Criminaliser le combat contre l’occupation israélienne est la plus grande menace contre la liberté d’expression en Occident

Manifestation contre l’apartheid israélien, Northeastern University, avril 2014 - Photo : Maria Amasanti

G. Greenwald & A. Fishman – Le gouvernement du Royaume Uni a annoncé, ce jour, qu’il est désormais illégal pour « les conseils municipaux, les institutions publiques et même certaines associations universitaires d’étudiants… de refuser d’acheter des marchandises ou des services auprès de compagnies impliquées dans le commerce des armes, des combustibles fossiles, des produits du tabac, ou auprès des colonies israéliennes en Cisjordanie.
»


Ainsi, tout organisme qui soutient ou participe au boycott général des colonies israéliennes fera face à de « sévères sanctions », en vertu du droit pénal.

Cela peut sembler une atteinte extrême à la liberté d’expression et au militantisme politique – et, c’est le cas – mais c’est loin d’être inhabituel en Occident. C’est le contraire qui est vrai, aujourd’hui. Israël et ses défenseurs mènent une campagne très coordonnée et bien financée, dont le but est de criminaliser le militantisme politique contre l’occupation israélienne ; à cause de leur peur de voir réussir la campagne BDS (Boycott, Désinvestissements et Sanction), inspirée de la campagne de 1980 qui a fait tomber le régime d’apartheid en Afrique du Sud, un régime dont Israël était l’allié.

Le site web israélien +972 a signalé l’an dernier l’existence d’un projet de loi qui « interdira l’entrée aux étrangers qui font la promotion du mouvement [BDS], dont le but est de contraindre Israël à respecter le droit international et les droits des palestiniens ». En 2011, une loi a été adoptée par les Israéliens, laquelle « interdisait effectivement tout appel public au boycott – économique, culturel ou académique – contre Israël ou ses colonies en Cisjordanie, transformant cette action en un délit condamnable.

Mais le but de cette censure, en cours, est de faire du militantisme, un crime non seulement en Israël mais aussi dans les pays occidentaux, en général. Et ça marche.

Cette tendance à rendre hors la loi le militantisme contre les longues décennies d’occupation israélienne – en particulier mais pas seulement, à travers le boycott d’Israël – a touché plusieurs nations occidentales et leurs innombrables institutions. En Octobre, nous avons rapporté le cas des 12 militants condamnés en France « pour le ’’crime’’ d’avoir prôné des sanctions et un boycott contre Israël, afin de mettre fin aux longues décennies d’occupation militaire de la Palestine », les condamnations ont été confirmées par la Cour de Cassation. Ils ont été littéralement arrêtés et poursuivis pour « le port de chemises comportant les mots ’’longue vie Palestine, boycott Israël’’ et parce qu’ils « ont également distribué des prospectus disant qu’acheter les produits israéliens, c’est légitimer les crimes à Gaza »

Comme nous l’avons signalé, Pascal Markowicz, avocat principal du CRIF, organisation des communautés juives de France, a célébré le jugement dans une publication (dans un style emphatique) : « BDS est ILLEGAL en France ». Les déclarations en faveur du boycott et des sanctions, ajoute-t-il, « sont complètement illégales. Si [les militants BDS] proclament que leur liberté d’expression a été violée, aujourd’hui la plus haute juridiction française en a décidé autrement. »

L’an dernier, au Canada, des officiels ont menacé de poursuites pénales, toute personne soutenant les boycotts contre Israël.

Aux USA, il existe des interdictions pénales similaires contre ce type de militantisme, des condamnations passées inaperçues pour de nombreuses personnes, et un projet de loi en cours renforcera la mise hors la loi de BDS. Comme le rapporte, en juin dernier, le Washington Post, « une vague législative anti-BDS est en train de balayer les USA ». De nombreux projets de lois au Congrès étasunien encouragent ou appellent à des actions de l’État pour combattre BDS.

Le mois dernier, dans sa lettre d’opinion au New York Times, une lecture indispensable, Eyal Press nous prévient qu’un projet de Loi sur les douanes a été voté par les deux chambres du Congrès et adressé à la Maison Blanche : « les responsables américains auront l’obligation de traiter les colonies en tant que partie intégrante d’Israël, lors de futures négociations commerciales », une disposition visant spécifiquement « à combattre le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions, une campagne de terrain ».

Cependant, comme le note Press, en vertu de la loi en vigueur – qui n’est presque jamais discuté – « Washington interdit déjà aux compagnies américaines de coopérer avec les États qui boycottent Israël ».

Le véritable but de ce nouveau projet de loi, comme l’explique Press, c’est de forcer les compagnies américaines à considérer les colonies de Cisjordanie – vues comme illégales par pratiquement le monde entier – comme partie reconnue d’Israël, en criminalisant tout comportement jugé associé à un boycott des compagnies occupant la Cisjordanie. Les compagnies américaines seraient ainsi forcées de prétendre que les produits des Territoires Occupés sont en fait produits en « Israël ». La Maison Blanche a annoncé qu’elle ratifiera le projet de loi malgré son opposition à la disposition pro-colonies soutenue par l’AIPAC.

Selon Rahul Saksena de Palestine Legal « la disposition BDS dans le droit des douanes fédéral, et les douzaines de projets de lois anti-BDS mis en place par le Congrès et la législature d’État à travers les USA, illustrent jusqu’où iront les avocats et législateurs, les plus féroces d’Israël qui se mettent en quatre pour les adapter, afin de faire taire tout débat critiquant la politique israélienne et soutenant la liberté des Palestiniens ».

Dylan Williams, vice président des affaires gouvernementales pour J Street (opposé à BDS), s’est confié à The Intercept : « Les références de la Loi sur les douanes aux ’’territoires contrôlés par Israël’’ n’est qu’un exemple des efforts plus importants déployés pour dissimuler les termes floutés de la Ligne Verte dans la législation aussi bien au niveau de l’État qu’à l’échelle nationale. »

En vertu des lois en vigueur, les compagnies américaines ont été sanctionnées pour des actions jugées soutenant les boycotts dirigés contre Israël. Depuis des décennies, les compagnies étasuniennes et leurs filiales étrangères, par exemple ont été tenues, par la loi, de refuser de se conformer au boycott d’Israël par la Ligue Arabe. Les sanctions pour ceux qui n’obéissent pas vont jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.

En 2010, G M Daewoo Auto & Technology Company, une entreprise coréenne propriété de General Motors, a été condamnée à une amende de 88 500 dollars US par le Bureau de Conformité Anti-boycott ( Office of Antiboycott Compliance) pour 59 violations de la loi anti-boycott, incluant le ’’crime’’ d’avoir déclaré sur un formulaire des douanes : « nous attestons que le navire effectuant le transport…est autorisé à entrer dans les ports Libyens [sic] ». A cette époque, le droit libyen n’autorisait pas l’entrée des produits israéliens ou des navires qui se sont arrêtés en Israël, et la banale déclaration de la compagnie, en accord avec le droit libyen, a été jugée par le gouvernement US comme constituant un soutien au boycott d’Israël et la compagnie a alors été sanctionnée.

La répression du militantisme contre l’occupation est particulièrement importante dans les campus des collèges étasuniens. Ironie du sort, Aux USA, au cours de l’année dernière, il y a eu un large débat médiatique sur la censure dans les campus des collèges. Notamment, ceux qui ont le plus verbalement condamné cette censure et qui se sont présentés comme les croisés de la liberté d’expression – comme Jonathan Chait du New York Magazine – ont complètement ignoré ce qui de loin est la forme la plus répandue de censure de campus : à savoir, la répression de ceux qui militent contre les exactions israéliennes.

Cette censure de campus, au nom d’Israël, a été documentée l’an dernier par Palestine Legal, dans un rapport, sous le titre ’« L’exception palestinienne à la liberté d’expression ». L’effort de censure à l’échelle nationale a été illustré par le licenciement d’un professeur pro-palestinien, la suspension d’étudiants militant contre l’occupation menacés d’expulsion, le financement retiré aux groupes pro-palestiniens et même une mesure disciplinaire contre des étudiants dont le ’« crime » est d’avoir porté le drapeau palestinien.

Le rapport documente comment les groupes d’anciens étudiants et des campus pro-israéliens « ont intensifié leurs efforts pour étouffer les critiques de la politique du gouvernement israélien ». Le rapport explique : « au lieu de s’intéresser à la valeur de ces critiques, ces groupes ont usé de leurs ressources importantes et de leur pouvoir de lobbying pour mettre la pression sur les universités, les acteurs du gouvernement et les autres institutions afin de censurer ou punir les mobilisations en soutien des droits des palestiniens ».

Surtout, les étudiants et les administrateurs invoquent, pour justifier la censure de l’opinion anti-israélienne sur le campus, le même laïus sur les ’« espaces sécurisés »’ et les ’« discours de la haine »’ dénoncés par les prétendus spécialistes de la liberté d’expression. L’étudiant de l’Université de l’Illinois qui a poussé au licenciement de Steven Salaita à cause de ses tweets pro-Gaza, est lui-même un ancien stagiaire de l’AIPAC. Il a raconté au New York Times : « le discours de la haine ne doit jamais être accepté par ceux qui postulent pour un poste permanent ; l’incitation à la violence n’est jamais acceptable…un lien entre la liberté d’expression et la courtoisie doit exister ». Un autre étudiant pro-israélien qui a demandé le licenciement de Salaita a déclaré : « c’est pour se sentir en sécurité sur le campus ».

Il s’agit d’un cas extrême de censure répressive contre les campus – l’Université de l’Illinois a fini par payer à Salaita près d’un million de dollars pour régler les conséquences des poursuites – toutefois, ceux qui ont transformé la ’« censure de collèges »’ en une cause nationale n’ont presque rien laissé échapper à propos de ce cas ou des autres cas, nombreux, de répression de la critique contre Israël.

Aujourd’hui, il est devenu routinier que les étudiants qui se revendiquent du BDS ou qui travaillent contre l’occupation israélienne soient soumis à des sanctions disciplinaires ou d’autres formes de sanctions.

Comme le documente le rapport de Palestine Legal :

Les manœuvres autoritaires ont souvent l’effet attendu, conduisant les institutions à adopter un certain nombre de mesures punitives contre les militants des droits de l’homme, comme les sanctions administratives, la censure, les enquêtes intrusives, la répression des revendications en fonction du point de vue et même les poursuites pénales. Des efforts semblables intimident les militants pour les droits humains des palestiniens, ils paralysent la critique des pratiques du gouvernement israélien et empêchent le dialogue objectif sur la pressante question des droits des Palestiniens.

Ce rapport, le premier du genre, a documenté la répression de la mobilisation pour la Palestine aux USA. En 2014, Palestine Leg al – une organisation juridique à but non lucratif mobilisée pour la défense du militantisme pro-palestinien – a répondu à 152 actes de censure, sanction ou autre charge contre la mobilisation pour les droits des palestiniens, elle a reçu 68 requêtes supplémentaires pour une assistance légale en anticipation d’actes similaires. Pour la première moitié de 2015 seulement, Palestine Legal a répondu à 140 attaques et 33 requêtes pour assistance, en prévision d’actes potentiels de répression.

Ces chiffres sous-estiment le phénomène car beaucoup de défenseurs [des Palestiniens] qui ne connaissent pas leurs droits ou qui craignent plus de surveillance restent silencieux et ne dénoncent pas les actes de répression. La majorité écrasante de ces incidents – 89 % en 2014 et 80 % la première moitié de 2015 – ciblent les étudiants et les universitaires en réaction au rôle central, croissant, que jouent les universités dans le mouvement de défense des droits des palestiniens.


Comme nous l’avons rapporté en Septembre, l’université de Californie – le système académique le plus important du pays – a débattu de propositions pour rendre le militantisme BDS hors la loi, en l’assimilant de façon officielle à « l’antisémitisme » : comme si l’opposition à l’oppression du gouvernement israélien (une opposition partagée par de nombreux juifs) est en quelque sorte l’équivalent de, ou est fondamentalement régie par, l’hostilité envers les juifs. Ce qui est véritablement antisémite, c’est de confondre le gouvernement israélien avec les juifs (un sinistre cliché antisémite à la vie longue). C’est pourtant cette tactique orwellienne qui est utilisée pour justifier la pénalisation du militantisme contre l’occupation, puisqu’elle transforme ce militantisme en « antisémitisme » ou en « discours de la haine » et à partir de là, l’interdit.

La tentative de légaliser la répression de la mobilisation contre l’occupation sur les campus des collèges est ancienne et répandue. La législature de l’état de New York a passé « un projet de loi qui devrait suspendre la subvention des institutions éducatives qui financent les groupes boycottant Israël ».

Une telle législation est en train de se banaliser, comme s’est vanté le groupe United With Israel, le mois dernier :

La Floride est devenue le cinquième état des USA à introduire une résolution pour affronter le mouvement anti-israélien BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), lorsqu’elle a adopté une loi anti-BDS, le 21 Décembre, similaire à celle d’Avril dernier adoptée par l’état du Tennessee.

La Floride a ainsi rejoint le Tennessee, New York, l’Indiana et la Pennsylvanie. Trente-cinq autres états envisagent apparemment d’adopter une législation similaire.


Le louable et constant groupe FIRE qui œuvre pour la liberté de parole sur les campus, tout en exprimant quelques critiques du mouvement BDS, a dénoncé et documenté à plusieurs reprises les tentatives de criminaliser les revendications de BDS sur les campus :


La prise de position de FIRE, par rapport au mouvement BDS mobilisé contre Israël, est du à notre inquiétude pour la liberté académique – pour les étudiants et les enseignants et pour sa valeur continuelle en tant que concept significatif. Étudiants et enseignants doivent être entièrement libres de soutenir le boycott, le désinvestissement et/ou les sanctions contre Israël ou tout autre pays, s’ils le souhaitent et ils ne devraient pas être sanctionnés pour un tel soutien.

Comme vous pouvez vous y attendre, FIRE s’est opposé aux tentatives de sanctionner les organisations qui soutiennent BDS, et nous avons, sans doute, défendu les droits des enseignants d’être fortement critiques contre Israël – ou clairement tout autre pays, autre personne ou idée.


Cependant, cette tentative de censure pour interdire BDS et toute forme de critique contre Israël continue de croître, dans de nombreux pays du monde. Il n’est pas difficile d’en comprendre la raison. Le gouvernement israélien et ses défenseurs les plus puissants ont investi d’importantes sommes d’argent et un capital politique considérable dans la campagne d’institutionnalisation de la censure.

L’an dernier, le milliardaire Sheldon Adelson du Parti Républicain étasunien et le milliardaire du parti démocrate, Haim Saban ont fait un don de dizaines de millions de dollars US à un nouveau fonds afin de combattre BDS sur les campus des collèges. L’an dernier, toujours, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu « a décidé d’appliquer une résolution de 2014 afin de mettre en place un groupe de travail pour lutter contre les sanctions anti-israéliennes » ; ce groupe de travail a un pouvoir de financement de « quelques 100 millions de shekels israéliens (soit, à peu près, 25.5 millions de dollars US) ».

Rosie Gray de BuzzFeed a déclaré en 2014 que la loi anti-BDS est devenue un objectif majeur de l’AIPAC. Participant à la controverse de l’Université de Californie, le méga-riche banquier, Richard Blum, époux de la sénatrice Dianne Feinstein, a menacé l’université de mesures hostiles que prendraient sa femme, si l’institution n’adoptait pas les dispositions qu’il exige contre BDS.

Cela ne signifie évidemment pas que la répression du militantisme contre l’occupation est l’unique pression sur la liberté d’expression qui menace l’Occident. Les poursuites contre les musulmans occidentaux et leur liberté fondamentale d’expression sous prétexte de lois « antiterroriste », la déformation de la législation sur « le discours de la haine » et son utilisation comme moyen de punir les idées impopulaires, les menaces et les violences contre ceux qui publient des dessins jugés « blasphématoires » et la pression sur les médias sociaux pour interdire les idées que n’aiment pas les gouvernements sont toutes des menaces graves contre cette liberté fondamentale.

Mais elles ne sont pas comparables, en termes de sanctions officielles, systématiques et appuyées par l’État, contre la parole et le militantisme, aux efforts croissants de nombreuses nations pour criminaliser le militantisme contre l’occupation israélienne.

Rafeef Ziadah, un palestinien membre du Comité National palestinien du BDS a déclaré à The Intercept : « Israël a de plus en plus du mal à défendre son régime d’apartheid et son colonialisme de peuplement contre le peuple palestinien ainsi que ses massacres réguliers contre les Palestiniens à Gaza ; il recourt alors aux gouvernements étasunien et européen pour demander leur soutien, afin d’affaiblir la liberté d’expression, une façon de se protéger face aux critiques et aux mesures qui visent à lui faire rendre compte. »

Il est certainement légitime de contester BDS voire de militer contre ce mouvement mais, seuls les défenseurs de la tyrannie peuvent soutenir la proscription du même type de militantisme qui a permis de mettre fin à l’apartheid sud-africain pour la simple raison que cette fois, il vise l’occupation israélienne (certains leaders israéliens ont eux-même comparé l’occupation à l’apartheid).

Quoi qu’il en soit, observateurs et militants qui défilent en tant que défenseurs de la liberté d’expression en général et dans les campus – mais qui ignorent complètement cette tendance pernicieuse à l’effritement de la liberté d’expression – sont tout sauf d’authentiques adeptes de la liberté d’expression.

16 février 2016 – The Intercept – Traduction : Fadhma N’sumer