 - Des Palestiniens accomplissent leurs prières de l'Aïd dans une école accueillant des personnes déplacées à Khan Yunis, dans le sud de Gaza. Au moins 35 personnes, dont des enfants et des femmes, ont été tuées lors des bombardements incessants menés par Israël le premier jour de l'Aïd al-Fitr, tandis que la situation humanitaire dans la bande de Gaza continue de se détériorer, Israël ayant suspendu l'acheminement de l'aide humanitaire vers Gaza depuis début mars - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Ramzy Baroud
Conquérir un lieu, c’est soumettre radicalement sa population. Cette notion doit être clairement différenciée de celle d’« occupation », un terme juridique spécifique qui régit la relation entre une « puissance occupante » étrangère et la nation occupée en vertu du droit international, en particulier de la quatrième convention de Genève.
Lorsque les forces israéliennes ont finalement été contraintes de se retirer de la bande de Gaza en 2005, conséquence directe de la résistance persistante de la population palestinienne, les Nations unies ont fermement insisté sur le fait que la bande de Gaza restait un territoire occupé au regard du droit international.
Cette position était en contradiction flagrante avec celle d’Israël, qui a alors produit ses propres textes juridiques désignant Gaza comme une « entité hostile », et donc non comme un territoire occupé.
Essayons de comprendre ce qui semble être une logique difficile à suivre.
Israël s’est révélé incapable de maintenir son occupation militaire de Gaza, qui a commencé en juin 1967. La raison principale du retrait final d’Israël était la résistance palestinienne, qui a rendu impossible la normalisation de son occupation militaire et, surtout, sa rentabilité, contrairement aux colonies illégales de Jérusalem-Est et de Cisjordanie.
Entre 1967 et le début des années 1970, lorsque Israël a commencé à investir dans la construction de blocs de colonies illégales dans la bande de Gaza, l’armée israélienne, sous le commandement d’Ariel Sharon, s’est efforcée sans relâche de réprimer les Palestiniens.
Elle a recouru à une violence extrême, à la destruction massive et à des tactiques de nettoyage ethnique pour soumettre la bande de Gaza.
Pourtant, à aucun moment elle n’a atteint son objectif ultime et global, qui était la soumission totale.
26 avril 2025, via Al Manar – Dans le cadre de l’embuscade « Briser l’épée », le bras armé du Hamas, les Brigades Al-Qassam, a publié des images montrant des attaques de snipers contre plusieurs soldats de l’occupation israélienne à l’aide du fusil de précision « Ghoul » à l’est de Beit Hanoun, à l’extrême nord de la bande de Gaza.
Vendredi26 avril, le groupe a annoncé avoir mené une opération de tireurs d’élite contre des soldats et des officiers de l’occupation israélienne dans la rue Al-Auda, à l’est de Beit Hanoun, dans le nord de Gaza.
L’armée d’occupation israélienne a repris ses agressions et intensifié son siège sur la bande de Gaza à l’aube du 18 mars 2025, après une pause de deux mois en vertu d’un accord de cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier. Cependant, pendant la période de cessez-le-feu, l’occupation a systématiquement violé les termes de l’accord.Sharon a ensuite investi dans son plan tristement célèbre, mais qui a échoué, appelé « Cinq doigts ».
A l’époque, alors qu’il était à la tête du commandement sud de l’armée israélienne – qui comprenait Gaza –, Shron croyait sans en démordre que la seule façon de vaincre les Gazaouis était de rompre la contiguïté de la bande de Gaza, empêchant ainsi toute résistance organisée.
Pour atteindre cet objectif, il a cherché à diviser Gaza en zones dites « de sécurité », où seraient construites les principales colonies juives israéliennes, fortifiées par un renforcement militaire massif.
À cela s’ajouterait le contrôle militaire israélien des routes principales et le blocage de la plupart des accès côtiers.
Cependant, ce plan ne s’est jamais pleinement concrétisé, car la création de ces « doigts » exigeait que les Palestiniens des deux côtés des « zones de sécurité » soient « pacifiés » dans une certaine mesure, une condition que la réalité sur le terrain n’a jamais remplie.
Ce qui a été réalisé, c’est la construction de blocs de colonies isolés : le plus grand se trouvait au sud-ouest de la bande de Gaza, près de la frontière avec l’Égypte, connu sous le nom de Gush Katif, suivi des colonies du nord et enfin de la colonie centrale de Netzarim.
Abritant quelques milliers de colons et nécessitant souvent la présence d’un nombre bien plus important de soldats chargés de les protéger, ces soi-disantes colonies étaient essentiellement des villes militaires fortifiées.
En raison de la géographie limitée de Gaza (365 kilomètres carrés) et de la forte résistance, les colonies disposaient d’un espace limité pour s’étendre, restant ainsi une entreprise coloniale coûteuse.
Lorsque l’armée israélienne a vidé la dernière colonie illégale de Gaza en 2005, les soldats se sont faufilés hors de la bande de Gaza au milieu de la nuit. Ils étaient poursuivis par des milliers de Gazaouis qui les ont chassés jusqu’à ce que le dernier d’entre eux ait fui cette scène dramatique.
Cet épisode singulier et puissant suffit à lui seul à affirmer avec une certitude inébranlable que Gaza n’a à aucun moment été véritablement conquise par Israël.
Bien qu’Israël ait retiré sa présence militaire permanente des principaux centres urbains de la bande de Gaza, il a continué à opérer dans des zones dites « tampons », qui constituaient souvent des incursions importantes en territoire palestinien, bien au-delà de la ligne d’armistice.
Il a également imposé un siège hermétique à Gaza, ce qui explique clairement pourquoi la majorité des Gazaouis n’ont jamais mis les pieds hors de la bande de Gaza.
Le contrôle exercé par Israël sur l’espace aérien, les eaux territoriales, les ressources naturelles (principalement les gisements de gaz méditerranéens) et bien d’autres éléments encore a rapidement conduit l’ONU à une conclusion immédiate : Gaza reste un territoire occupé.
Sans surprise, Israël s’est vivement opposé à cette réalité. Le véritable désir de Tel-Aviv est d’exercer un contrôle absolu sur Gaza, tout en qualifiant ce territoire de perpétuellement hostile, ce qui lui est très commode et sert ses propres intérêts.
Cette logique tordue permettrait à l’armée israélienne de disposer d’un prétexte exploitable à l’infini pour déclencher des guerres dévastatrices contre la bande de Gaza, déjà assiégée et appauvrie, chaque fois qu’elle le jugerait opportun.
Cette pratique brutale et cynique est connue sous le nom effrayant de « tondre la pelouse » dans le jargon militaire israélien – un euphémisme déshumanisant qui désigne la dégradation périodique et délibérée des capacités militaires de la résistance palestinienne afin de garantir que Gaza ne puisse jamais contester efficacement ses geôliers israéliens ni se libérer de sa prison à ciel ouvert.
Le 7 octobre 2023, a mis fin à ce mythe, lorsque l’opération « Déluge Al-Aqsa » a remis en cause la doctrine militaire israélienne de longue date.
La résistance palestinienne donne au monde une leçon de courage et de persévérance
La région dite « Gaza Envelope », où est basé le commandement sud de feu Sharon, a été entièrement prise par les jeunes de Gaza, qui se sont organisés dans des conditions économiques et militaires extrêmement difficiles pour, dans un revirement de situation choquant, infliger une défaite à Israël.
Tout en reconnaissant la désignation de Gaza comme territoire occupé par l’ONU, les Palestiniens parlent et commémorent, de manière compréhensible, sa « libération » en 2005.
Leur logique est claire : le redéploiement de l’armée israélienne au-delà de la clôture de séparation était une conséquence directe de leur résistance.
Les tentatives actuelles d’Israël pour vaincre les Palestiniens à Gaza échouent pour une raison fondamentale ancrée dans l’histoire. Lorsque les forces israéliennes se sont retirées furtivement de la bande de Gaza il y a deux décennies, sous le couvert de la nuit, les combattants de la résistance palestinienne disposaient d’un armement rudimentaire, plus proche des feux d’artifice que des instruments militaires efficaces.
Le paysage de la résistance a fondamentalement changé depuis lors.
Cette réalité de longue date a été bouleversée ces derniers mois. Toutes les estimations israéliennes indiquent que des dizaines de milliers de soldats ont été tués, blessés ou atteints psychologiquement depuis le début de la guerre à Gaza.
Étant donné qu’Israël n’est pas parvenu à soumettre les Gazaouis au cours de deux décennies d’efforts acharnés, il est non seulement improbable, mais carrément absurde d’espérer qu’il réussira aujourd’hui à soumettre et à conquérir Gaza.
Israël est lui-même parfaitement conscient de ce paradoxe inhérent, d’où son choix immédiat et brutal : la perpétration d’un génocide, un acte horrible destiné à ouvrir la voie au nettoyage ethnique des survivants.
Le premier a été exécuté avec une efficacité dévastatrice, une tache sur la conscience d’un monde qui est resté largement silencieux.
Le second, cependant, reste un fantasme irréalisable, fondé sur l’idée délirante que les Gazaouis choisiraient volontairement d’abandonner leur terre ancestrale.
Gaza n’a jamais été conquise et ne le sera jamais. En vertu des principes immuables du droit international, elle reste un territoire occupé, indépendamment d’un éventuel retrait des forces israéliennes à la frontière – un retrait que la guerre destructrice et futile de Netanyahu ne peut reporter indéfiniment.
Lorsque ce redéploiement inévitable aura lieu, les relations entre Gaza et Israël seront irrévocablement transformées, témoignant avec force de la résilience et de l’esprit indomptable du peuple palestinien.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
21 avril 2025 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Soyez le premier à commenter