Par Abdel Bari Atwan
Trump s’est inspiré de sa politique envers certains des États arabes du Golfe mardi soir quand il s’est mis à accuser les Palestiniens d’ingratitude et d’insubordination dans un tweet. Nous payons aux Palestiniens des CENTAINES DE MILLIONS DE DOLLARS par an et nous n’obtenons en échange, ni reconnaissance, ni respect. Ils ne veulent même pas négocier, a-t-il déclaré. « Si les Palestiniens ne veulent plus parler de paix, pourquoi devrions-nous leur verser autant d’argent à l’avenir? »
C’est la même méthode, mais à l’envers que celle qu’il applique aux Etats du Golfe. Il a exigé d’eux des centaines de milliards de dollars en échange de sa protection militaire. Et il demande aux Palestiniens et à l’AP des « concessions » sur Jérusalem et la Cisjordanie en échange d’une maigre donation de 300 millions de dollars par an. Un chantage plus éhonté est difficile à imaginer.
Trump est passé maître dans l’art de l’extorsion de fonds, et il ne connaît pas d’autre manière de faire des affaires. Il s’agit de faire des affaires et des profits sans tenir compte de la morale, ni des valeurs, ni du droit international, ni d’aucunes considérations politiques, ni des droits humains. Il faut se soumettre aux diktats de Netanyahou – relayés par le gendre de Trump, Jared Kushner – sinon…
L’aide américaine à l’Autorité palestinienne a pour objectif de pacifier le peuple palestinien en le soudoyant, pour qu’il abandonne toute forme de résistance à l’occupation et ne s’occupe que d’améliorer ses conditions de vie au titre de la « paix économique » ; et pendant ce temps son élite dirigeante à Ramallah est arrosée de prêts, d’hypothèques, de belles voitures et d’autres pièges de luxe.
Les conditions de vie de la majorité des Palestiniens étaient bien meilleures avant l’avènement de l’AP et la signature des accords d’Oslo. Ils n’étaient pas plus prospères matériellement, mais leur slogan était « pain et dignité », et ils ont lancé un soulèvement populaire qui a gagné le respect du monde entier, dévoilé au grand jour les pratiques inhumaines de l’occupation, et remis en question « l’existence » même d’un État israélien. C’est la raison pour laquelle les esprits néocolonialistes occidentaux ont décidé de s’occuper d’eux et de concocter les accords d’Oslo.
Les porte-parole de l’AP ont dit qu’ils ne se soumettraient pas au chantage et que Jérusalem n’était pas à vendre, quel que soit le nombre de milliards de dollars qu’on leur propose. Ce sont là des paroles honorables. Mais l’important, c’est ce que l’AP va réellement faire pour contrer les décisions prises par Israël et Washington : l’adoption par Israël d’une législation pour s’approprier Jérusalem et légaliser les colonies de Cisjordanie qui empêchera tout accord de paix futur; et la reconnaissance de la conquête et de l’annexion de la ville sainte avec Jérusalem comme capitale de l’État d’occupation par Washington.
La première décision que l’AP a prise est de convoquer le Conseil Central Palestinien (CCP) la semaine prochaine – à Ramallah ! sous les yeux et les fusils de l’occupation ! – pour décider d’une réponse au « chantage » de Netanyahou et de Trump. Ses porte-parole – notamment le négociateur en chef Saeb Erekat – ont également exhorté les pays étrangers à déplacer leurs ambassades accréditées auprès de l’Autorité palestinienne à Jérusalem-Est, comme s’ils avaient le choix et la liberté de le faire. Il faut être idiot pour proposer une chose pareille !
Le CCP est censé être l’organe intermédiaire entre le Conseil national palestinien – le Parlement palestinien en exil – et le Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le mandat de ce dernier a expiré il y a vingt ans, et la majorité des factions qui le composent – à l’exception du Fatah et des fronts populaire et démocratique (FPLP et FDLP) – ont cessé depuis longtemps de représenter quoi que ce soir pour la population palestinienne. Environ la moitié des membres du PCC sont déjà au ciel avec leur créateur et l’autre moitié a largement dépassé l’âge de la retraite et se prépare à y aller. On n’y entend rarement la moindre critique car elles ne sont pas tolérées par le leader sacré Mahmoud Abbas.
Il y a environ un an, le CCP – réuni dans les locaux de l’AP à Ramallah – a pris une décision qui a fait la Une des journaux : il a mis fin à la coopération sécuritaire avec Israël. Cette initiative a été saluée par de vifs applaudissements, les délégués se sont mutuellement félicité de cet acte qui redonnait du lustre à l’OLP et renouait avec la résistance contre l’occupation. Mais tout cela est restée lettre morte. En pratique, rien n’a changé sur le terrain.
Le peuple palestinien a depuis longtemps perdu confiance dans l’AP, ses institutions et son leadership. Il aura fallu Trump et ses décisions pour les sortir du coma dans lequel ils sont plongés depuis la signature des Accords d’Oslo en 1993, et pour les débarrasser de l’AP qui les humilie, les assujettit et leur vend des illusions depuis 20 ans.
Encore une fois, je le répète, nous espérons ardemment que Trump mettra ses menaces à exécution et qu’il éloignera son calice empoisonné d’aide financière des lèvres de l’AP. Cela pourrait porter un coup fatal à l’influence des Etats-Unis au Moyen-Orient et peut-être même dans l’ensemble du monde islamique, et marquer le début d’une nouvelle ère dans laquelle les Palestiniens retrouveront leurs marques et se réuniront autour des valeurs actives de résistance et de respect de soi, sous une autre direction, une direction capable d’assumer cette responsabilité historique.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
8 janvier 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet