Par Gideon Levy
Le rédacteur en chef du Haaretz, Aluf Benn, a offert une analyse remarquable des 100 premiers jours du Premier ministre Naftali Bennett dans un article publié hier.
Contrairement à la secte des “tout le monde sauf Bibi”, qui est amoureuse d’elle-même et ne peut s’empêcher de s’extasier sur le changement de style introduit par Bennett – la façon dont il complimente ses ministres et comment nous n’entendons absolument rien sur les membres de sa famille – Benn a minimisé à juste titre l’importance du style, auquel les gens s’accrochent maintenant avec ravissement, et il est allé droit au but : “[Bennett] s’achemine progressivement et avec détermination vers un seul État avec des millions de Palestiniens devenus des sujets”, écrit Benn.
Mais ce n’est pas seulement “un [seul] État” que Bennett est en train d’installer. Il est en train d’établir un État d’apartheid. Le mot “apartheid” doit désormais apparaître dans tous les documents. L’apartheid sera le deuxième prénom d’Israël, au moins à partir du moment où son premier ministre a déclaré qu’il ne voyait aucun intérêt dans un accord de paix avec les Palestiniens et que l’occupation est à ses yeux éternelle.
Bennett a au moins le mérite de dire la vérité : il a mis fin à la mascarade d’un processus de paix, qui n’était pas un processus et n’a jamais eu pour but de parvenir à la paix. Son prédécesseur a un jour marmonné quelque chose à propos de “deux États”, ce qui est maintenant également liquidé. C’est une évolution positive.
Bennett a également déclaré qu’il ne rencontrerait pas le président palestinien Mahmoud Abbas. C’est également une bonne chose. Quel est l’intérêt d’une séance de photos de plus dans une série qui n’a jamais, et je dis bien jamais… cherché à aboutir à un accord équitable.
Leur seul but était de se mettre dans les bonnes grâces des Américains et des Européens, afin qu’ils laissent Israël continuer à consolider l’occupation, à construire plus de colonies et à procéder à un nettoyage ethnique plus poussé.
À quoi bon faire des déclarations sur une solution à deux États, à propos de laquelle pas un seul premier ministre n’était sincère, s’il est possible de dire “un État” sans contrarier personne. C’est le point important que Benn a remarqué : Bennett est le premier à le faire sans fâcher personne.
Le dit “camp de la paix israélien” et le reste du monde s’amourachent de ce fondateur de l’apartheid qui a l’intention de tuer le rêve palestinien en douceur et va même jusqu’à le dire. Ce n’est pas que le rêve n’était pas déjà mort, mais maintenant il est même impossible de rêver.
Le mot “Apartheid” doit être dit, non pas pour sa beauté lyrique mais comme un coup de poing à la face du monde qui file le train à Bennett. Les présidents américain et égyptien ont fait des pieds et des mains pour embrasser ce nouveau non-Netanyahu, et quelqu’un doit leur rappeler qui ils embrassent.
Un nombre considérable de dirigeants mondiaux, y compris notre propre Yitzhak Rabin, ont embrassé le Premier ministre sud-africain John Vorster et ont ensuite eu des regrets et peut-être même de la honte. Maintenant, le monde embrasse Bennett, un homme affable, humble, pragmatique, talentueux et sain d’esprit, sans voir ce qui se cache derrière l’homme à qui ils donnent l’accolade.
Eh bien, mes chers Européens, Arabes et Américains, vous vous enthousiasmez pour un apartheidiste assermenté. Ne vous méprenez pas. Vous devriez vraiment le croire quand il dit qu’il n’a aucune intention de permettre la création d’un État palestinien.
Bennett a définitivement opté pour l’apartheid… et il doit y avoir un prix à payer pour cela dans le monde au-delà d’Israël.
Comme il était émouvant de le voir présenter des excuses publiques à la famille d’un soldat israélien, Barel Hadaria Shmueli. Comme il était choquant et troublant de comprendre sa vision de 5 millions d’êtres humains destinés à vivre pour toujours comme des sous-hommes. Voilà l’homme que vous embrassez, Joe Biden, Angela Merkel et Abdel-Fattah al-Sissi. Hé le monde, vous êtes réveillés ?
Auteur : Gideon Levy
* Gidéon Lévy, né en 1955, à Tel-Aviv, est journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz. Il vit dans les territoires palestiniens sous occupation. Gideon Levy a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996.Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009. Son compte Twitter.
19 septembre 2021 – Haaretz – Traduction : Chronique de Palestine