Par Ramzy Baroud
En conséquence, l’UNRWA traverse sa pire crise financière. Le déficit dans son budget est estimé à environ 217 millions de dollars et augmente rapidement. En plus des catastrophes à venir qu’entraîneraient la suppression des services et de l’aide humanitaire si nécessaires aux cinq millions de réfugiés enregistrés auprès de l’UNRWA, l’impact de la décision totalement folle des États-Unis se fait déjà sentir dans de nombreux camps de réfugiés de la région. À l’heure actuelle, l’UNRWA a fortement dégradé de nombreux services, licenciant de nombreux enseignants et réduisant le personnel et les heures de travail dans différentes cliniques.
Près de 40% de l’ensemble des réfugiés palestiniens vivent en Jordanie, un pays déjà submergé par un million de réfugiés syriens qui y ont trouvé refuge en raison de la guerre meurtrière qui sévit dans leur pays.
Conscients de la vulnérabilité de la Jordanie, les émissaires américains ont tenté de négocier avec ce pays sur les implications de l’exigence américaine de révocation du statut des deux millions de réfugiés palestiniens. Au lieu de financer l’UNRWA, Washington a proposé de redistribuer les fonds directement au gouvernement jordanien. Ainsi, les États-Unis espèrent que le statut de réfugié palestinien ne sera plus applicable. Sans surprise, la Jordanie [fort heureusement] a refusé la proposition américaine.
La nouvelle de ce troc raté a refait surface en août dernier. Selon des reportages, l’envoyé spécial du président américain Donald Trump, Jared Kushner, aurait tenté d’influencer le gouvernement jordanien lors de sa visite à Amman en juin.
Washington et Israël cherchent simplement à supprimer le droit au retour des réfugiés palestiniens, inscrit dans le droit international, de tout programme politique. Conjugué à la décision de Washington de “retirer Jérusalem de la table [des négociations]”, la stratégie américaine n’est ni irréfléchie ni impulsive.
“Il est important de déployer des efforts honnêtes et sincères pour casser l’UNRWA”, a écrit Kushner à l’envoyé américain pour le Moyen-Orient, Jason Greenblatt, dans un courrier électronique publié en janvier. Ce courriel, parmi d’autres, a par la suite été divulgué au magazine Foreign Policy. “Cette (agence) perpétue le statu quo”, a-t-il également écrit, qualifiant l’UNRWA de “corrompu, inefficace et ne favorisant pas la paix”.
Cette idée que l’UNRWA maintient le statu quo – c’est-à-dire les droits politiques des réfugiés palestiniens – est la raison principale de la guerre américaine contre l’organisation. Un fait qui est confirmé par les déclarations des plus hauts responsables israéliens. L’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon, a fait écho au sentiment américain. L’UNRWA “s’est révélé un obstacle au règlement du conflit en maintenant le statut de réfugié perpétuel des Palestiniens”, a-t-il déclaré.
Certes, la suppression des fonds alloués à l’UNRWA par les États-Unis coïncide avec la suppression de tous les programmes qui fournissent une aide quelconque au peuple palestinien. Mais le ciblage de l’UNRWA concerne principalement le statut des réfugiés palestiniens – un statut qui contrarie fortement Tel-Aviv depuis 70 ans.
Pourquoi Israël veut-il pousser les réfugiés palestiniens dans une situation dépourvue de statut ? Le statut de réfugié est déjà précaire. Être réfugié palestinien, c’est vivre perpétuellement dans un monde totalement instable – être incapable de récupérer ce qui a été perdu et incapable de façonner un avenir alternatif et une vie de liberté et de dignité.
Comment les Palestiniens peuvent-ils reconstruire leur identité qui a été brisée par des décennies d’exil, alors qu’Israël a constamment affirmé que son existence même était celle d’un “État juif” s’opposant au retour et au rapatriement des réfugiés palestiniens ? Dans la logique israélienne, la simple demande palestinienne pour la mise en œuvre du droit au retour – reconnu comme un droit par la communauté internationale – équivaut à un appel à la “destruction” d’Israël. Selon cette même logique tordue, le fait que le peuple palestinien survive et grandisse est une “menace démographique” pour Israël.
Il y a beaucoup à dire sur les circonstances qui ont présidé à la création de l’UNRWA par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1949, sur son fonctionnement et son efficacité. Mais pour la plupart des Palestiniens, l’UNRWA n’est pas une organisation de secours en soi. Être enregistré comme réfugié auprès de l’UNRWA donne aux Palestiniens une identité temporaire, la même identité qui a permis à quatre générations de réfugiés de traverser des décennies d’exil.
Le sceau de “réfugié” de l’UNRWA sur chaque certificat que possèdent des millions de Palestiniens – de leur naissance jusqu’à leur décès – sert de boussole pour marquer l’origine des réfugiés. Non pas les camps de réfugiés dispersés en Palestine et dans toute la région, mais les 600 villes et villages détruits lors de l’assaut sioniste sur la Palestine.
Ces villages ont peut-être été effacés quand un tout nouveau pays a été créé sur leurs ruines, mais la diaspora palestinienne est s’est maintenue – en résistant et se préparant à rentrer dans ses foyers. Le statut de réfugié de l’UNRWA est la reconnaissance internationale de ce droit inaliénable.
Par conséquent, la guerre américano-israélienne actuelle ne vise pas l’UNRWA en tant qu’organisme de l’ONU, mais en tant qu’organisme permettant à des millions de Palestiniens de conserver leur identité de réfugiés, disposant du droit non négociable à leur retour dans leur patrie ancestrale. Près de 70 ans après sa création, l’UNRWA demeure essentielle et irremplaçable.
Les fondateurs d’Israël avaient fantasmé un avenir où les réfugiés palestiniens se dissoudraient dans la population plus vaste du Moyen-Orient. Soixante-dix ans plus tard, les Israéliens entretiennent toujours cette même illusion. Aujourd’hui, avec le soutien de l’administration Trump, ils orchestrent des campagnes encore plus sinistres pour faire disparaître les réfugiés palestiniens, voulant pour cela détruire l’UNRWA et bouleverser le statut de réfugiés de millions de Palestiniens.
Le sort des réfugiés palestiniens ne semble avoir aucune importance pour Trump, Kushner et les autres responsables américains. Ceux-ci espèrent simplement que leur stratégie finira par mettre les Palestiniens à genoux pour qu’ils se soumettent aux diktats du gouvernement israélien.
Mais la dernière folie américano-israélienne échouera. Les administrations américaines successives ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour soutenir Israël et faire souffrir les Palestiniens prétendument intransigeants. Le droit au retour reste envers et contre tout le moteur de la résistance palestinienne, comme le prouve la Grande Marche du retour à Gaza, lancée depuis mars. La vérité est que tout l’argent entassé dans les coffres de Washington ne renversera pas la conviction profondément ancrée aujourd’hui dans le cœur et l’esprit de millions de réfugiés à travers la Palestine, le Moyen-Orient et le monde.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
26 septembre 2018 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah