Par Farah Najjar, Maram Humaid
Les civils dans l’enclave assiégée expriment leur colère face aux cruelles attaques israéliennes qui visent leurs maisons et leurs entreprises.
Gaza City – Ahmed Abu Saif a du mal à garder un visage impassible lorsqu’il regarde le tas de décombres de ce qui était auparavant un immeuble de cinq étages dont il était le propriétaire.
La structure est l’un des nombreux édifices civils qui ont été rasés au cours des dernières 24 heures à Gaza, alors que des jets israéliens pilonnaient l’enclave côtière assiégée et densément peuplée dans une montée des tensions.
“Je m’attendais à voir mon bâtiment brûlé un jour, simplement parce que je vis à Gaza”, a raconté mardi à Al Jazeera le propriétaire de l’immeuble, al-Rahma, âgé de 64 ans.
“Tout à Gaza sert de cible, peu importe à qui cela appartient”, a-t-il poursuivi. “L’occupation ne fait pas la différence. Pour eux, un Palestinien est un Palestinien”.
Mardi, la branche armée du Hamas, le groupe chargé de l’administration de la bande de Gaza, a annoncé qu’il concentrerait les attaques et les tirs de roquettes sur les villes israéliennes d’Ashdod et de Beersheba si Israël continue de lancer des raids aériens sur des bâtiments civils.
La déclaration des brigades al-Qassam a été publiée plusieurs heures après qu’une roquette en provenance de Gaza ait tué un Israélien dans la ville côtière d’Ashkelon.
Au moins sept Palestiniens ont été assassinés dans des attaques israéliennes depuis lundi dernier, dans la pire provocation de flambée de violence depuis l’agression israélienne de 2014 sur la bande de Gaza.
L’escalade est survenue après la mort d’au moins sept autres Palestiniens dimanche dans le cadre d’une opération israélienne secrète, à laquelle le Hamas a répondu par des tirs de roquettes depuis Gaza. Un soldat israélien a également été tué lors du raid clandestin près de Khan Younis.
“Je me sens paralysé”
Le bâtiment d’Abu Saif, maintenant effondré, servait de bureau à plusieurs organisations non gouvernementales et aux médias. Il y avait aussi une cuisine louée par Nayef al-Madhoun, un père de six enfants âgé de 45 ans qui dirigeait une entreprise de restauration.
“Certaines personnes m’ont appelé [lundi soir] et m’ont dit que le bâtiment avait été touché par un avion de combat F-16”, a déclaré al-Madhoun à Al Jazeera ce mardi.
“Je suis parti en courant de chez moi, qui n’est pas très loin d’ici, et j’ai vu alors que le bâtiment avait été bombardé”, a-t-il raconté, debout devant la masse de métaux tordus, de blocs de ciment et de morceaux de bois.
Al-Madhoun a expliqué qu’il n’y avait “rien” dans le bâtiment qui aurait pu constituer une menace pour l’armée israélienne.
Abu Saif, le propriétaire, ne pense pas qu’il parviendra jamais à reconstruire al-Rahma. “Je me sens paralysé”, dit-il.
Après la première série de sirènes d’alerte, il a été contacté par des personnes du même secteur qui l’ont informé de l’attaque. Mais il a refusé de se précipiter tout de suite sur les lieux.
“Que je sois venu ou pas la nuit dernière, le résultat aurait été le même”, a déclaré Abu Saif, la voix brisée. Il avait espéré que cet immeuble l’aiderait à vivre ses derniers jours comme retraité.
“J’ai vécu et travaillé en Arabie saoudite pendant 40 ans. J’avais investi toutes mes économies dans la construction de cet immeuble afin de pouvoir disposer d’un revenu stable qui me permettrait de vivre mes années de retraite”, a-t-il déclaré.
“Attaques aveugles”
L’armée israélienne a renforcé ces derniers jours son déploiement le long de la barrière fortifiée qui enferme Gaza. Le territoire subit un blocus paralysant imposé par les Israéliens et les Égyptiens, et ce depuis 12 ans déjà.
La dernière série d’affrontements a eu lieu à un moment où le Hamas et Israël semblaient s’être rapprochés d’une trêve dans le cadre des efforts de médiation déployés par l’Égypte, les Nations Unies et le Qatar.
Alors que les raids aériens se poursuivaient mardi, les habitants de sites bombardés à Gaza ont affirmé être la cible “d’attaques aveugles“.
“Nous n’avions aucune idée que ce bâtiment deviendrait un jour une cible”, a déclaré à Al Jazeera, Ahmed Nasser, qui vivait dans un immeuble résidentiel de sept étages.
Il a ajouté que des médecins, des pharmaciens et des ingénieurs, tous sans aucune “affiliation politique”, résidaient dans le bâtiment situé au centre de Gaza.
Selon Nasser, parmi ceux qui ont dû évacuer dans la précipitation, il y avait une mère avec un nouveau-né et une femme âgée dans un fauteuil roulant, hurlant de terreur alors qu’ils sortaient avec juste “leurs vêtements sur le dos”.
“Ils ont tous commencé à évacuer le bâtiment après avoir entendu les sirènes, mais à mi-chemin, des jets israéliens ont commencé à tirer en direction du quartier”, a déclaré sur le lieu de l’attaque ce père de deux enfants.
Nasser a dit également qu’il avait perdu plus que les murs abritant sa famille. “Je n’ai pas pu pas conserver mes certificats de collège et de Master, même mon passeport et mes documents officiels ont maintenant disparu.”
Comme beaucoup dans l’enclave assiégée, qui abrite plus de deux millions de personnes, Nasser est au chômage en raison de la situation économique difficile dans laquelle se trouve Gaza.
Le siège a dévasté l’économie locale, limitant considérablement l’entrée de produits alimentaires et l’accès aux services de base. Il a également stoppé le flux de matériaux de construction nécessaires pour reconstruire une grande partie des infrastructures endommagées en 2014 dans l’enclave.
Depuis le 30 mars, les Palestiniens de la bande de Gaza manifestent contre Israël le long de la clôture, réclamant leur droit de retourner dans leurs foyers et les terres d’où leurs familles ont été expulsées il y a 70 ans.
Les manifestants exigent également la fin du blocus israélien.
De retour à Al-Rahma, al-Madhoun, propriétaire d’une entreprise de restauration, a jeté un coup d’œil sur les décombres alors qu’il commençait à penser à l’avenir. “C’était la source de revenu de ma famille toutes ces trois dernières années”, a-t-il déploré. “Jusqu’à hier soir, 15 personnes travaillaient avec moi et c’était aussi leur source de revenus… Nous avons tous perdu notre gagne-pain.”
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.Auteur : Maram Humaid
Auteur : Farah Najjar
13 novembre 2018 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine