Par Michele Weinroth
L’histoire se répète ; les acteurs sont différents mais l’horreur est la même ; il faut cesser de considérer comme sacrilège la comparaison entre le ghetto juif sous le nazisme et le ghetto de Gaza sous l’autorité fasciste actuelle d’Israël.
Pour comparer des choses ou des évènements, il n’est pas besoin qu’ils soient identiques traits pour traits. Il y aura toujours des gens pour dire que la comparaison n’est pas valable, mais ils se trompent car les comparaisons ne portent pas nécessairement sur l’identité des acteurs, elles ont généralement pour but de souligner les traits communs aux deux entités ou situations – des traits essentiels, bien sûr, et non des traits accessoires ou secondaires.
Comparer le ghetto juif sous le nazisme avec le ghetto de Gaza est peut-être choquant, mais refuser de faire cette comparaison ne revient-il pas à refuser de voir le carnage qui se déroule actuellement et qui, selon plusieurs commentateurs experts, est sans précédent dans l’histoire moderne ?
Considérons la dimension et la vitesse du massacre de civils innocents qui est en train de se produire sous nos yeux.
Au-delà des épouvantables massacres perpétrés par les frappes aériennes incessantes, il y a l’acte prémédité de priver une population assiégée de ses besoins essentiels : nourriture, carburant, médicaments et eau. Il y a l’humiliation d’hommes jeunes et vieux, dépouillés de leurs vêtements et exécutés de manière sommaire.
Ces actes intentionnels de génocide ne rappellent-ils pas le nazisme ? Gaza n’est plus seulement un camp de concentration, comme on dit couramment, c’est un camp d’extermination.
Une comparaison entre le ghetto de Gaza et le ghetto juif sous le nazisme pourrait engendrer un débat sur les diverses entreprises génocidaires de l’histoire. Mais ce débat ne porterait pas sur l’essentiel.
Au-delà des différences, le trait commun de tous les types de génocides, c’est leur insondable cruauté, leur vertigineuse inhumanité.
Ces actes d’anéantissement sont si aberrants, si sidérants, que nous restons sans voix. La parole et la raison sont paralysées, bloquées, figées par le caractère apocalyptique de cette annihilation inouïe d’êtres humains.
Il est naturel de vouloir détourner les yeux de tout cela (et par « cela », j’entends tout ce qui est trop obscène et répugnant pour qu’on y pense plus d’une seconde). Mais le désarroi suscité par cette comparaison « sacrilège » n’est rien à côté de l’agonie des victimes actuelles – les Palestiniens assiégés.
Leur agonie ne disparaîtra pas simplement parce que nous détournons le regard et refusons d’affronter la comparaison. Le malaise que suscite cette comparaison serait-il atténué si on pensait pouvoir, en l’exprimant publiquement et avec force, susciter de l’espoir, contribuer à arrêter le carnage et à empêcher un génocide total ?
Pour moi, mettre en avant cette comparaison a une grande valeur politique et morale justement parce que la douleur viscérale qu’une telle analogie provoque peut engendrer une forme salutaire de remise en question chez un public en conflit avec lui-même, complaisant ou indifférent.
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L’effet de choc résultant de cette comparaison a le pouvoir de secouer les gens et peut-être de les sortir de leur complaisance, leur déni ou leur simple sentiment de désespoir.
En effet, rappeler le seuil de « l’indicible », qui a marqué l’Holocauste des juifs, et relier cet épisode du XXe siècle au présent, c’est rappeler au monde que la guerre contre les Gazaouis d’aujourd’hui (et, en fait, contre les Palestiniens de Cisjordanie) est en train de franchir le même seuil de barbarie que la violence nazie.
Pendant des années, l’évocation de ce seuil signifiait que les juifs avaient été victimes de la barbarie absolue, que leur martyre avait dépassé celui des toutes les autres victimes.
Ce n’est plus le cas. L’horreur du passé a ressurgi sous une nouvelle forme ; aujourd’hui la vraie victime, la victime iconique, n’est pas le juif, mais le Palestinien.
Si nous voulons souligner la gravité de la crise actuelle, nous devons lui donner un caractère d’urgence. La comparaison troublante que j’ai formulée ci-dessus peut potentiellement galvaniser le grand public et l’inciter à agir, à intervenir au niveau politique et à protester efficacement.
Ne pas faire la comparaison, c’est laisser la destruction apocalyptique de Gaza et le massacre de ses habitants s’aggraver encore. Des gens (notamment les soutiens d’Israël) pourraient dire : ce n’est pas aussi grave qu’Auschwitz et nous pouvons donc nous permettre (au moins moralement) de continuer à bombarder la bande de Gaza jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
La puissance politique de cette troublante comparaison n’est pas son seul mérite. Le choc que suscite une telle analogie est aussi un excellent moyen de faire exploser des mythes de longue date : en l’occurrence, que la souffrance juive, la souffrance infligée aux juifs par le génocide nazi, est incomparable, unique et sacrée.
En effet, c’est précisément l’exceptionnalisme, dont Israël se prévaut, qui a permis à l’élite politique sioniste (où qu’elle se trouve – aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Europe ou en Israël – de bafouer sans cesse le droit international depuis plus de 75 ans.
C’est ce sentiment de sublimité transcendante soigneusement entretenu (grâce à l’utilisation de l’Holocauste et de la Bible comme moyens de pression et de manipulation) qui a fait d’Israël l’acteur arrogant qu’il est devenu sur la scène mondiale, indifférent à toutes les lignes rouges (c’est-à-dire à la quasi-totalité des Conventions de Genève et des Résolutions des Nations unies).
Israël s’est ainsi placé au-dessus de tous les êtres humains, et c’est avec le sentiment que Dieu lui a donné un pouvoir sans limite qu’il étend sans cesse sa domination, en massacrant les Palestiniens.
La mort de plus de 21 000 Palestiniens n’a pas calmé la soif de vengeance d’Israël pour le 7 octobre. Israël voit les Résolutions de l’ONU comme de « simples » émanations du bas peuple ; il les rejette donc comme dérisoires et formule ses revendications dans le langage de l’autorité divine.
Bien à l’abri dans son statut et sa rhétorique de supériorité, il se moque du jugement moral et des critiques des autres. Il viole le droit international avec un culot phénoménal, parce qu’il sait qu’avec le soutien des États-Unis, il peut transgresser toutes les limites du droit et de la raison en toute impunité.
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Autrefois, objet de pitié en tant que victime collective d’un génocide, Israël, l’État qui, paradoxalement, fait de la victimisation sa principale raison d’être, est aujourd’hui en train d’en commettre un.
Si nous voulons qu’Israël rende compte de ses crimes, nous devons exercer le droit démocratique de dire ouvertement et sans honte que les juifs n’ont pas le monopole de la souffrance. Ils ne sont pas les seules victimes de génocide.
Les juifs ne peuvent pas être les éternelles victimes de l’histoire. Au contraire, les juifs progressistes ont le devoir moral d’aider à desserrer l’emprise sioniste qui leur donne le sentiment d’être des victimes exceptionnelles.
Ce sentiment de supériorité auto-proclamée pousse Israël (ainsi que ses partisans) à des extrémités désastreuses – génocidaires. Il faut absolument mettre un terme à ce carnage.
La comparaison entre le ghetto juif sous le nazisme et le ghetto de Gaza sous l’autorité fasciste (actuelle) d’Israël doit cesser d’être sacrilège.
En fait, il est essentiel que la comparaison, aussi inconfortable soit-elle, soit exprimée ouvertement, ne serait-ce que pour forcer Israël et ses apologistes à voir le reflet de l’État « juif » dans le miroir du passé nazi et, espérons-le, à se pencher avec dégoût sur sa propre réalité fasciste.
Si cela pouvait se produire, nous assisterions à un véritable tournant de l’histoire.
Auteur : Michele Weinroth
* Michelle Weinroth est écrivain et enseignante et vit à Ottawa.
7 janvier 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet