Par Blake Alcott
Pour une raison ou une autre, Jeremy Corbyn et le Parti travailliste britannique qu’il dirige s’en tiennent à la solution à deux États à un moment où de plus en plus de pro-palestiniens y renoncent.
Est-il possible d’amener les travaillistes à soutenir une démocratie normale en Palestine, exempte du racisme et de l’apartheid que la gauche abhorre vraiment ?
Premièrement, voici ce qu’a dit M. Corbyn lors du Congrès du Parti travailliste qui s’est tenu à Liverpool la semaine dernière :
“Nous soutenons une solution à deux États au conflit, un état d’Israël sûr et un État palestinien viable et sûr. … Et pour permettre que le règlement à deux États devienne une réalité, nous reconnaîtrons un État palestinien dès que nous serons au pouvoir.”
Les délégués du parti, qui pourrait bientôt gouverner un membre du Conseil de sécurité, ont fait à cette déclaration une ovation debout de 35 secondes.
La reconnaissance d’un État palestinien peut, bien sûr, se faire sans porter préjudice à une solution à un seul État démocratique, mais il y a plusieurs contradictions dans le fait de se prononcer pour son antithèse, la solution à deux États.
De toute évidence, la solution à deux États est une injustice faite aux Palestiniens. Pendant cent ans, les Palestiniens ont constamment et unanimement rejeté la partition de leur patrie, plaçant ainsi la charge de la preuve sur quiconque prétend soutenir simultanément les aspirations palestiniennes et la solution à deux États.
De plus, cette solution prive en permanence les Palestiniens de plus de 80% de leur pays. Des deux États qui sont littéralement proposés, celui que prévoit pour eux la version actuelle des Grandes Puissances est un petit reliquat insultant, pas même souverain car, après tout, celui que les Israéliens juifs obtiennent doit être “sûr”. Et sa sécurité en tant qu’État juif repose sur l’exclusion d’autant de Palestiniens que possible.
La question de savoir si l’archipel de Cisjordanie et de la Bande de Gaza est “viable” ou non n’est pas pertinente. C’est son caractère indésirable et son injustice qui le sont.
Nous nous focalisons trop souvent cependant sur un seul des deux États, l’état palestinien, sans en même temps examiner l’état israélien ” reconnu ” et consolidé par la solution à deux États. Mais dans aucune version, la solution n’a rien à dire des droits des soi-disant citoyens non-juifs d’Israël, ni du droit des Palestiniens à plus de 90% de la terre en Israël, qui leur a été dérobée pour la jouissance exclusive des juifs.
Littéralement, la solution à deux états est une solution sioniste parce que l’un des deux états qu’elle veut imposer est l’état sioniste.
Le retour
Rien de neuf jusque là. Mais lorsque nous examinons la solution à deux États et que nous prenons en compte le droit au retour pour les plus de 8 millions de Palestiniens déplacés, le dossier est clos. Même la plus libérale des solutions à deux états envisagée n’accorde aucune place à ces personnes en Israël, où se trouvent les maisons et les terres où elles ont le droit de retourner. Cela détruirait totalement, numériquement et politiquement, la “sécurité” d’Israël tant qu’il se définit et se réalise, ainsi qu’il le fait , comme l’état des juifs. Il lui faudrait faire place à une démocratie standard.
Jeremy Corbyn, cependant, n’a pas mentionné le droit des Palestiniens au retour. Cela a dû être délibéré parce que juste avant et après la minute (minute 46) qu’il a consacrée à la Palestine, il a lancé un appel explicite et vibrant pour le retour de deux autres groupes de réfugiés : les Rohingyas et les Syriens.
Étrillant Aung San Su Kyi, dirigeante du Myanmar, il a dit : “Près d’un million de [Rohingyas] ont fui vers le Bangladesh voisin… Nous exigeons que le gouvernement du Myanmar mette fin à cet horrible nettoyage ethnique et permette aux Rohingyas de rentrer chez eux et de reconstruire leurs communautés et leur vie en toute sécurité. ”
A propos de la ” terrible guerre en Syrie “, il a dit qu’elle ” a causé des millions de réfugiés, dont j’ai rencontrés quelques uns en Jordanie cet été, des gens merveilleux et courageux, voulant à tout prix rentrer chez eux, voir la paix, se demandant comment leurs familles se débrouillent chez elles, à une courte distance de là…[On doit] arrêter les tueries, et donner à ces merveilleux réfugiés le droit, comme ils veulent, de rentrer dans leur propre pays “.
Nous sommes tellement immergés dans le récit sioniste que nous ne nous attendons même pas à ce que Jeremy Corbyn prononce des paroles similaires au sujet des réfugiés palestiniens, même en sachant qu’ils sont beaucoup plus nombreux et souffrent depuis plus longtemps que les autres groupes méritants. Le rétablissement essentiel de la justice sous la forme du droit au retour est irrémédiablement incompatible avec l’État d’Israël.
Mais ne devrait-il pas être possible de convaincre le Parti travailliste et des hommes et femmes politiques exceptionnellement honnêtes et bien informés comme M. Corbyn qu’il existe une incompatibilité et une contradiction à soutenir le retour des autres réfugiés mais pas celui des Palestiniens ?
Notre dilemme
Nous, les partisans internationaux de tous les droits de tous les Palestiniens, souhaitons bonne chance à M. Corbyn et sommes confrontés à un dilemme. Il a toujours eu le cœur à la bonne place en ce qui concerne bon nombre des droits d’un grand nombre de Palestiniens. Ses efforts courageux en faveur des droits des Palestiniens ont commencé il y a des décennies. Les applaudissements frénétiques du Parti travailliste des propos pro-palestiniens de son dirigeant donnent raison d’espérer, sans parler de l’adoption par le Congrès d’une résolution contre les ventes d’armes à Israël.
Mais les travaillistes – ou les nouveaux visages qui entreront bientôt au Congrès américain – peuvent-ils parcourir le reste du chemin ? Le problème réside dans les petits caractères. Bien qu’émotionnellement nous nous réjouissions grandement que M. Corbyn se soit partiellement distancié du courant dominant sur la question palestinienne, et bien que nous le défendions vivement contre les accusations absurdes d’antisémitisme (malgré la purge des critiques du sionisme par son parti) – la solution à deux états est tragiquement au centre du courant dominant.
Car M. Corbyn et les travaillistes réaffirment leur place dans le chœur des réactionnaires qui, la semaine dernière à l’ONU, faisaient une ultime tentative pour défendre la solution à deux États : Donald Trump , Emmanuel Macron, Benjamin Netanyahu, Abdel Fattah el-Sissi, le journal Haaretz et bien sûr le leader palestinien non élu Mahmoud Abbas.
Rien en principe contre d’étranges partenaires, mais ceci nous donne des raisons de marquer une pause. Au cours de cette pause, nous devons examiner de très près ce que signifie réellement la solution à deux États. En plus de son incompatibilité avec les quatre revendications de BDS, l’autodétermination, l’égalité au sein d’Israël, la désoccupation et le retour, il y a un an à peine, même Jérusalem a été dérobée !
Il se pourrait que le vol de Jérusalem soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase, ou plutôt la dernière pelletée de terre sur la tombe de la solution à deux États, qui a commencé à mourir dès 1938 lorsque le gouvernement britannique s’est rendu compte que la partition que proposait sa Commission Peel était une mauvaise idée inapplicable.
Déterminer si l’homme d’affaires Trump se rendra compte que soutenir Israël est de toute façon une ” mauvaise affaire ” et forcera Israël à accepter un Israël sans ” la Judée et la Samarie “, dépasse mes compétences. Mais avoir un Royaume Uni au Conseil de sécurité qui s’opposerait à l’enterrement des droits des Palestiniens dans deux États est une chose pour laquelle il vaut la peine de se battre, et nous devons donc faire pression de toute urgence sur les travaillistes.
Jeremy Corbyn a les connaissances, le cœur et les ressources pour aller au-delà des deux États, vers la démocratie et la fin qui n’a que trop tardé du colonialisme d’apartheid que son parti a le devoir de combattre. Nous devons essayer de lui montrer, ainsi qu’à son parti, ce qu’ils soutiennent réellement lorsqu’ils soutiennent un “Israël sûr” qui exclut littéralement tous les Palestiniens de leur patrie. C’est la meilleure chance pour les Palestiniens sur le plan international depuis 1947, mais le parti travailliste n’est pas encore tout à fait à la hauteur.
Auteur : Blake Alcott
* Blake Alcott est un économiste de l'environnement et le directeur de One Democratic State in Palestine (Angleterre). Son livre à paraître, The Rape of Palestine : A Mandate Chronology, comprend 490 exemples du dialogue, tel qu'il existait, entre les Britanniques et les Palestiniens au cours des années 1917-1948.Toute information concernant une activité relative à ODS ou au bi-nationalisme est la bienvenue et à envoyer à blakeley@bluewin.ch.
4 octobre 2018 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB