Par Adnan Abu Amer
Ces jours-ci, Palestiniens et Israéliens commémorent le 10e anniversaire de la conclusion de l’accord d’échange de prisonniers entre l’occupation et le mouvement Hamas en 2011. Même après toutes ces années, les Israéliens en font un bilan négatif.
Cela s’explique par le fait que les prisonniers libérés ont recommencé à résister à l’occupation, et que les attaques financées et aidées par les prisonniers libérés pendant l’accord fournissent des preuves suffisantes des dommages stratégiques qu’ils ont causés à la sécurité israélienne.
Le récent accord d’échange a concrétisé la conviction palestinienne qu’Israël est un État faible, et la même élite de prisonniers libérés a repris ses activités militaires au sein du Hamas. Ils ont réussi à changer radicalement l’organisation et sa stature dominante sur la scène palestinienne.
Peut-être la pire chose qu’Israël ait faite pendant l’accord, du point de vue des Israéliens, ne sont pas les négociations indirectes avec le Hamas alors que ce dernier appelle à sa destruction, mais plutôt d’avoir reconnu de fait qu’il est le véritable propriétaire de la terre de Palestine, et d’avoir sauter toutes les lignes rouges qu’il s’était fixées dans le passé en termes de libération des prisonniers palestiniens de 1948 et de Jérusalem.
Cela ne s’était pas produit auparavant, même dans l’accord de 1985.
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Aujourd’hui, dix ans après l’accord, la question se pose de savoir pourquoi le gouvernement de Benjamin Netanyahu a accepté de provoquer ce que les Israéliens appellent un “choc national, ou une tragédie”, en payant un prix aussi lourd au Hamas en échange de la libération d’un seul soldat. Même s’il était clair dès le départ qu’Israël paierait un “prix énorme” pour le retour de ses soldats aux mains de ses ennemis.
De plus, l’augmentation des attaques armées menées par des prisonniers libérés en Cisjordanie, qui ont entraîné la mort de nombreux soldats et colons, signifie que ces prisonniers, qu’ils résident à Gaza ou qu’ils soient déportés à l’étranger, ont réussi sur le terrain en apportant des fonds et des armes de pointe.
Ils ont été chargés de créer des cellules militaires du Hamas dans toute la Cisjordanie, notamment à Hébron, Bethléem, Ramallah, Naplouse et Jénine, afin de mener des attaques contre Israël. Ils ont donc opéré en permanence depuis l’endroit où ils se trouvent.
Les organes répressifs israéliens estiment qu’au fil du temps, les méthodes d’action militaire des prisonniers libérés se sont améliorées, en raison de la proximité géographique et clanique, et que ces dernières années ont vu un bond dans l’activité sur Internet et une communication grandement améliorée entre la bande de Gaza, la Cisjordanie et l’étranger.
Ils ont réussi à le cacher en renforçant les relations avec les départements électroniques de l’aile militaire du Hamas.
Sur le plan politique, les instances répressives israéliennes reconnaissent que les responsables qui dirigent le Hamas depuis l’accord empruntent une voie plus conflictuelle avec Israël, pleine de courage, et mettent Israël dans une position embarrassante.
Mais le point le plus problématique pour Israël est lié au message que chaque enfant palestinien a compris depuis la conclusion de l’accord, à savoir que “les Israéliens ne comprennent que la force”, et que les attaques armées sont, en fin de compte, le meilleur moyen et le plus efficace pour obtenir des concessions de la part des Israéliens.
Les Israéliens ne comprennent que le langage de la force”
En outre, ce qui dérange les Israéliens, c’est la propagation de nouvelles convictions palestiniennes après l’accord “Wafa Al-Ahrar” (la vraie promesse des hommes libres), qu’il n’y a aucun moyen de libérer les prisonniers de haut niveau, qui sont condamnés à la prison à vie ou à de longues peines, autre que grâce à des enlèvements, en particulier après que l’Autorité palestinienne et son président ont échoué à les libérer.
L’opinion palestinienne a compris que c’était la seule façon de traiter cette question sensible, car il a vu comment Israël “brisait les tabous” et créait une voie historique.
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Après que le Hamas a fait libérer ses prisonniers de haut rang et da’utres de diverses organisations dans le cadre de l’accord sur Shalit, les Israéliens craignent que le mouvement ne poursuive cette voie visant à libérer tous les grands noms qui ont planifié et exécuté les opérations de commando et de bombardement les plus dangereuses, notamment Hassan Salameh, Abdullah Barghouti et Ibrahim Hamid.
Si Israël accède aux demandes du Hamas, le prochain accord contribuera à renforcer davantage ce dernier, comme l’ont fait les récentes guerres à Gaza.
Lorsqu’il fait une évaluation générale de l’accord Shalit, Israël le considère comme une tragédie et un choc dont il ne s’est pas remis, même après une décennie.
Pire encore, l’accord a révélé une faiblesse fondamentale dont souffre Israël. Néanmoins, cette réussite sans précédent donne une indication de ce qui sera réalisé à l’avenir, lorsque le prochain accord sera conclu, et l’on estime que le prix à payer ne sera pas seulement la libération d’un millier de prisonniers palestiniens, mais bien davantage.
Cela signifie que la société israélienne paie encore le prix du traumatisme psychologique qui a suivi la signature de cet accord.
Sept ans après la fin de la guerre de 2014 à Gaza, l’anxiété domine toujours dans les familles des soldats israéliens capturés à Gaza, ainsi que la peur israélienne de libérer les prisonniers du Hamas.
Tant qu’il est clair que le gouvernement, la société et les Israéliens continueront de souffrir du traumatisme de l’accord de 2011, celui-ci constitue un obstacle de première importance pour récupérer les soldats ou leurs dépouilles, ou pour obtenir des informations sur leur sort.
Dans le même temps, divers milieux israéliens s’attendent à ce qu’un nouvel accord d’échange soit finalement conclu, qui ne soit pas inférieur au précédent.
Bien que dix ans se soient écoulés, d’importants cercles israéliens ont encore du mal à assimiler et à comprendre le moment où l’occupation a été forcée d’assister aux scènes des prisonniers palestiniens libérés et portés sur des épaules.
Ces images et ces scènes ont choqué l’opinion publique israélienne, car l’accord a débouché sur une réalité complètement différente et nouvelle, et ses échos se font encore sentir aujourd’hui.
Les Israéliens s’accordent sur le fait que, à partir du moment où l’accord de 2011 est devenu la principale référence pour tout éventuel futur accord d’échange de prisonniers, le Hamas ne peut pas, devant l’opinion publique palestinienne à laquelle il tient, créer un grand écart entre ce qu’il a obtenu dans l’accord précédent et ce qu’on attend de lui dans le prochain accord.
Car le mouvement considère aujourd’hui que l’accord précédent est le véritable modèle pour tout futur accord d’échange de prisonniers.
Il convient de noter que les négociations qui ont eu lieu récemment au Caire entre la direction du Hamas et les services de renseignement égyptiens ont porté, entre autres, sur le prochain accord d’échange de prisonniers, au milieu des messages israéliens adressés au mouvement sur le fait que la bande de Gaza ne sera pas reconstruite sans la conclusion de cet accord, avec des positions divergentes entre eux quant au prix à payer pour y parvenir.
Auteur : Adnan Abu Amer
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l'université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l'histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël.Il est titulaire d'un doctorat en histoire politique de l'université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l'histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Facebook.
15 octobre 2021 – Middle East monitor – Traduction : Chronique de Palestine