Par Jonathan Cook
Le kidnapping du directeur de l’hôpital Kamal Adwan est la dernière manifestation des efforts israéliens pour détruire le système de santé du territoire.
S’il est une photo de 2024 qui a marqué l’actualité de l’année, c’est bien celle du Dr Hussam Abu Safiyeh, en blouse blanche, se frayant un chemin à travers les décombres de l’hôpital Kamal Adwan qu’il dirigeait – le dernier grand établissement médical du nord de la bande de Gaza – pour aller à la rencontre de deux chars israéliens aux canons braqués sur lui.
L’année écoulée a été dominée par la mort et la destruction qu’Israël a semées dans la minuscule enclave.
Elle a été marquée par le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens – les morts que nous connaissons – et la mutilation d’au moins 100 000 autres.
Toute la population a été réduite à la famine ; le paysage urbain et agricole a été nivelé ; les hôpitaux et tout le système de santé de Gaza ont été détruits, et les médecins palestiniens ont été arrêtés, torturés et assassinés en masse.
L’année 2024 a également été dominée par le consensus croissant des autorités juridiques internationales et des autorités chargées des droits humains, sur le fait que ce que les Israéliens font à Gaza équivaut à un génocide.
Une photo, prise dans les tout derniers jours de l’année 2024, en disait long. Elle montrait un médecin solitaire – qui avait risqué sa vie pour maintenir son hôpital opérationnel malgré le siège militaire israélien, les obus et les drones israéliens, et l’assassinat de son personnel par les tireurs d’élite israéliens – se dirigeant courageusement vers ceux qui exterminent son peuple et s’apprêtaient à l’exterminer lui aussi.
Cela lui a coûté très cher, comme à ses patients et son personnel. En octobre, son fils de 15 ans, Ibrahim, a été assassiné lors d’un raid israélien sur l’hôpital. Un mois plus tard, il était lui-même blessé par les éclats d’un obus tiré sur le bâtiment.
Le 27 décembre, l’hôpital n’était plus en mesure de résister à l’assaut sauvage d’Israël. Lorsqu’un haut-parleur a ordonné à Abu Safiya de s’approcher des chars, il s’est mis en route, tristement, à travers les décombres.
C’est à ce moment-là que la lutte de l’hôpital Kamal Adwan pour sauver des vies a pris fin brutalement ; au moment où la machine de guerre israélienne génocidaire a remporté une victoire inévitable contre le dernier avant-poste de l’humanité dans le nord de la bande de Gaza.
Emprisonné dans un camp de torture
Cette image est également la dernière connue d’Abu Safiya, prise quelques minutes avant sa soi-disant « arrestation » – son enlèvement – par des soldats israéliens et sa disparition dans un des camps de torture israéliens.
L’armée israélienne a prétendu pendant des jours qu’elle ne savait pas où il se trouvait, mais elle a finalement était obligée d’admettre qu’elle le détenait au secret, suite à une procédure judiciaire lancée par un groupe local de défense des droits des personnels de santé.
Selon un nombre croissant de rapports, Abu Safiya se trouve actuellement dans le plus célèbre des centres de torture israéliens, Sde Teiman, où des soldats ont été filmés l’année dernière en train de violer un détenu palestinien avec une matraque jusqu’à ce que ses entrailles se déchirent.
Génocide à Gaza : l’armée d’occupation détruit délibérement l’hôpital Kamal Adwan
On espère qu’Abu Safiya ne subira pas le même sort que son collègue, le Dr Adnan al-Bursh, ancien chef du service d’orthopédie de l’hôpital al-Shifa de Gaza.
Après quatre mois de mauvais traitements à la prison d’Ofer, Bursh a été abandonné par les gardiens dans la cour, torse nu, en sang et incapable de se tenir debout. Il est mort peu de temps après.
Les rapports des agences de défense des droits de l’homme et des Nations unies, ainsi que les témoignages des gardiens de camp qui dénoncent les abus, font état des passages à tabac, de la privation de nourriture, des abus sexuels et des viols systématiques dont sont victimes les prisonniers palestiniens.
Israël a accusé Abu Safiya, le pédiatre le plus connu de Gaza, d’être un « terroriste » du Hamas. Il a kidnappé 240 autres personnes de l’hôpital Kamal Adwan qu’il accuse d’être « suspects de terrorisme » – parmi lesquels se trouvent sans doute principalement des patients et du personnel de santé – et qui sont détenues dans des conditions tout aussi horribles.
Logique psychotique
Selon la logique psychotique d’Israël, toute personne travaillant pour le gouvernement du Hamas à Gaza – c’est-à-dire toute personne qui, comme Abu Safiya, est employée dans l’une des principales institutions de l’enclave, comme un hôpital – est considérée comme un terroriste.
Par extension, tout hôpital – parce qu’il relève de l’autorité du gouvernement du Hamas – peut être considéré comme un « bastion terroriste du Hamas », comme Israël l’a appelé Kamal Adwan. Par conséquent, toutes les installations médicales doivent être détruites, tous les médecins « arrêtés » et torturés, et tous les patients « évacués » de force.
Dans le cas de Kamal Adwan, les blessés, les malades graves et les femmes sur le point d’accoucher ont eu 15 minutes pour décrocher leur perfusion, sortir de leur lit et se rassembler dans la cour détruite. L’armée israélienne a ensuite mis le feu à l’hôpital.
Ces « évacuations » n’ont qu’un seul but : priver les patients d’abri et de soins pour qu’ils meurent de leurs blessures, de leurs maladies ou de malnutrition, et de plus en plus du froid.
Un nombre croissant de bébés meurent d’hypothermie pendant les nuits d’hiver que leurs familles passent, serrés les uns contre les autres, sous des morceaux de tissu, sans couvertures ni vêtements appropriés, dans les campements de tentes qui sont devenus le foyer de la majeure partie de la population de Gaza.
La photographie de la reddition d’Abu Safiya a montré très clairement qui est David et qui est Goliath, qui est l’humaniste et qui est le terroriste.
Par-dessus tout, cet événement a mis en lumière l’énorme mensonge relayé par les classes politiques et médiatiques occidentales, depuis 15 mois, à propos de Gaza. Ils n’ont jamais cherché à mettre fin à l’effusion de sang, ils se sont simplement efforcés de la cacher ou de l’excuser.
Cela explique peut-être pourquoi l’image la plus marquante de 2024, l’image d’Abu Safiya kidnappé par Israël après la destruction de son hôpital, a été très peu diffusée dans les médias de l’establishment, et certainement pas en première page.
Israël, le pays où l’on torture les médecins palestiniens à mort
La plupart des rédacteurs en chef et des éditeurs d’images étrangers – qui dépendent des salaires versés par leurs propriétaires milliardaires – ont préféré ignorer la photo de l’année. Les médias sociaux, en revanche, l’ont diffusée à grande échelle. Les citoyens ordinaires ont parfaitement compris ce qu’elle signifiait.
La guerre des consciences
À la fin du mois dernier, Israël a annoncé qu’il consacrerait cette année 150 millions de dollars supplémentaires à ce qu’il a appelé la « guerre des consciences ».
Israël va donc multiplier par 20 son budget pour intensifier ses campagnes de désinformation dans les médias – pour blanchir son image alors que le massacre à Gaza se poursuit.
Israël a tué de nombreux journalistes de Gaza et interdit aux correspondants étrangers l’accès à ses « zones de mort ». Mais à l’ère de la retransmission en direct sur les téléphones, dissimuler un génocide s’avère bien plus difficile qu’Israël ne l’avait imaginé.
Il ne suffit pas, semble-t-il, que l’establishment occidental colporte sa désinformation.
Israël est particulièrement préoccupé par les jeunes, comme les étudiants dans les campus, qui ne se contentent pas des informations filtrées par la BBC ou CNN et qui ont donc une vision beaucoup plus claire de ce qui se passe. Leur bon sens et leur sensibilité n’ont pas été émoussés par des années de propagande occidentale.
Ils sont beaucoup moins susceptibles, par exemple, de tomber dans le panneau des « fake news » israéliennes – recyclées et validées par les médias occidentaux – qui ont justifié au cours des 15 derniers mois la destruction complète des hôpitaux de Gaza, ou le type de désinformation qui entretient l’idée qu’un médecin estimé comme Abu Safiya est secrètement un terroriste.
La campagne israélienne visant à effacer le secteur de la santé de Gaza a commencé dans les jours qui ont suivi l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. Moins de deux semaines plus tard, Israël a tiré un puissant missile sur la cour de l’hôpital al-Ahli de la ville de Gaza ; des dizaines de familles palestiniennes qui s’y étaient réfugiées, pour se protéger du déchaînement militaire israélien, ont été tuées dans l’explosion.
Mais les médias ont blanchi ce coup d’envoi de la guerre contre les hôpitaux de Gaza en relayant l’affirmation grotesque d’Israël selon laquelle une roquette palestinienne, et non un missile israélien, avait causé les dégâts.
Massacre de l’hôpital al-Ahli : déconstruire le mensonge israélien
L’attaque d’al-Ahli a permis à Israël d’élaborer un plan de génocide, qu’il a suivi à la lettre au cours des 15 derniers mois. Cette attaque a clairement montré aux Palestiniens que rien, ni personne, ne serait à l’abri des assauts d’Israël, pas même les sanctuaires reconnus par le droit international tels que les hôpitaux, les mosquées et les églises.
Il n’y aurait aucun endroit où fuir à sa colère.
Et l’attaque a aussi signifié aux dirigeants et aux médias occidentaux qu’Israël était prêt à enfreindre tous les principes du droit humanitaire international. Il n’y a aucune atrocité, aucun crime de guerre qu’il ne commettrait pas, y compris la destruction du système médical de Gaza. Israël attendait de ses financeurs qu’ils soutiennent pleinement la guerre génocidaire, quelle qu’en soit son ampleur.
Et c’est exactement ce qu’ils ont fait.
Stratégies de diversion
Avec le recul, la brève agitation autour de la question de savoir si Israël était responsable de l’attaque d’al-Ahli semble aujourd’hui d’un pittoresque cauchemardesque. En l’absence de réaction, Israël a intensifié sa « guerre des consciences », créant une bulle de fausses nouvelles pour relier les hôpitaux de Gaza au terrorisme du Hamas.
En quelques semaines, Israël a affirmé avoir découvert une base terroriste du Hamas sous l’hôpital pour enfants al-Rantisi de Gaza, avec des cachettes d’armes et un tableau de service en arabe pour les otages israéliens – sauf qu’il s’est rapidement avéré que ce tableau n’était rien d’autre qu’un calendrier inoffensif.
La cible la plus importante d’Israël était l’hôpital al-Shifa, l’établissement médical le plus important de Gaza. Israël a diffusé une vidéo en images de synthèse le montrant installé sur un « centre de commandement et de contrôle du Hamas » souterrain. Les médias occidentaux ont une fois de plus ajouté foi à ces affirmations, bien que le bunker du Hamas n’ait jamais été trouvé.
Ces mensonges ont néanmoins atteint leur but. Alors même qu’Israël détruisait les hôpitaux de Gaza et refusait l’accès à l’aide médicale, laissant Gaza sans aucun moyen de soigner les hommes, les femmes et les enfants mutilés par les bombardements incessants d’Israël, les médias ont fait de leur mieux pour détourner l’attention publique de ces évidents crimes contre l’humanité.
Au lieu de les dénoncer, les journalistes, comme l’espérait Israël, ont dépensé leur énergie à suivre de fausses pistes pour blanchir Israël.
Les médias semblaient partir du principe que si le moindre soupçon de complicité entre le Hamas et un seul hôpital ou médecin de Gaza était confirmé, la campagne d’Israël visant à supprimer toutes les installations médicales dans l’enclave et à priver de soins 2,3 millions de personnes enfermées et bombardées dans une prison à ciel ouvert serait justifiée.
Fosses communes
Il est à noter qu’aucun des médecins occidentaux expérimentés qui se sont portés volontaires à Gaza n’a déclaré, à son retour, avoir vu le moindre signe des « terroristes du Hamas » armés qui grouillaient soi-disant dans tous les hôpitaux où ils avaient travaillé.
Ces médecins occidentaux ont rarement été interviewés par les médias pour faire contrepoids à la désinformation israélienne incessante, ce qui a permis à Israël de détruire les hôpitaux et les centres médicaux de Gaza en toute impunité.
Les soldats ont envahi les hôpitaux l’un après l’autre, détruisant les salles de soin, les salles d’opération, et les unités de soins intensifs.
Les familles sont confrontées non seulement aux bombes israéliennes, aux drones assassins et au manque de nourriture, mais aussi à la prolifération des gangs criminels.
Chaque « évacuation » forcée a engendré son lot de misère. Des bébés prématurés sont morts de faim ou de froid dans leurs couveuses. Les personnes gravement malades ont été forcées de quitter leur lit. Les ambulances qui tentaient de les récupérer ont explosé.
À chaque fois, le personnel médical de Gaza a été encerclé, dépouillé de ses vêtements et enlevé ou assassiné.
Les journalistes occidentaux ne se sont pas non plus intéressés aux cadavres non identifiés retrouvés dans des fosses communes sur le périmètre de l’hôpital après les assauts des soldats israéliens – des cadavres décapités, mutilés ou enterrés vivants.
Pour ces raisons et d’autres encore, l’Office des droits de l’homme des Nations unies a conclu la semaine dernière que les hôpitaux de Gaza, « le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité, est en fait devenu un piège mortel ».
De même, un fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la santé, Rik Pepperkorn, a observé : « Le secteur de la santé est systématiquement démantelé. L’OMS recherche des traitements urgents et vitaux à l’étranger pour plus de 12 000 personnes », a-t-il ajouté. « Au rythme actuel, il faudrait cinq à dix ans pour évacuer tous ces patients gravement malades. »
Dans une autre déclaration faite la semaine dernière, deux experts des Nations unies ont averti que la détention arbitraire d’Abu Safiya s’inscrivait « dans le cadre de la stratégie israélienne de bombardement et de destruction de toute possibilité de soigner les Palestiniens à Gaza, en violation de leurs droits aux soins ».
Ils ont noté que, outre les rafles massives, au moins 1057 professionnels palestiniens de la santé et du secteur médical ont été tués à ce jour.
La route qui mène au génocide
En réalité, la nouvelle campagne de désinformation d’Israël, même si elle est mieux financée, ne sera pas plus efficace que les précédentes.
Avi Cohen-Scali, directeur du ministère israélien de la lutte contre l’antisémitisme, a déclaré qu’une décennie de luttes de ce type contre ce qu’Israël appelle sa « délégitimation » – c’est-à-dire la mise en évidence de son caractère d’apartheid et maintenant de génocide – avait donné des résultats « presque nuls ».
Il a déclaré aux médias israéliens : « Ces efforts ont échoué à tous les niveaux possibles et imaginables ».
Il sera impossible d’effacer la réalité du génocide. Au cours des prochains mois, d’autres atrocités israéliennes – nouvelles et historiques – seront révélées. De plus en plus d’organisations juridiques et de défense des droits de l’homme et d’universitaires concluront qu’Israël a commis un génocide à Gaza.
La Cour pénale internationale (CPI) émettra d’autres mandats d’arrêt pour crimes de guerre, après ceux délivrés à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant.
Le week-end dernier, un soldat israélien en vacances au Brésil a été contraint de fuir le pays après avoir appris qu’il faisait l’objet d’une enquête.
Mais ce n’est pas tout. Les principales organisations de défense des droits humains et les universitaires devront mettre à jour leur analyse historique d’Israël et de son idéologie fondatrice, le sionisme. Ils devront reconnaître que ce génocide n’est pas sorti de nulle part.
La dérive a commencé lorsque le sionisme est né sous la forme d’un mouvement de colonisation il y a plus d’un siècle. Elle s’est poursuivie lors de la création d’Israël par le biais d’une opération de nettoyage ethnique de masse à l’encontre de la population palestinienne autochtone en 1948. Elle s’est accélérée en 1967, lorsqu’Israël a formalisé son système d’apartheid, instaurant des droits distincts pour les Juifs et les Palestiniens et contraignant ces derniers à s’enfermer dans des ghettos de plus en plus étroits.
La destination finale d’un Israël assuré de l’impunité a toujours été le génocide. Il s’agit d’une pulsion idéologique ancrée dans les notions israéliennes de suprématie ethnique et de peuple élu.
Une vision à la Mad Max
Même après que la CPI a émis des mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant en novembre, les dirigeants israéliens ont poursuivi leur incitation explicite au génocide.
La semaine dernière, huit législateurs de la commission des affaires étrangères et de la défense du parlement israélien ont écrit au nouveau ministre de la défense, Israël Katz, pour lui demander d’ordonner la destruction des dernières sources d’eau, de nourriture et d’énergie dans le nord de Gaza.
C’est précisément le fait qu’Israël affame actuellement la population de Gaza qui a conduit à l’inculpation de Netanyahu et de Gallant pour crimes contre l’humanité.
Entre-temps, la destruction de l’hôpital Kamal Adwan ouvre la voie à une nouvelle politique dans le nord de la bande de Gaza, à laquelle Israël a donné le nom glaçant de « Tchernobylisation ».
Génocide : Euro-Med Monitor a répertorié les charniers les plus importants de Gaza
Nommée d’après le réacteur nucléaire soviétique de Tchernobyl, cette politique considère la présence palestinienne à Gaza comme une menace comparable à la fuite radioactive de 1986. L’objectif de l’armée est d’effacer toutes les infrastructures palestiniennes au-dessus et au-dessous du sol, comme les Soviétiques l’ont fait pour contenir les radiations de Tchernobyl.
Où cela nous mène-t-il ?
Louise Wateridge, responsable des services d’urgence de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a noté ce week-end qu’Israël accélérait l’effondrement social complet de Gaza en chassant l’Unrwa de l’enclave.
Ils veulent nous détruire de l’intérieur, nous vider de notre capacité à nous soucier des autres ou à résister, ils veulent nous rendre insensibles. Nous devons leur prouver qu’ils n’y parviendront pas.
La législation israélienne qui entrera en vigueur à la fin de ce mois interdira à l’agence pour les réfugiés d’opérer à Gaza pour fournir aux familles le peu de nourriture et d’abris disponibles, compte tenu du blocus de l’aide israélienne.
En l’absence d’hôpitaux, elle privera également Gaza de ses derniers services de santé dignes de ce nom. Comme Mme Wateridge l’a fait remarquer : « L’Unrwa assure environ 17 000 consultations médicales par jour dans la bande de Gaza. Aucune autre agence ne peut le faire ».
Elle souligne le danger que la bande de Gaza devienne complètement anarchique. Les familles seront alors confrontées non seulement aux bombes, aux drones assassins et à la faim, mais aussi à la violence aveugle de gangs criminels.
C’est exactement ce qu’Israël prévoit pour Gaza. Comme l’a révélé un rapport du Haaretz la semaine dernière, après la « Tchernobylisation » du nord de Gaza, Israël envisage de laisser deux grandes familles criminelles palestiniennes régner sur le sud.
Il s’agira probablement des mêmes gangs qui pillent les quelques camions d’aide qu’Israël autorise à entrer dans la bande de Gaza, et qui aident ainsi l’Etat hébreu à priver la population de nourriture et d’eau.
La vision israélienne de l’avenir de Gaza est un croisement post-apocalyptique entre la saga cinématographique Mad Max et La Route, le roman de Cormac McCarthy.
Le discours officiel
La trajectoire vers le génocide est peut-être inscrite dans le code génétique du sionisme, mais les dirigeants occidentaux, les médias, les universités, les groupes de réflexion et même les organisations de défense des droits de l’homme ont toujours prétendu le contraire.
Ils ont passé des décennies à soutenir ce récit occidental, qui devrait pourtant être complètement discrédité depuis longtemps : Israël est un sanctuaire pour les Juifs contre l’antisémitisme, c’est « la seule démocratie au Moyen-Orient », son occupation est légère, ses colonies illégales répondent à des besoins sécuritaires, et l’armée israélienne est « la plus morale du monde »…
Ces fictions s’effilochent plus vite que la désinformation israélienne ne pourra jamais espérer les rafistoler.
Alors pourquoi en faire toujours plus ? Parce que la « guerre des consciences » d’Israël n’est pas principalement dirigée contre vous et moi. Elle vise les dirigeants occidentaux. Il ne s’agit pas de les persuader de quoi que ce soit ; le Premier ministre britannique Keir Starmer sait parfaitement qu’un génocide est en cours à Gaza, tout comme Donald Trump, le futur président des États-Unis.
Ils s’en moquent tout simplement, notamment parce qu’il est impossible d’arriver aux premières places du système politique occidental sans avoir la vision du monde d’un psychopathe. Il y a un complexe militaro-industriel occidental à apaiser et des entreprises occidentales à servir qui, tous, espèrent maintenir leur domination sur l’extraction des ressources mondiales.
Ne parlons plus de « génocide israélien » mais de « génocide israélo-US » !
C’est pourquoi, dans les derniers jours de sa présidence, Joe Biden, n’ayant plus besoin d’être réélu, a abandonné la prétention de « travailler sans relâche pour un cessez-le-feu » ou d’exiger qu’Israël envoie au moins 350 camions d’aide par jour. A la place, il a annoncé, en guise de cadeau d’adieu à Israël, une nouvelle livraison d’armes d’une valeur de 8 milliards de dollars, y compris des munitions pour les avions de chasse et les hélicoptères d’attaque.
L’objectif de la campagne de désinformation d’Israël est de fournir une couverture à ses alliés. Il s’agit de brouiller les pistes juste assez pour masquer le soutien des dirigeants occidentaux au génocide, leur donner une excuse pour continuer à envoyer des armes et les aider à échapper à un procès pour crimes de guerre à La Haye.
L’objectif est la « dénégation plausible » : il s’agit de pouvoir prétendre que ce qui était évident ne l’était pas trop, que ce qui était connu des spectateurs ordinaires n’était pas clair pour ceux qui y participaient directement.
Les dirigeants occidentaux savent qu’Israël a emmené Abu Safiya – l’un des grands médecins de Gaza – dans l’un de ses camps de torture, où il est presque certainement affamé, battu, humilié et terrorisé, comme les autres détenus.
Le travail d’Israël consiste désormais à affaiblir et à détruire sa résistance physique et mentale, tout comme il a démantelé les hôpitaux de Gaza.
L’objectif d’Israël n’est pas d’éradiquer « les terroristes ». Il s’agit de transformer Gaza en un terrain vague, un enfer, dans lequel aucune personne de bien, aucune personne qui se soucie des autres, aucune personne qui essaie de s’accrocher à son humanité, ne peut survivre. Un endroit où les médecins n’existent pas, où les travailleurs humanitaires ne sont plus qu’un souvenir et où la compassion est un handicap. Un endroit où les tanks et les gangs criminels font la loi.
Le travail de la classe politique et médiatique occidentale est de faire croire que ce qui se passe en Palestine est tout à fait normal. Leur travail consiste à endormir notre conscience, à nous vider de la capacité de nous soucier des autres ou de résister, à nous transformer en robots.
Nous devons leur prouver qu’ils ont tort – pour le bien du Dr Abu Safiya et pour notre bien à nous.
Auteur : Jonathan Cook
8 janvier 2024 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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