Dans ce dossier politique, Nora Lester Murad, membre politique d’Al-Shabaka, examine l’aide à travers le prisme de la « complicité » et révèle les lacunes dans les cadres juridiques actuels. Elle soutient que quelles que soient les limites du droit applicable, les acteurs de l’aide internationale sont fondamentalement responsables envers ceux qu’ils cherchent à aider et doivent être tenus responsables des maux qu’ils causent ou permettent. Elle identifie les domaines dans lesquels les questions doivent être posées et conclut en exposant quelques-unes des étapes que la société civile palestinienne et le mouvement de solidarité internationale doivent suivre.
Huit questions concernant l’aide accordée aux Palestiniens
Les Palestiniens ont le droit de demander une aide internationale et les donateurs ont l’obligation de la leur fournir. Néanmoins, la manière dont cette aide a été fournie pourrait en réalité faciliter les violations des droits des Palestiniens prévus par le droit international humanitaire (DIH). L’incapacité des acteurs internationaux à agir en conformité avec leurs obligations en tant qu’États tiers et acteurs non étatiques permet au statu quo de se poursuivre, rendant ces acteurs coupables de violations continues.
En réalité, plusieurs facteurs qui sont en fait sous le contrôle du système d’aide internationale se cristallisent dans un régime d’aide qui facilite les violations des droits des Palestiniens. Ces facteurs sont les suivants : 1) La catégorisation par les donateurs de la situation des Palestiniens vivant sous l’occupation israélienne comme une situation « d’urgence », reprise année après année, donne lieu à des interventions à court terme qui perpétuent le besoin en se focalisant sur les symptômes plutôt que sur les causes ; 2) La politique de non-confrontation avec Israël, quels que soient ses agissements, véhicule un acquiescement international et contribue à l’impunité d’Israël ; et 3) Le manque de responsabilité du système d’aide même lui a permis de marginaliser les Palestiniens et de favoriser un égoïsme.
Quant à la question de savoir si cela atteint le seuil légal permettant de juger les acteurs de l’aide internationale « complices », il est préférable de la laisser aux experts juridiques. Si tel est le cas, on espère que ces experts proposeront des remèdes accessibles aux Palestiniens par des voies légales ou dans le domaine politique. Voici huit questions qui doivent être posées sur l’aide internationale telle qu’elle est structurée actuellement.
1. L’aide accordée aux Palestiniens aide-t-elle Israël à se soustraire à ses obligations prévues par la quatrième Convention de Genève ?
Compte tenu de la dépendance prolongée des Palestiniens vis-à-vis de l’aide internationale, on peut soutenir que l’aide accordée aux TPO décharge effectivement Israël, en tant que puissance occupante, de son obligation de protéger les civils palestiniens et de veiller à ce que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits, prévue par l’article 60 de la quatrième Convention de Genève. L’aide subventionne également l’occupation en libérant des fonds qui paient les violations commises par Israël et en aidant directement Israël à se soustraire à ses obligations envers la population protégée.
En outre, lorsqu’Israël met à mal des projets financés par les donateurs par le biais de démolitions, de bombardements ou d’autres attaques, les donateurs internationaux répondent rarement avec plus que de légères objections. Ils n’ont jamais agi de façon systématique pour réclamer des réparations ou des compensations de la part d’Israël. Au contraire, ils continuent de présenter des financements pour reconstruire, déchargeant ainsi Israël de sa responsabilité pour ses actions.
2. Les acteurs de l’aide internationale contribuent-ils à « donner effet » au blocus illégal d’Israël sur Gaza lorsqu’ils s’adaptent à des procédures qui entravent l’aide humanitaire ou l’aide au développement ?
La première session internationale du Tribunal Russell sur la Palestine a conclu que le fait de s’adapter au blocus d’Israël sur Gaza afin de fournir une aide humanitaire – et/ou justifier la non-fourniture d’une aide au développement – peut, sur une période prolongée, « donner effet » au blocus israélien sur la bande de Gaza, en violation de l’article 33 de la quatrième Convention de Genève, qui interdit les peines collectives (voir l’article 19.9 des conclusions du tribunal). Cette situation est comparable à la décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) selon laquelle le mur d’annexion en Cisjordanie et son régime associé créent un « fait accompli » sur le terrain qui pourrait devenir permanent et équivaudrait à une annexion.
En effet, une étude réalisée en 2011 à Gaza a révélé que les organisations internationales n’ont pas suffisamment remis en question le cadre politique dans lequel elles ont apporté leur soutien. D’autres études ont montré que les acteurs de l’aide internationale n’épargnaient aucun effort pour se conformer aux exigences israéliennes, même si cela se répercutait considérablement sur le coût de l’aide. En conséquence, ils ne répondent pas pleinement à l’impératif humanitaire d’intervention tel que défini par le Code international de conduite en matière de secours en cas de catastrophe, même lorsque la crise de Gaza est au plus fort. Il convient de noter qu’en vertu du Statut de Rome, le fait d’empêcher intentionnellement l’envoi des secours prévus par les Conventions de Genève peut, dans des cas extrêmes, constituer un crime de guerre (article 8.2) b) xxv)).
3. La fourniture d’une aide militaire à Israël, dont Israël se sert pour violer les droits des Palestiniens, constitue-t-elle une violation de l’article premier commun aux quatre Conventions de Genève ?
Les États-Unis et les pays européens fournissent une aide militaire et des armes qui contribuent à l’agression israélienne. Cette aide militaire fait partie intégrante de la même politique étrangère qui dirige les mécanismes d’« aide » de ces gouvernements.
Un exemple flagrant est la décision prise le 1er août 2014 par le Congrès américain d’allouer une aide supplémentaire de 225 millions de dollars au système israélien « Dôme de fer » deux jours seulement après la sixième attaque israélienne contre des installations des Nations Unies – le bombardement du camp de réfugiés de Jabaliya –, que des hauts responsables de l’ONU ont décrite comme une « grave violation du droit international ». Même en supposant que l’aide était destinée à la défense d’Israël, c’est le signe d’un mépris pour le droit national américain comme pour le droit international qui interdit la fourniture d’aide facilitant des violations. Le président américain Barack Obama, expert en droit constitutionnel, a pu avoir ceci à l’esprit lorsqu’il a retardé peu de temps après la livraison des missiles promis à Israël.
Un autre exemple est l’exportation d’armes et de composants d’armes par les États membres de l’UE vers Israël, dont une partie a été utilisée pendant le conflit à Gaza en décembre 2008 et en janvier 2009 et pourrait avoir servi à commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En réalité, malgré les objections britanniques face à l’attitude israélienne dans cette agression, les ventes d’armes du Royaume-Uni à Israël auraient augmenté par la suite en violation de la législation de l’UE et ont probablement donné à Israël les moyens militaires pour son agression de 2014 contre Gaza.
Outre leur obligation d’assurer le respect des droits des Palestiniens, les États ont l’obligation de veiller à ce que les armes et munitions qu’ils fournissent ne soient pas utilisées pour commettre des violations du DIH et des droits de l’homme, conformément à l’article premier commun aux quatre Conventions de Genève, qui oblige les Hautes Parties contractantes à respecter et à faire respecter le DIH ainsi que les principes du Traité sur le commerce des armes récemment adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies.
4. L’adaptation des acteurs de l’aide internationale à des politiques nationales antiterroristes discriminatoires entre-t-elle en violation avec le principe humanitaire d’impartialité ?
La mise en œuvre de politiques antiterroristes mal conçues qui nécessitent une discrimination contre des partenaires et des bénéficiaires uniquement sur la base d’une affiliation politique supposée semble constituer une violation du principe humanitaire d’impartialité. On peut ainsi considérer que les donateurs internationaux et les ONG internationales qui prônent ou respectent ces politiques commettent une violation de leur mandat humanitaire ; de nombreuses dispositions de la politique antiterroriste sont également illogiques et donc sujettes à interprétation et à des abus. Comme l’a suggéré le Tribunal Russell, il n’est pas logique que l’UE suspende ses relations avec le Hamas alors qu’elle entretient des relations avec Israël, un État qui viole le droit international à beaucoup plus grande échelle (voir article 27).
En outre, les recherches menées à Gaza ont révélé qu’en raison notamment des politiques antiterroristes, dont la politique de non-contact, l’implication internationale à Gaza alimentait directement la fracture factionnelle entre le Fatah et le Hamas et était source de responsabilisation réduite, de corruption et de militarisation.
5. L’aide accordée à l’Autorité palestinienne renforce-t-elle le déni des droits des Palestiniens ?
Les experts palestiniens des droits de l’homme se réfèrent systématiquement aux accords d’Oslo et au Protocole de Paris comme des repères historiques de la détérioration des droits des Palestiniens, à la fois en raison des restrictions imposées aux Palestiniens devenues par conséquent légales et du type d’aide politiquement compromise qui a suivi. Les acteurs internationaux prétendent souvent qu’ils ne peuvent pas être appelés à défendre plus énergiquement les droits des Palestiniens que l’Autorité palestinienne elle-même. Cela implique que l’Autorité palestinienne est indépendante de toute influence extérieure, alors qu’en réalité, elle n’est même pas une entité viable sans aide internationale. Il en résulte une situation absurde : l’AP doit céder aux exigences internationales, mais les acteurs de l’aide internationale s’en servent ensuite comme d’une excuse pour abandonner leur obligation d’assurer le respect des droits des Palestiniens.
En réalité, les articles 7 et 8 de la quatrième Convention de Genève stipulent qu’aucun accord international ne peut porter atteinte aux protections garanties par le DIH. En outre, étant donné que l’AP entrave fréquemment les droits des Palestiniens en tant qu’agent de la puissance occupante israélienne, il se pourrait que l’aide internationale accordée à l’AP, en apparence en réponse à une demande de la population protégée, facilite en réalité les violations de la quatrième Convention de Genève par Israël.
6. Les politiques d’approvisionnement en aide qui permettent à Israël de tirer profit de ses abus contre les droits des Palestiniens encouragent-elles de nouvelles violations ?
L’agression israélienne est source de profit pour Israël. L’administration de politiques d’approvisionnement en aide qui permettent à Israël et aux entreprises israéliennes de générer des profits, en particulier celles qui sont associées à des violations du DIH, incitent effectivement à perpétrer de nouvelles agressions. Par exemple, en mai 2012, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) aurait invité un entrepreneur israélien opérant dans des colonies israéliennes à soumissionner pour une usine de dessalement à Gaza, suscitant une menace de boycott de la part du syndicat des entrepreneurs palestiniens. En outre, en janvier 2014, le PNUD a octroyé un contrat de 5,1 millions de dollars à Mifram, une entreprise israélienne qui fournit des postes de contrôle à l’armée israélienne.
D’après les conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine, les violations du DIH, y compris celles commises par Israël au cours de l’assaut contre Gaza de 2008–2009, ainsi que l’établissement de colonies israéliennes illégales et la construction du mur illégal, constituent des crimes de guerre et/ou des crimes contre l’humanité. De plus, le Tribunal Russell a noté que ces crimes ont été commis avec des armes, des matériaux, des équipements et des services fournis par des sociétés telles qu’Elbit Systems, Caterpillar et Cement Roadstone Holdings et que ces sociétés pourraient être « responsables de complicité dans ces crimes et de violations du droit international ».
Au lieu d’assumer leurs responsabilités en vertu du droit international, de nombreux acteurs de l’aide internationale se sont ouvertement distanciés du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Certains ont implicitement ou explicitement menacé de cesser de financer les ONG palestiniennes qui font la promotion du mouvement BDS.
7. Le fait de traiter Israël comme un « cas spécial » érode-t-il les notions fondamentales et l’universalité du droit international humanitaire ?
La non-application des règles et des normes internationales existantes peut être interprétée comme un soutien aux violations israéliennes du droit international, engageant ainsi une responsabilité à la lumière du projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des États (article 16). Cela s’applique en particulier au recours au soi-disant processus de paix comme un moyen de retarder la concrétisation des droits palestiniens. Tant que le « processus de paix » est en marche, Israël est effectivement dispensé de toute responsabilité vis-à-vis du droit international. La quatrième session du Tribunal Russell a souligné que l’absence d’« action concrète de l’ONU pour tenir Israël pour responsable de ses violations constitue un fait internationalement illicite » (voir article 15).
En outre, dans les Territoires palestiniens occupés – et en particulier à Gaza – peu d’efforts voire aucun sont fournis pour se conformer aux accords déclaratoires et aux orientations politiques sur l’aide au développement, comme le Nouveau pacte pour l’engagement dans les États fragiles, le Partenariat de Busan pour une coopération efficace au service du développement, le Programme d’action d’Accra et la Déclaration de Paris, qui mettent l’accent sur des principes communs qui incluent l’appropriation locale, la responsabilisation, la transparence et la participation de la société civile.
Par exemple, un sociologue basé à Gaza a déclaré à des chercheurs en 2010 : “Trop d’ONG internationales viennent à Gaza avec un programme 100 % humanitaire, alors que nos ONG sont toutes axées sur le développement. Ils viennent ici, n’ont aucune idée du contexte local, recrutent notre personnel bien formé et travaillent directement avec les bénéficiaires finaux. Il n’y a pas de partenariat. Cela affaiblit nos structures locales d’ONG et nous réduit à un statut de sous-traitants.”
L’étude a également évoqué les problèmes engendrés par des niveaux de salaires plus généreux pour les ONG, la duplication de travail et les interventions à court terme, entre autres.
Un autre exemple est la conférence des donateurs pour Gaza de 2009 qui s’est tenue à Charm el-Cheikh, à laquelle les institutions locales de Gaza ou les dirigeants du Hamas n’ont pas participé, comme l’a souligné Omar Shaban, critique spécialiste de l’aide et activiste de la société civile. Les Palestiniens sont effectivement empêchés d’exercer leur autodétermination lorsque les acteurs internationaux mènent des processus non responsables qui excluent une véritable participation palestinienne parce que ceux-ci ne sont pas transparents ou sont menés en anglais, ou parce que les gouvernements internationaux choisissent et désignent des Palestiniens spécifiques, sur la base de critères politiques, qui sont ensuite réputés « représentatifs ».
Les organisations internationales exemptent Israël d’un examen approfondi depuis si longtemps qu’elles doivent maintenant être tenues pour responsables des résultats, comme l’a vivement préconisé le Tribunal Russell. En effet, le principe de la responsabilité des organisations internationales a été spécifiquement abordé dans la Déclaration de 2012 de la Réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’état de droit aux niveaux national et international, qui a non seulement souligné que la promotion de la primauté du droit et de la justice devraient guider toutes leurs activités, mais aussi que « la primauté du droit s’applique à tous les États de manière égale et aux organisations internationales, y compris les Nations Unies et ses principaux organes […] »
8. Le mépris international des principes humanitaires envoie-t-il un message indiquant que les Palestiniens n’ont aucun droit et qu’Israël n’a aucune obligation ?
Il existe plusieurs exemples de programmes de réparation spécifiques à des conflits, tels que des commissions de réclamation, le gel d’avoirs et la saisie de recettes, qui dressent un tableau général des types de préjudices pour lesquels des réclamations peuvent être présentées. Cependant, aucun d’entre eux n’a été utilisé dans le cas des violations israéliennes contre les Palestiniens.
Les sources du droit international qui appellent les parties à l’origine des maux à aider les victimes sont énumérées dans une publication récente de la Clinique internationale des droits de l’homme de l’université de Harvard et comprennent ce qui suit : les Principes fondamentaux et directives à l’intention des victimes, le Statut de Rome, les Principes relatifs aux dommages transfrontières et les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, résolution non contraignante adoptée en 2005 par l’Assemblée générale des Nations Unies.
La conclusion internationale la plus récente concernant les réparations qui sont directement liées au préjudice causé par Israël à l’encontre des Palestiniens porte sur le mur illégal israélien, la CIJ ayant demandé réparation pour toutes les personnes physiques et morales touchées. Bien que ce fût un avis consultatif non contraignant, une résolution ultérieure de l’Assemblée générale des Nations Unies (A/ES-10/294, 13 janvier 2005) exigeait qu’Israël se conforme à l’avis consultatif et établisse un registre des dommages liés au mur, susceptible de s’avérer utile dans une réclamation future. Après l’agression israélienne contre Gaza de 2008–2009, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a voté qu’Israël devait payer des réparations pour les dommages subis par les Palestiniens, mais là encore, il n’y a pas eu de mise en œuvre.
La seule fois où la communauté internationale a exigé le paiement de réparations par Israël concernait les dommages causés dans le conflit de Gaza de 2008–2009. Les réclamations n’ont pas été faites par les victimes palestiniennes ou en leur nom, mais par l’ONU pour des dommages occasionnés contre ses propres installations. Il convient de noter qu’Israël a payé.
On ne saurait prétendre que l’aide internationale est une forme de réparation. Premièrement parce que les bénéficiaires perçoivent les programmes de développement comme une distribution de biens auxquels ils ont droit en tant que citoyens plutôt qu’en tant que victimes. Deuxièmement dans la mesure où les experts en justice transitionnelle affirment que les recours sont « essentiels à tout processus de réconciliation et de justice » et n’ont de sens que si la partie qui a causé les dommages paie pour ses propres dommages (1). En tout état de cause, la responsabilité d’Israël n’est pas abrogée par la réception d’aide internationale par les Palestiniens.
Outre les réclamations des Palestiniens à l’encontre d’Israël, que les acteurs de l’aide internationale devraient soutenir, les mauvaises pratiques des organisations internationales peuvent constituer en elles-mêmes une base pour des réclamations palestiniennes si le Projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales prend effet (A/66/10, para. 87).
Une offensive pour lutter contre la complicité
Les principes humanitaires et les normes codifiées en matière de pratiques de développement exigent que l’assistance ne mette pas les bénéficiaires davantage en danger. Que la complicité des acteurs de l’aide internationale atteigne ou non le seuil de responsabilité en matière d’aide et d’encouragement apportés à l’agresseur, les éléments de preuve démontrent que la pratique actuelle de l’aide internationale dans les TPO est source de préjudices. Malheureusement, la communauté de l’aide internationale n’a pas fait preuve d’une autoréflexion critique et ne s’est pas non plus mise en quête de détracteurs palestiniens en vue d’améliorer les résultats humanitaires et de développement.
La société civile palestinienne et le mouvement de solidarité internationale devraient rechercher des mécanismes de responsabilisation nouveaux et novateurs dans le but d’engager la responsabilité des acteurs internationaux dans le cadre des lois et des engagements existants. Ces mécanismes doivent viser l’éventail des acteurs de l’aide internationale – donateurs gouvernementaux et non gouvernementaux, agences multilatérales, ONG internationales et palestiniennes, entrepreneurs privés et partis et mouvements politiques.
Il est également important de comprendre les possibilités et les limites résultant des mécanismes traditionnels. Par exemple, il est peu probable que les tribunaux prévoient des recours compte tenu des limites de compétence complexes et de l’évolution inégale du droit national et international. D’autres types de mécanismes de responsabilisation pourraient avoir un impact plus rapide et plus direct : commissions de vérité, mouvements pour obtenir réparation, enquêtes publiques et procès au sein de la société civile, comme avec le Tribunal Russell sur la Palestine.
Le mouvement BDS a progressé dans la lutte pour la responsabilisation des entreprises impliquées dans les violations israéliennes du droit international, comme par exemple pour le rôle de Veolia dans le projet israélien de métro léger à Jérusalem. Il pourrait être possible d’utiliser une partie de cette même pression publique contre les acteurs de l’aide internationale qui contribuent à la violation des droits des Palestiniens.
La société civile palestinienne et internationale pourrait également s’engager de manière constructive avec les organisations internationales afin de mieux comprendre comment les codes, les normes et la législation qui existent s’appliquent dans des situations d’occupation militaire prolongée. Les questions (et les lignes directrices) devraient aborder en particulier les énigmes qui se présentent face aux acteurs de l’aide internationale : combien de temps une « réponse humanitaire » devrait-elle durer avant que les acteurs de l’aide internationale puissent considérer que les conditions d’« urgence » sont manipulées dans le but d’éviter de traiter les causes profondes ? Où se situe la frontière entre une aide humanitaire qui est légitimement contrôlée par une puissance occupante et une aide humanitaire qui est entravée en violation du droit international ? Y a-t-il des limites quant au montant des fonds que les acteurs de l’aide internationale devraient être autorisés à lever au nom des Palestiniens lorsque les organisations locales ne sont pas en mesure d’entrer en lice pour attirer les fonds et lorsque la durabilité à long terme est mise à mal ?
Une chose est claire : la théorie du changement qui anime le mouvement de réforme de l’aide mondiale est bel et bien fausse (2). À l’instar d’Israël, les acteurs de l’aide internationale ne transformeront pas leurs politiques uniquement sur la base de la morale ou la loi. Des tactiques de pression seront nécessaires pour bouleverser les différentiels de pouvoir de telle sorte qu’au final, les acteurs de l’aide internationale « ne puissent pas ne pas faire » ce qu’il faut.
Notes :
1. Mark A. Drumbl, « Accountability for Property Crimes and Environmental War Crimes: Prosecution, Litigation, and Development », International Center for Transitional Justice (novembre 2009), 25.
2. Nora Lester Murad, « Putting Aid on Trial: An Emerging Theory of Change for How Palestinians Can Hold International Aid Actors Accountable to Human Rights Obligations », in Saul Takahashi, ed., Human Rights, Human Security, and State Security: The Intersection (Santa Barbara, Californie : Praeger Security International, 2014), 163–184.
Nora Lester Murad
* Le docteur Nora Lester Murad, membre politique d’Al-Shabaka, est écrivaine et militante pour la justice sociale. Son blog, « The View from My Window in Palestine », traite des questions d’aide internationale et de développement communautaire ainsi que de la vie quotidienne sous l’occupation militaire israélienne. Elle est cofondatrice de la Dalia Association, fondation communautaire de la Palestine, qui cherche à soutenir une société civile dynamique, responsable et indépendante par le biais de la philanthropie. Elle travaille actuellement à Gaza avec Omar Shaban, de PalThink for Strategic Studies, dans le but de mobiliser une initiative populaire, Aid Watch Palestine, appelée à fournir un examen palestinien du processus d’aide internationale. Ses travaux ont été publiés entre autres par The Guardian, Al-Jazeera, Mondoweiss, OpenDemocracy ou encore Jadiliyya. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @NoraInPalestine.
24 octobre 2014 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Valentin B.