Par Jonathan Cook
Au Royaume-Uni, l’islamophobie imbibe les deux partis de gouvernement. Elle est tellement normalisée, que les journalistes de la BBC qualifient les pogromes anti-musulmans de « manifestations pro-britanniques ».
Imaginez cette scène, si vous le pouvez. Depuis plusieurs jours, des foules violentes se massent au centre des villes britanniques et affrontent la police qui les empêche d’attaquer des synagogues.
Revêtus de drapeaux de l’Angleterre et de l’Union Jacks, armés de battes de cricket et de barres métalliques, les fauteurs de troubles ont démoli des murs de jardin pour avoir des briques à lancer.
Des gens ont envahi des quartiers résidentiels où vivent des Juifs, brisé des fenêtres et essayé d’enfoncer des portes. Les émeutiers ont attaqué et incendié un hôtel qui héberge des demandeurs d’asile juifs, au risque de brûler vifs ses occupants.
Pendant des jours, les médias et les politiciens ont qualifié ces événements de « violences d’extrême droite» et parlé de la nécessité de rétablir la loi et l’ordre.
Au milieu de tout cela, une jeune députée juive est invitée à une grande émission de télévision matinale pour parler des événements en cours. Lorsqu’elle affirme que ces attaques doivent être clairement dénoncées comme racistes et antisémites, l’un des présentateurs de l’émission se moque grossièrement d’elle.
Un peu plus loin, on voit deux hommes blancs, un ancien ministre et un des dirigeants de l’un des plus grands journaux britanniques, en train de se moquer ouvertement d’elle.
Oh ! et, comme si tout cela n’était déjà pas incroyable, le présentateur de télévision qui se moque de la jeune députée est le mari du ministre de l’intérieur responsable de la gestion de ces événements.
Ce scénario est tellement scandaleux qu’on ne peut tout simplement pas l’imaginer. Pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé la semaine dernière, sauf que la foule ne visait pas les juifs, mais les musulmans ; la jeune députée n’était pas juive, mais, la députée musulmane la plus connue du pays, Zarah Sultana ; et sa requête n’était pas que la violence soit identifiée comme antisémite, mais comme islamophobe.
Tout cela semble beaucoup plus plausible maintenant, n’est-ce pas ? Bienvenue dans une Grande-Bretagne qui arbore fièrement son islamophobie, et pas seulement dans les rues de Bolton, Bristol ou Birmingham, mais aussi dans un studio de télévision londonien.
Des « manifestations pro-britanniques »
L’islamophobie imbibe tellement les deux grands partis de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui que les journalistes de la BBC ont, à deux reprises au moins, qualifié les foules scandant des slogans antimusulmans et anti-immigrés de « manifestants pro-britanniques ».
Les journaux télévisés du soir n’ont pas mis l’accent sur le racisme anti-musulman qui anime la foule, ni sur la similitude des émeutes avec les pogroms. Ils ont plutôt mis l’accent sur les menaces physiques auxquelles la police a dû faire face, sur la montée de l’extrême droite, sur la violence et le désordre, et sur la nécessité d’une réponse ferme de la part de la police et des tribunaux.
Les émeutes ont été déclenchées par les fake news des médias, à savoir que les trois petites filles poignardées à Southport le 29 juillet auraient été tuées par un demandeur d’asile musulman. En réalité, le meurtrier présumé est né à Cardiff de parents rwandais et n’est pas musulman.
Les hommes politiques et les médias ont tous contribué à la désinformation.
La couverture médiatique a surtout encouragé – et reflété – le programme raciste des émeutiers en attribuant le ciblage violent des communautés musulmanes installées de longue date à des préoccupations générales sur l’immigration « illégale ». Les reportages ont fait d’« immigrant » et de « musulman » des synonymes aussi facilement qu’ils ont fait de « terroriste » et « musulman » des synonymes.
Et pour les mêmes raisons.
Ce faisant, les hommes politiques et les médias ont une fois de plus fait le jeu de la foule d’extrême droite qu’ils font semblant de dénoncer.
Autrement dit, la foule fait le jeu des médias et des politiciens qui prétendent vouloir faire régner le calme tout en continuant à attiser les tensions.
Les jeunes musulmans venus défendre leurs maisons, pendant que la police luttait pour faire face à l’assaut, ont été qualifiés de « contre-manifestants », comme s’il s’agissait simplement d’un affrontement entre deux groupes aux griefs contradictoires, la police – et l’État britannique – étant pris entre deux feux.
Encore une fois, peut-on imaginer que des pogromistes violents et haineux essayant de brûler vifs des Juifs soient décrits comme des «manifestants», sans parler de «pro-britanniques» ?
Rien de tout cela n’est sorti de nulle part. L’ambiance antimusulmane actuelle est alimentée par les deux ailes politiques depuis des années.
L’establishment britannique a tout intérêt à diriger la colère que les gens ressentent à cause des difficultés économiques – telles que la pénurie d’emplois et de logements, la dégradation des services publics et la flambée du coût de la vie – vers des boucs émissaires tels que les immigrés, les demandeurs d’asile et les musulmans.
S’il ne le faisait pas, il serait peut-être beaucoup plus facile pour le public d’identifier les vrais coupables, à savoir un establishment qui a mis en place des politiques d’austérité sans fin tout en détournant la richesse commune.
« Une relation toxique »
Le dossier contre la droite est facile à monter.
Sayeeda Warsi, membre du parti conservateur et ancienne ministre, avertit depuis plus de dix ans que son parti est rempli de fanatiques anti-musulmans, tant parmi les membres en général que parmi les dirigeants.
Elle a déclaré en 2019 : « J’ai l’impression d’être dans une relation toxique en ce moment… Il n’est pas sain pour moi d’être encore au sein du parti conservateur ».
Un récent sondage a révélé que plus de la moitié des membres du parti conservateur pensent que l’islam est une menace pour ce qui a été qualifié de « mode de vie britannique » – un chiffre qui dépasse largement la moyenne nationale.
Ce racisme s’étend du sommet à la base du parti.
Boris Johnson, dont le roman « Soixante-douze vierges » compare les musulmanes voilées à des boîtes aux lettres, a été soutenu dans sa course au poste de premier ministre par des personnalités d’extrême droite telles que Tommy Robinson, qui a fomenté la vague d’émeutes actuelle depuis sa cachette à Chypre.
Mme Warsi s’est montrée particulièrement critique à l’égard de Michael Gove, l’un des principaux acteurs des gouvernements conservateurs successifs. Elle a déclaré : « Je pense que le point de vue de Michael est un peu différent de celui des autres : « Je pense que pour Michael, il n’existe pas de musulman qui ne soit pas problématique ».
Cela pourrait expliquer pourquoi le parti a refusé à plusieurs reprises de s’attaquer à l’islamophobie avérée qui imbibe ses membres. Par exemple, les responsables ont discrètement réintégré 15 conseillers suspendus pour des commentaires islamophobes extrêmes, une fois que le scandale s’est apaisé.
Même lorsque les dirigeants ont finalement été contraints d’accepter une enquête indépendante sur le sectarisme anti-musulman au sein du parti, elle a été rapidement édulcorée, devenant une « enquête générale sur les préjugés de toutes sortes ».
« Une vague qui inonde le Royaume-Uni »
En février, peu après avoir quitté ses fonctions de vice-président du parti conservateur, Lee Anderson a déclaré que les « islamistes » avaient « pris le contrôle » de Sadiq Khan, le maire de Londres. Le maire, a ajouté Anderson, a « donné notre capitale à ses copains ».
Il a été suspendu du parti parlementaire conservateur lorsqu’il a refusé de s’excuser. Mais même à cette époque, les dirigeants conservateurs, y compris le premier ministre de l’époque, Rishi Sunak, et son adjoint, Oliver Dowden, ont refusé de qualifier les commentaires d’Anderson de racistes ou d’islamophobes.
Oliver Dowden s’est contenté de dire qu’Anderson avait utilisé les « mauvais mots ».
Sunak a ignoré la rhétorique incendiaire et haineuse d’Anderson, orientant plutôt la colère du public vers les manifestations contre le massacre des Palestiniens de Gaza par Israël – ou ce qu’il a décrit comme une supposée « explosion de préjugés et d’antisémitisme ».
Anderson s’est rapidement rallié au parti réformiste de Nigel Farage, encore plus agressivement anti-immigration.
Suella Braverman, ancienne ministre de l’intérieur, s’est également exprimée en ces termes : « La vérité est que les islamistes, les extrémistes et les antisémites sont désormais aux commandes ».
Les médias de droite, du GB News au Daily Mail, se sont régulièrement fait l’écho de ces sentiments, comparant les immigrés – invariablement des musulmans – à une « vague » inondant la Grande-Bretagne et monopolisant les emplois et les logements.
Même l’organisme chargé d’identifier et de protéger les minorités ethniques a fait une exception évidente dans le cas de l’islamophobie institutionnelle.
La Commission pour l’égalité et les droits de l’homme s’est empressée d’enquêter sur le Parti travailliste à la suite d’allégations d’antisémitisme à l’encontre de ses membres qui se sont avérées largement infondées.
Mais ce même organisme a refusé catégoriquement de mener une enquête similaire sur l’islamophobie bien documentée au sein du parti conservateur, bien qu’il ait reçu un dossier du Conseil musulman de Grande-Bretagne contenant des allégations de sectarisme de la part de 300 personnalités du parti.
« Stopper les bateaux »
Le Premier ministre travailliste Keir Starmer mène actuellement une campagne de répression très médiatisée contre la violence de l’extrême droite en mettant en place une « armée permanente » d’escadrons de police anti-émeutes et en faisant pression pour que les condamnations soient rapides et sévères.
La semaine dernière, ses partisans ont salué son succès lors de son premier grand test en tant que premier ministre, lorsque les émeutes attendues mercredi dernier ne se sont pas concrétisées.
Mais depuis qu’il a pris la tête du parti travailliste il y a quatre ans, Starmer a également contribué directement à alimenter le climat antimusulman, un climat qui a encouragé l’extrême droite à descendre dans la rue.
Lors de sa campagne pour le poste de numéro 10, il a sciemment décidé de concurrencer les conservateurs sur le même terrain politique, de l’« immigration illégale » au patriotisme en passant par la loi et l’ordre.
Ce terrain politique a été façonné par la politique étrangère du New Labour il y a 20 ans, qui a eu des répercussions nationales considérables, stigmatisant les musulmans britanniques comme non britanniques, déloyaux et enclins au terrorisme.
En accord avec les États-Unis, le gouvernement travailliste de Tony Blair a mené une guerre brutale et illégale contre l’Irak en 2003, qui a fait plus d’un million de morts et plusieurs millions de sans-abri parmi les Irakiens. D’autres encore ont été emmenés dans des sites secrets pour y être torturés.
Parallèlement à l’occupation violente et prolongée de l’Afghanistan par les États-Unis et le Royaume-Uni, l’invasion de l’Irak a déclenché un chaos régional et engendré de nouvelles formes nihilistes de militantisme islamiste, en particulier sous la forme du groupe État islamique.
La croisade brutale de Blair au Moyen-Orient – souvent présentée par lui comme un « choc des civilisations » – ne pouvait qu’aliéner de nombreux musulmans britanniques et radicaliser un petit nombre d’entre eux dans un nihilisme similaire.
En réponse, le parti travailliste a mis en place une stratégie dite « Prevent » (empêcher), qui se concentre cyniquement sur la menace que représentent les musulmans et fait l’amalgame entre un désenchantement tout à fait explicable à l’égard de la politique étrangère britannique et une supposée propension inexplicable à la violence au sein de l’islam.
Starmer a modelé son propre leadership sur celui de Blair et a recruté bon nombre des mêmes conseillers.
Il n’a pas tardé à imiter de manière obsessionnelle les conservateurs pour tenter de récupérer le vote dit du « mur rouge ». La perte des zones urbaines du nord de l’Angleterre lors des élections générales de 2019 au profit des conservateurs s’explique en grande partie par la position confuse du parti travailliste sur le Brexit, dont Starmer était le principal responsable.
Starmer a viré fermement à droite sur l’immigration, pour faire comme le Parti conservateur qui a viré encore plus à droite dans sa tentative de repousser une insurrection électorale du Parti réformiste de Farage.
En tant que chef de l’opposition, Starmer s’est fait l’écho des conservateurs en insistant sur la nécessité de « stopper les petits bateaux » et de « démanteler les bandes de passeurs ». Le sous-texte était que les migrants et les demandeurs d’asile fuyant les troubles que le Royaume-Uni avait attisés au Moyen-Orient représentaient une menace pour le « mode de vie » de la Grande-Bretagne.
Il s’agissait d’une réinvention du discours sur le « choc des civilisations » dont Blair s’était fait le champion.
Quelques jours avant le scrutin des élections générales du mois dernier, Starmer est allé encore plus loin, en promouvant un racisme à visage découvert, du type de celui que l’on associe généralement aux conservateurs.
Le leader travailliste a jeté son dévolu sur la communauté bangladaise de Grande-Bretagne pour en faire un exemple de sa détermination à procéder à des expulsions. « Pour l’instant, les personnes venant de pays comme le Bangladesh ne sont pas expulsées », a-t-il déclaré devant un parterre de lecteurs du Sun.
La guerre contre la gauche
Mais il y a une autre raison, encore plus cynique, pour laquelle Starmer a placé la politique raciale et sectaire au cœur de sa campagne. Il voulait à tout prix non seulement gagner le vote des conservateurs, mais aussi écraser les travaillistes de gauche et leur programme politique.
Pendant des décennies, Jeremy Corbyn, son prédécesseur, a été célébré par la gauche travailliste – et vilipendé par la droite travailliste – pour sa politique antiraciste et son soutien aux luttes anticoloniales telles que celle des Palestiniens.
Pour la peine, Corbyn a été dénigré par l’establishment politique et médiatique britannique de toutes les manières possibles. Mais c’est l’accusation d’antisémitisme – et son amalgame avec la critique même modérée d’Israël – qui s’est avérée la plus préjudiciable.
La même Commission pour l’Egalité qui a résolument refusé d’enquêter sur l’islamophobie des Tories s’est empressée de soutenir les accusations d’antisémitisme institutionnel du parti travailliste de Corbyn, même si l’organisme a eu bien du mal à fournir des preuves.
Avec le caméléon qu’est Starmer, il est difficile de savoir s’il a des convictions politiques. Mais il est clair qu’il n’allait pas risquer de subir le même sort. Les gauchistes du parti, y compris Corbyn, ont été purgés à la hâte, de même que tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un programme de gauche.
Starmer est devenu un fervent défenseur de l’OTAN et de ses guerres, et un champion d’Israël – même après le 7 octobre, lorsque ce pays a coupé l’eau et la nourriture aux 2,3 millions d’habitants de Gaza, dans le cadre de ce que la plus haute cour du monde allait bientôt qualifier de génocide «plausible».
À cette date, la guerre de Starmer contre la gauche et ses politiques était déjà bien avancée.
Eradiquer la « menace »
La nature de cette attaque contre la faction de gauche du parti était déjà évidente en avril 2020, peu après que Starmer a pris la tête du parti travailliste, lorsqu’un rapport interne embarrassant du parti a été divulgué.
Ce rapport montrait, entre autres, comment la droite travailliste avait cherché à nuire à Corbyn et à ses partisans en utilisant l’antisémitisme comme arme favorite.
Alors qu’il cherchait encore ses marques en tant que dirigeant et qu’il tentait d’éviter une révolte interne à la suite de ces révélations, Starmer a demandé à Martin Forde KC de rechercher l’origine de la fuite.
Après de longs retards, dus en grande partie à l’obstruction des responsables du parti, Forde a publié ses conclusions à l’été 2022. Il a identifié ce qu’il a appelé une « hiérarchie du racisme », dans laquelle la droite travailliste cherchait à utiliser l’antisémitisme comme arme contre la gauche, y compris contre ses membres noirs et asiatiques.
Il n’est peut-être pas surprenant que les membres du parti travailliste issus de minorités ethniques aient tendance à partager davantage de points de vue politiques avec Corbyn et la gauche travailliste, notamment en ce qui concerne leur opposition ferme au racisme et à l’oppression coloniale des Palestiniens qui dure depuis des décennies.
La droite travailliste et Starmer considéraient cela comme une menace, qu’ils étaient déterminés à écarter.
Un documentaire d’Al Jazeera diffusé en septembre 2022, s’appuyant sur davantage de documents que ceux que Forde avait réussi à obtenir, a révélé une islamophobie rampante chez les collaborateurs de Starmer et la droite travailliste.
L’une des victimes des purges de Starmer au sein de la gauche a décrit aux réalisateurs de l’émission les dernières années du Labour comme une « conspiration criminelle contre ses membres ».
L’enquête d’Al Jazeera a révélé que des membres musulmans du parti, y compris des conseillers municipaux, étaient dans le collimateur de la droite travailliste.
Il a été révélé que des responsables du parti s’étaient entendus pour dissimuler des violations de la loi, une surveillance secrète et une collecte de données sur des membres musulmans, en prélude à la suspension de toute la circonscription londonienne de Newham, apparemment parce qu’on craignait qu’elle soit dominée par la communauté asiatique locale.
Les membres du personnel du siège du parti travailliste appartenant à des minorités ethniques qui se sont plaints de ces actions discriminatoires ont été licenciés.
Les purges
Le parti travailliste a poursuivi ses purges jusqu’aux élections générales de juillet, excluant et éliminant cyniquement des candidats de gauche, noirs et musulmans à la dernière minute, afin qu’ils n’aient pas le temps de contester la décision.
La victime la plus médiatisée a été Faiza Shaheen, une économiste qui avait déjà été choisie comme candidate parlementaire pour Chingford et Woodford Green avant d’être écartée publiquement et sans cérémonie. Interrogé sur cette décision, Starmer a déclaré qu’il ne voulait que des « candidats de la plus haute qualité ».
Une campagne similaire visant à humilier et à saper Diane Abbott, première femme noire députée et alliée de Corbyn, s’est prolongée pendant des semaines avant que ses adversaires ne lui laissent la place à contrecœur.
Une fois de plus, l’insinuation à peine voilée était que les candidats musulmans et noirs n’étaient pas dignes de confiance, qu’ils étaient suspects.
Il s’est avéré par la suite que les fonctionnaires de Starmer avaient envoyé une lettre juridique menaçante à Forde après qu’il eut parlé à Al Jazeera du racisme au sein du parti. Forde a conclu qu’il s’agissait d’une tentative à peine voilée de le « réduire au silence ».
Peu après avoir remporté une majorité parlementaire écrasante avec l’un des taux de participation les plus faibles jamais enregistrés par le parti travailliste, Starmer a suspendu une poignée de députés de gauche du parti parlementaire, comme il l’avait fait précédemment pour Corbyn. La faute commise par ces députés était d’avoir voté en faveur de la lutte contre la pauvreté infantile.
La plus connue était Zarah Sultana, la jeune députée musulmane qui avait été critiquée et raillée lors de l’émission Good Morning Britain pour avoir affirmé que les émeutes devaient être considérées comme des émeutes islamophobes.
Un dangereux amalgame
Bien qu’il soit largement admis que Starmer était déterminé à écraser la gauche travailliste, les conséquences inévitables de cette politique – en particulier en ce qui concerne de larges pans de la population musulmane britannique – n’ont pas fait l’objet d’une grande attention.
L’une des façons dont Starmer s’est distancié de Corbyn et de la gauche a été d’imiter Israël et la droite britannique en redéfinissant l’antisionisme comme de l’antisémitisme.
En d’autres termes, il a diffamé ceux qui partagent le point de vue des juges de la Cour mondiale selon lequel Israël est un État d’apartheid où les Palestiniens ont moins de droits que les Juifs en raison de leur appartenance ethnique.
Il a également vilipendé ceux qui pensent que le massacre d’Israël à Gaza est l’aboutissement logique d’un État d’apartheid raciste qui ne veut pas faire la paix avec les Palestiniens.
Deux groupes en particulier ont subi de plein fouet cet amalgame entre l’opposition aux crimes d’Israël contre les Palestiniens – à savoir l’antisionisme – et l’antisémitisme.
L’un d’eux est constitué par les juifs de gauche du parti travailliste. Le parti a assidûment tenté de dissimuler leur existence à l’opinion publique parce qu’ils perturbent trop manifestement son discours sur l’antisémitisme. Proportionnellement, le groupe le plus important d’expulsés et de suspendus du parti travailliste était composé de juifs qui critiquent Israël.
À l’inverse, et de manière encore plus dangereuse, l’amalgame opéré par Starmer a servi à désigner visiblement les musulmans en général comme antisémites, étant donné qu’ils constituent la communauté la plus bruyante et la plus unie à s’opposer au génocide «plausible» d’Israël à Gaza.
La manière qu’a eu Starmer de faire des antisionistes des ennemis des juifs a – intentionnellement ou non – renforcé la caricature empoisonnée que les conservateurs ont promue de l’islam en tant que religion intrinsèquement haineuse et violente.
La guerre génocidaire d’Israël contre Gaza au cours des dix derniers mois – et les réactions horrifiées de millions de Britanniques face à ce massacre – ont mis en évidence le problème que pose l’approche de Starmer.
Le leader travailliste a peut-être évité la rhétorique incendiaire de Braverman, qui a qualifié les manifestations massives et pacifiques contre le massacre de « marches de la haine ». Mais il s’est subtilement fait l’écho de ses sentiments.
En rejetant l’antiracisme et l’anticolonialisme de la gauche, il a consacré la priorité des intérêts d’un État étranger génocidaire, Israël, sur les inquiétudes des critiques d’Israël.
Et pour que sa position paraisse moins ignoble, il a préféré, comme les conservateurs, passer sous silence la diversité raciale de ceux qui s’opposent au massacre.
Test de loyauté
L’objectif était d’essayer de discréditer les manifestations en occultant le fait qu’elles bénéficient d’un soutien multiracial, qu’elles ont été pacifiques, que de nombreux Juifs y ont pris une part importante et qu’ils sont contre le génocide et l’apartheid et en faveur d’un cessez-le-feu.
Au lieu de cela, Starmer a essayé de faire croire que des extrémistes musulmans nationaux façonnaient la nature des manifestations par des chants et des comportements susceptibles de susciter la peur chez les Juifs.
Le dirigeant travailliste a affirmé « voir la haine marcher côte à côte avec les appels à la paix, des gens qui haïssent les Juifs se cacher derrière des gens qui soutiennent la juste cause d’un État palestinien ».
Il s’agit d’une version codée et juridique du « Londonistan » de la droite raciste – la supposée prise de contrôle de la capitale du Royaume-Uni par les musulmans – et des calomnies, émanant maintenant même de conseillers du gouvernement, selon lesquelles les marches hebdomadaires de solidarité avec les souffrances de Gaza transforment les villes britanniques en « zones interdites » pour les juifs.
Les propos de Starmer – qu’ils soient intentionnels ou non – ont donné vie à l’allégation grotesque de la droite raciste selon laquelle il existe une « police à deux vitesses », dans laquelle la police aurait tellement peur de s’attaquer à la communauté musulmane que l’extrême droite devrait faire son travail à sa place.
La réalité de cette police à deux vitesses n’a été que trop visible le mois dernier, lorsqu’une vidéo a montré un policier qui donnait des coups de pied dans la tête d’un musulman immobilisé par un coup de taser, après une bagarre à l’aéroport de Manchester. Le frère de l’homme a été filmé en train d’être agressé alors qu’il avait les mains derrière la tête, et leur grand-mère déclare avoir également reçu un coup de taser.
Comme pour les conservateurs, le soutien indéfectible de Starmer à Israël depuis le 7 octobre – et le fait qu’il ait présenté les manifestations contre les massacres comme une menace pour les communautés juives – a engendré un nouveau test de loyauté implicite et officieux. Un test qui donne la garantie que la plupart des juifs britanniques sont des patriotes, tout en jetant la suspicion sur les musulmans britanniques qui, eux, doivent prouver qu’ils ne sont pas des extrémistes ou des terroristes potentiels.
Les deux principaux partis semblent penser qu’il n’y a rien de mal à ce que les Juifs britanniques applaudissent leurs coreligionnaires en Israël pendant que l’armée israélienne bombarde et affame les enfants palestiniens à Gaza – et même à ce que certains d’entre eux se rendent au Moyen-Orient pour participer directement à la tuerie.
Mais les deux partis insinuent également qu’il pourrait être déloyal pour les musulmans de marcher en solidarité avec leurs coreligionnaires à Gaza, même si c’est Israël qui les massacre, ou de s’opposer avec véhémence à des décennies d’occupation violente et de siège israéliens armé que la plus haute cour du monde a jugés illégaux.
En d’autres termes, Starmer a tacitement approuvé une logique qui considère que le fait d’agiter un drapeau palestinien lors d’une manifestation est plus dangereux et étranger aux valeurs britanniques que le fait de rejoindre une armée étrangère pour commettre des massacres – ou, notons-le, que le fait d’envoyer des armes à cette armée pour qu’elle massacre des civils.
Reprendre la rue
Il semblerait que l’ostracisation par Starmer d’une grande partie de la communauté musulmane – en insinuant que son opinion sur Gaza est « extrémiste » – pourrait avoir été intentionnelle et destinée à impressionner les électeurs de droite.
Une « source travailliste de haut rang » a déclaré aux journalistes que le parti se félicitait de la démission de dizaines de conseillers municipaux du Labour à la suite des commentaires de Starmer en faveur d’Israël qui affame la population de Gaza. Il s’agissait, selon cette source, pour le parti de « se débarrasser des puces ».
Les loyalistes de Starmer, évincés lors des élections générales du mois dernier par des indépendants de gauche, dont Corbyn, qui se présentaient avec un programme visant à mettre un terme au massacre à Gaza, ont avancé un argument similaire.
Jonathan Ashworth, qui a perdu son siège de Leicester South au profit de Shockat Adam lors des élections générales de juillet, a accusé les partisans de son rival musulman de ne pas respecter les normes démocratiques, en se livrant à ce qu’Ashworth a qualifié de « vitriol », de « brimades » et d’« intimidations ».
Aucune preuve n’a été apportée à l’appui de cette affirmation.
Il y a eu énormément de drapeaux palestiniens lors de ce que les politiciens et les médias ont appelé des «contre-manifestations» – les antifascistes reprenant les rues à l’extrême droite, comme ils l’ont fait mercredi dernier.
La droite travailliste, qui, comme Starmer, souhaite voir la gauche disparaître de la politique britannique, avait insisté pour que les antiracistes restent chez eux afin de laisser la police s’occuper des émeutiers racistes.
Mais c’est précisément parce que la gauche antiraciste a été mise en difficulté par une campagne bipartite de diffamation – la dépeignant comme extrémiste, antisémite, non britannique, traîtresse – que la droite raciste s’est sentie enhardie à montrer qui était aux commandes.
Starmer est maintenant déterminé à remettre le génie qu’il a contribué à libérer dans la bouteille par la force brute, en recourant à la police et aux tribunaux.
Il y a tout lieu de craindre, compte tenu de la campagne de dénigrement de Starmer contre la gauche et des purges autoritaires au sein de son parti, que son nouveau gouvernement soit tout à fait capable de déployer la même main lourde contre les soi-disant «contre-manifestants», même s’ils sont pacifiques.
Le leader travailliste croit qu’il est parvenu au pouvoir parce qu’il a sali, écrasé, et relégué dans l’ombre la gauche antiraciste.
Aujourd’hui, en tant que premier ministre, il pourrait décider qu’il est temps de mettre en œuvre le même programme dans tout le pays.
Auteur : Jonathan Cook
13 août 2024 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet