Par Abdel Bari Atwan
Le premier était la participation d’une délégation israélienne à un tournoi sportif au Qatar. Le second était l’envoi d’une autre délégation sportive dans l’émirat d’Abou Dhabi, dirigée par la ministre de la Culture israélienne notoirement raciste et haineuse, Miri Regev. Mais le coup le plus dur et le plus douloureux a été la visite officielle du Premier ministre de l’État d’occupation, Binyamin Netanyahu, à Oman, où lui et la délégation qui l’accompagnait ont reçu un accueil chaleureux et ont rencontré le sultan Qaboos.
Il s’agit d’une opération de normalisation coordonnée menée sous la pression des États-Unis. Cela n’a absolument rien à voir avec la paix israélo-palestinienne, mais tout à voir avec la réalisation d’une paix “sans frais” entre Israël et les gouvernements arabes. Ceci est un prélude à l’imposition de ce qui subsiste du “Deal of the Century“, qui revient à exploiter l’effondrement de l’ordre arabe officiel pour liquider la cause palestinienne, mettre fin au conflit israélo-arabe et reconnaître Israël comme un pays “frère” du Moyen-Orient.
C’est le dernier et peut-être le plus important épisode d’un processus planifié, ce qui explique les raisons qui ont conduit à la destruction de l’Irak, puis de la Syrie, puis de la Libye et, plus tard du Yémen, et à la paralysie de l’Égypte. Sans la destruction de ces pays, sous divers faux prétextes, ce plan ne pourrait être mis à exécution et nous n’aurions jamais vu ses douloureuses conséquences sous la forme d’étapes de normalisation.
Lorsque le Qatar et l’Oman ont consenti à l’ouverture de bureaux de commerce israéliens dans leurs capitales en 1996, et ont reçu des responsables israéliens tels que Yitzhak Rabin (à Mascate en 1994) et Shimon Peres (à Mascate et à Doha en 1996), ils ont déclaré que cela visait à encourager le processus de paix israélo-palestinien et à créer un climat propice aux négociations. Après tout, l’OLP avait déjà signé les accords d’Oslo (en septembre 1993), suivis de la conclusion par la Jordanie du traité de Wadi Arba.
Ironiquement, Oman avait adopté une position audacieuse en ordonnant la fermeture du bureau commercial israélien en octobre 2000, soit il y a 18 ans. Un communiqué publié à l’époque par le ministère des Affaires étrangères omanais déclarait que la mission avait été fermée conformément à la politique omanaise consistant à “soutenir la cause palestinienne … et à défendre les droits fermes et légitimes du peuple palestinien”. La déclaration ajoutait que le pays “reste attaché à une paix juste et durable, mais sur des critères qui défendent les opprimés, protègent les lieux saints et rétablissent les droits de ceux à qui ils sont dus”. La question est donc de savoir ce qui a changé à présent ?
L’Oman et le Qatar avaient fermé les bureaux de représentation commerciale en signe de protestation contre l’invasion israélienne dans la région censée être sous le contrôle de l’Autorité palestinienne et contre le massacre brutal du sang palestinien par les forces de sécurité israéliennes. La campagne actuelle de normalisation dans le Golfe intervient à un moment où les forces israéliennes sont engagées dans le même type de comportement meurtrier. Le jour où Netanyahu, son épouse et le chef du Mossad sont arrivés à Mascate, six Palestiniens désarmés ont été assassinés dans la bande de Gaza, où deux millions de musulmanes et de musulmans sont assiégés et font face au spectre de la faim et de la maladie.
Il n’existe aucun processus de paix que les trois États – Oman, Émirats arabes unis et Qatar – puissent prétendre soutenir en accueillant des délégations israéliennes. Et le gouvernement israélien n’a tenu aucun compte des critères que ces trois gouvernements ont insisté pour qu’ils soient défendus : défendre les droits des opprimés, protéger les lieux saints et rétablir les droits de ceux à qui ils sont dus. Israël a judaïsé Jérusalem, le président américain Donald Trump reconnaissant qu’elle est la capitale éternelle de tous les juifs du monde, et Jason Greenblatt devrait dévoiler le “Deal of the Century” dans la région la semaine prochaine. Il apportera avec lui le cercueil de la cause palestinienne et creusera une tombe pour l’enterrer à Ramallah en légitimant la colonisation, en consacrant la “paix économique” (les pots-de-vin) et en annulant le droit au retour une fois pour toutes.
Le ministre des Affaires étrangères omanais, Yousef Bin-Alawi, a annoncé vendredi que la visite de Netanyahu, qui avait été précédée par celle du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait eu lieu dans un “contexte bilatéral” à sa demande. “Nous ne sommes pas des médiateurs”, a-t-il ajouté, “le rôle des États-Unis est le rôle principal et Israël est un État de la région du Moyen-Orient”. Cela suggère plus qu’une simple visite ponctuelle. Nous ne pouvons pas exclure que Netanyahu rentre bientôt à Mascate pour y ouvrir une ambassade israélienne, ainsi que d’autres ambassades à Doha, Manama et Abou Dhabi et peut-être aussi à Riyad. Car on parle de “relations bilatérales” normales.
Le Sultanat d’Oman a gagné l’admiration de millions d’Arabes, y compris nous-mêmes, en se tenant à l’abri de nombreuses guerres et de projets destructeurs pour la région, en particulier les guerres au Yémen et en Syrie et plus tôt en Irak. Il s’est également assuré de maintenir des relations équilibrées avec l’Iran et a refusé d’être extorqué et entraîné dans les plans de confrontation américaine contre Téhéran. Il est difficile de comprendre ce qui a poussé les dirigeants omanais à gaspiller cet immense atout d’admiration et de respect en accueillant un criminel de guerre comme Netanyahu, alors que la cause de la Palestine est mise à l’écart et que son peuple est en état de siège et subis des meurtres brutaux.
Nous nous serions attendus à ce que la première visite de Netanyahu dans un pays arabe se fasse à Riyadh compte tenu du rapprochement secret entre les deux parties. Mais la visite choquante à Mascate ne sera probablement que le prélude à d’autres visites plus ouvertes, à l’ouverture d’ambassades, à l’échange d’intérêts et à une coordination renforcée en matière de sécurité – notamment contre les Palestiniens et tous ceux qui les soutiennent dans la tranchée de la résistance et défendent les valeurs de justice et de dignité. Le processus de normalisation devait commencer aux périphéries avant de s’implanter au cœur de la région, d’où la focalisation antérieure sur la Mauritanie à l’extrême ouest du monde arabe.
Nous condamnons et rejetons sans réserve toutes ces formes de normalisation. Mais avant de dénoncer les normalisateurs, nous devrions blâmer l’Autorité Palestinienne qui les a précédés et leur a ouvert les portes. Il faut bien préciser que cette “autorité” ne représente pas le peuple palestinien. Sa politique de reconnaissance et de coopération avec l’occupation ne bénéficie d’aucun soutien ou approbation populaire. Le peuple palestinien ne se rendra jamais et n’abandonnera jamais ses droits, même si certains de ses frères arabes le font. Et nous sommes convaincus que les peuples des États arabes du Golfe n’accepteront jamais cette normalisation et y résisteront, comme le peuple égyptien l’a fait et le fait, ainsi que les peuples de tous les pays arabes.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
28 octobre 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine